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Deux semaines s’étaient écoulées depuis l’incident qui avait entraîné l’exclusion de Warren pour toute la saison, secouant la toile et affolant les fans, inquiets pour la santé mentale du jeune Allemand. Les journalistes s’en étaient donné à cœur joie, exploitant la moindre rumeur, suivant les moindres faits et gestes de Dragon avec un acharnement dévorant.

Pour Feng, la situation était devenue une poudrière. Son statut de manageuse, en apparence anodin, cachait en réalité une position stratégique et périlleuse : chaque faux pas risquait d’attirer l’attention sur son organisation criminelle, le Phénix. Elle avait craint qu’une autre Triade profite de ce moment de faiblesse pour frapper, malgré son alliance avec la Triade Huo.

Obligée d'agir rapidement, Feng avait publié un communiqué officiel sur les réseaux sociaux de Dragon, expliquant que Warren rentrait auprès de sa famille pour réfléchir à ses actes et se reconstruire avant de revenir plus fort. Le message avait touché le cœur des fans, qui avaient inondé les plateformes de messages de soutien. Peu à peu, les journalistes s’étaient désintéressés de l'affaire, laissant l’équipe retrouver un semblant de répit.

Le départ de Warren avait conduit Feng à rencontrer Duàn Li-Wei, une jeune joueuse prometteuse, impressionnante par sa maîtrise et ses statistiques, mais totalement novice dans le monde exigeant de l’esport professionnel. Malgré son manque d’expérience, Feng avait perçu chez elle une détermination brute, une soif de vaincre qui lui rappelait la sienne. Après une longue discussion, elle l’avait engagée. Mais elle avait aussi peur que les fans pensent qu’elle profitait de la situation. Elle ne voulait pas causer du tort à Warren, elle voulait simplement se faire une place dans un univers masculin.

Li-Wei avait été accueillie avec bienveillance par les membres de Dragon. Ils l’avaient aidée à s’intégrer, lui offrant conseils et encouragements. L’atmosphère dans l’équipe était bonne, mais Feng sentait la tension sourde sous les sourires : l’entraîneur, Xie Tao, craignait que ce nouveau déséquilibre ne les fragilise à l’approche des phases finales à Moscou. Feng jouait son rôle, tentant de maintenir l'équilibre fragile du groupe, mais son esprit était ailleurs. Moscou approchait. Et avec Moscou, ses souvenirs. Ses peurs.

Pendant ce temps, la mafia Phénix connaissait une ascension fulgurante. Le combat clandestin auquel Feng avait participé avait scellé sa réputation : elle n’était pas seulement une dirigeante, elle était aussi une combattante redoutable. L’alliance avec la Triade Huo renforçait ses troupes : au Hall du feu ardent, Vitali, Arkadi, Valia et Sacha s'entraînaient quotidiennement aux arts martiaux sous la tutelle sévère, mais juste de Shi Shen. Peu à peu, ils abandonnaient leur dépendance aux armes à feu, apprenant à se battre avec leur corps comme unique arme.

Grâce aux ressources et à l'influence de la Triade, Feng avait développé son réseau à Shanghai avec une rapidité vertigineuse. En deux semaines, ses profits avaient explosé, dépassant de loin ceux des deux derniers mois réunis.

Alors qu’elle quittait le parking souterrain de Dragon, son téléphone sonna. L’écran intégré de la voiture afficha un nom qui fit aussitôt naître un sourire tendre sur ses lèvres : celui de sa fille.

— Yeva, ma chérie… Ça me fait tellement plaisir de t’entendre. Tu me manques.

— Toi aussi, maman, souffla-t-elle d'une voix douce.

Mais quelque chose n’allait pas. Feng le sentit immédiatement, comme un courant glacé remontant le long de son échine.

— Il s’est passé quelque chose ? demanda-t-elle, la gorge serrée.

— Ruby va t’expliquer, répondit Yeva, sa voix se brisant légèrement.

Feng serra les doigts sur le volant, l'estomac noué.

— Xenia, dit la voix grave de Ruby.

— Je t’écoute.

— C’est Edmée… Elle a réussi à bloquer l’accès. Je n’ai pas pu intervenir à temps.

— Vous allez bien ?

Elle luttait pour garder son calme. À des milliers de kilomètres, impuissante, elle n’avait que sa voix pour soutenir sa fille.

— Le corps a été éprouvé… Il faudra du temps pour récupérer. Mais c’est surtout Anushka… Elle est très affectée.

