«

»

Feng entra dans son bureau, l’esprit tourmenté par la situation et par les conséquences inévitables qui allaient suivre. Elle attrapa sa tablette, les mains crispées, et projeta sur l’écran géant la chaîne d’informations principale. Une fois assise, le poids de ses responsabilités s’abattit sur ses épaules. Elle se demanda, pour la première fois depuis longtemps, s’il n’était pas temps de mettre fin à ses activités avec Dragon. Après tout, ce n’avait toujours été qu’une couverture temporaire…

Son téléphone vibra, l’empêchant d’aller plus loin dans ses pensées. Elle inspira profondément : elle avait grandi dans un monde dur, froid, sans pitié. Gérer les crises faisait partie de son quotidien.

— Liu Feng, répondit-elle d’une voix ferme.

— Pardonnez-moi de vous appeler aussi tard, mais au vu de la situation, cela me semblait nécessaire.

— Puis-je savoir à qui j’ai l’honneur ?

— Je manque à tous mes principes. Je me présente : Lai Wuying, PDG d’EDG. Je tenais à vous informer que la vie de Sun Guiying n’est pas en danger. Il est amoché, mais il s’en remettra vite.

— Merci de m’avoir prévenue, monsieur Lai. Je vous présente mes excuses pour...

— Vous n’avez pas à vous excuser, mademoiselle Liu. Je l’avais prévenu que ça finirait ainsi s’il continuait sur cette voie.

— Cela n’excuse en rien les agissements de Warren, répondit-elle tout en dissimulant un sourire discret. Sun Guiying appartenait à la Triade Huo. La violence faisait partie de son quotidien. Et la mort, qu’une fin logique.

— Rassurez-vous. Ni Guiying ni EDG ne porteront plainte contre Warren ni contre Dragon. Il m’a brièvement raconté les faits. Il reconnaît ses torts et a déjà contacté la presse pour s’expliquer.

— Merci, monsieur.

— Ne me remerciez pas. J’espère qu’il apprendra de ses erreurs. Ce garçon a du talent, mais aussi beaucoup à perdre.

— Warren sera tout de même sanctionné, déclara Feng. Je ne peux pas laisser passer un tel comportement, et la Fédération non plus.

— Très bien. Si nous avons terminé, je vais raccrocher. Je vous souhaite bon courage, mademoiselle Liu Feng.

— Merci, monsieur Lai Wuying.

Feng reposa son téléphone et fixa un point invisible sur le mur, pensive. Avait-on ordonné à Sun Guiying de se taire ? La Triade Huo allait-elle réellement laisser passer cet incident ? Ce n’était pas impossible. Warren n’appartenait pas à l’organisation du Phénix… mais tant que la Triade ne s’exprimait pas officiellement, l’ombre du doute persisterait.

À la télévision, Sun Guiying apparut. Son œil était gonflé et violacé, sa joue tuméfiée, sa lèvre fendue. Un large bandage entourait sa tête. Feng croisa les bras, attentive. Si Warren devait renoncer à sa carrière professionnelle, elle n’hésiterait pas à le recruter. Avec le bon entraînement, il pourrait devenir un atout… redoutable.

— Je suis Sun Guiying, membre de l’équipe EDG. Je suis actuellement hospitalisé après avoir été agressé par Warren Fisher, joueur chez Dragon.

Il appartenait sans doute au même monde que Feng. Cette lueur dans ses yeux… elle la connaissait bien. Celle d’un homme qui avait soif de sang.

— Je voudrais m’excuser auprès de vous. J’ai mal agi et j’ai décidé, de mon plein gré, de rétablir la vérité.

Il mentait. C’était évident dans son regard, dans sa posture. Quelqu’un d’influent l’avait obligé à parler. La Triade avait choisi la discrétion. Pour l’instant.

— La vérité ? demanda le journaliste, hors champ.

— Warren n’a fait que défendre sa petite amie. Je l’ai draguée de manière insistante… et j’ai tenté de l’emmener avec moi contre son gré.

Aucune honte. Aucun remords. Il n’avait aucun regret. Et Feng pouvait deviner, sans l’ombre d’un doute, qu’il avait déjà fait bien pire.

— Warren est un jeune joueur très prometteur. Il ne devrait pas voir sa carrière détruite à cause de mes agissements irrespectueux.

— Vous n’allez donc pas porter plainte ?

— Non. Après une discussion avec mon équipe, il a été décidé que je serais suspendu pour le reste de la compétition.

— Une décision liée à vos blessures ?

— Non. J’assume mes actes. Je dois en tirer les leçons et agir de la bonne manière.

Il jouait bien son rôle. Très bien. Trop bien. Mais le résultat importait plus que les intentions : ses mots allaient redorer l’image de Dragon, et permettre à Feng de gagner un temps précieux.

— Liu Feng ?

Elle éteignit l’écran et se tourna vers Zhang Heng, le PDG de Dragon.

— Confirmez la conférence de presse pour ce soir, 20h.

— Vous ne préférez pas attendre le rendez-vous avec la Fédération ?

— Non. Il faut parler, et vite. Trop d’heures ont déjà passé. Préparez les lieux. Je vous fais confiance.

Il hocha la tête et sortit, conscient que Feng n’approuvait pas la décision, mais fidèle à son rôle, elle s’était tue.

Deux heures plus tard, Ming entra dans le bureau.

— Assieds-toi.

— Tu tiens le coup ? demanda-t-il en l’observant prendre le communiqué de presse fraîchement imprimé.

Elle était tendue. Mais ce n’était ni pour Dragon, ni pour Warren. C’était son organisation qui occupait toutes ses pensées.

— Je vais bien.

— Jiějiě…

— Ne t’en fais pas. Dragon s’en sortira, répondit-elle avec douceur.

— Ce n’est pas pour Dragon que je m’inquiète, mais pour toi.

Elle lui offrit un sourire presque crédible.

— Je vais bien, répéta-t-elle, plus fermement.

Il soupira, peu convaincu.

— Xenia, mets la chaîne d’infos ! lança soudain Valia dans l’oreillette, la voix tendue.

Feng s’exécuta aussitôt. L’écran s’illumina, révélant Shi Shu-Fang, à la sortie d’un bâtiment officiel, encerclé de journalistes et de caméras.

— Shi Shu-Fang ! Un mot sur la situation ? Allez-vous continuer à soutenir Dragon, malgré l’agression d’un joueur adverse ?

Le moment de vérité. Feng serra les poings. Tout reposait sur ses mots. Elle ne pensait plus à Dragon. Plus à Warren. Seul le Phénix comptait. Seule sa survie importait.

— Dragon est…