Feng ferma les yeux un instant, ravalant sa détresse.

— Je pars demain pour Moscou, dit-elle d'une voix ferme. Je serai bientôt là.

— D’accord. À bientôt.

— Merci d’avoir appelé.

Le silence retomba, pesant. Feng resta un moment figée, appuyée contre le cuir glacé du siège, écrasée par le poids de la distance. Les appels, si précieux, étaient devenus insuffisants. Mais il fallait encore tenir. Encore un peu.

Une notification surgit sur l’écran : Shi Shu-Fang lui signalait que l'Ancien souhaitait la voir. Feng ravala son trouble, remit son masque d’acier, et démarra.

Devant les lourdes portes rouges du repère de la Triade Huo, les gardes exigèrent un laissez-passer. Sans un mot, Feng écarta sa manchette, révélant son tatouage qui attestait de son appartenance. Les portes s’ouvrirent lentement, dans un grincement solennel.

Elle traversa la cour intérieure, croisant les regards respectueux des disciples qui suspendirent leur entraînement pour s'incliner sur son passage. Un sourire discret effleura ses lèvres : ici, elle avait conquis sa place par la force et le respect.

Shi Yue-Yan, l’Ancien, l’attendait en haut des marches, les mains jointes dans le dos. Elle s’inclina profondément.

— Venez, faisons un tour, proposa-t-il.

Ils marchèrent côte à côte vers les jardins, un havre de paix au cœur du tumulte du repaire.

— Liu Feng, dit-il d’une voix lente, vous savez que la Triade Huo souhaite s’implanter en Russie.

— Oui.

— Il est essentiel d’avoir des yeux et des oreilles sur place.

Elle hocha la tête. L'infiltration, la prudence, la patience : les règles de survie.

— Mes hommes m’ont remis un rapport… qui vous concerne.

Elle tourna légèrement la tête, attentive.

— Vous avez une fille, dit-il simplement. Elle est dans un Institut spécialisé.

Le cœur de Feng manqua un battement. Elle dissimula son trouble, mais ses sens étaient en alerte.

— Vos parents font pression pour obtenir sa garde, poursuivit-il.

Elle savait. Ladislas ne renonçait jamais à ce qu’il considérait comme "son dû". Yeva n’était qu’un pion de plus dans son échiquier sanglant.

— J'ai envoyé des hommes pour veiller sur elle, ainsi que sur le personnel.

— Ils ne doivent en aucun cas affronter la mafia, dit Feng d’une voix dure. Vous ne savez pas ce dont mon père est capable.

— Mes hommes savent ce qu'ils font.

— Pas contre lui. Ladislas joue à un niveau différent.

Shi Yue-Yan acquiesça gravement. Lui aussi connaissait ces monstres que rien n’arrête.

— Peu importe ce que vous avez prévu, murmura Feng, les yeux sombres de résolution. Je tuerai mon père moi-même.

L’Ancien se contenta d’incliner la tête. Il venait d’entendre la promesse d'une femme qui n'abandonnait jamais.

— Et votre collaboration avec Shu-Fang ? demanda-t-il pour alléger l’atmosphère.

— Elle se passe bien.

Un sourire tranquille étira les lèvres de l’Ancien.

— C’est une bonne chose… pour l’avenir.

— L’avenir ?

Un papillon effleura la main de Feng, l’arrachant à ses pensées.

— Ensemble, nos deux organisations prospéreront, déclara-t-il.

Feng rougit légèrement.

— Ce n’est pas… ce n’est pas ce genre de relation entre Shu-Fang et moi, balbutia-t-elle.

— Pas encore, répliqua-t-il avec un éclat d’amusement dans la voix.

Feng ne répondit pas. Mais tandis qu’elle marchait sous les frondaisons paisibles, une image s’insinua doucement dans son esprit : celle d’un avenir où la mafia Phénix et la Triade Huo avanceraient main dans la main, dirigées par elle et Shu-Fang, non seulement par devoir… mais peut-être aussi par amour.

Un futur incertain. Mais étrangement, pas si effrayant.

L’Ancien, de son côté, contemplait Feng avec une tendresse dissimulée. Elle avait souffert, elle avait lutté, et elle avait survécu. Elle était la preuve vivante que la force pouvait naître de la douleur. En elle, il voyait l’assurance d’un avenir solide. Un avenir pour lequel il pouvait, enfin, se préparer à passer le flambeau.