En quelques semaines, elle avait tissé autour de Dragon une toile serrée de contacts, sponsors, et protections. Le tournoi approchait à grands pas et, malgré la tension latente, elle avait dû maintenir le cap pour ses joueurs. Aujourd’hui, la finale allait débuter. L’adrénaline était à son comble.
Feng s’apprêtait à monter dans le fourgon qui allait emmener les joueurs à l’aréna, mais s’arrêta, la désagréable sensation d’être observée lui glaçant l’échine.
— Jiějiě, tu ne montes pas ? demanda Tsao Wu.
— Excuse-moi, Tsao Wu.
Il lui sourit et monta à bord. Feng s’assit à son tour, sortit son téléphone et envoya un message à Vitali, ainsi qu’à Valia, Sacha et Arkadi pour les prévenir d’une potentielle menace.
— Est-ce que ça va ? s’inquiéta Tsao Wu.
Il était le plus expérimenté de l’équipe, douze années de compétition à son actif, et un palmarès impressionnant, dont le titre de meilleur joueur mondial sur Onmyoji Arena l’année précédente.
— Tout va bien, le rassura Feng alors que le chauffeur démarrait.
Le trajet fut rapide. À l’approche de l’aréna, les vibrations de la foule et des chants de supporters se faisaient entendre depuis la rue. Le bâtiment scintillait aux couleurs des équipes finalistes : Dragon contre TYLOO. Feng regarda ses joueurs dans le rétroviseur. Ils portaient leur maillot bleu et violet, concentrés malgré l’excitation ambiante.
— Ne vous arrêtez pas, marchez jusqu’au bâtiment sans vous soucier des fans, ordonna-t-elle dès l’arrêt du fourgon.
Des gardes du corps ouvrirent la marche. L’entraîneur sortit, suivi des joueurs, puis de Feng et du PDG Zhang Heng. Les fans hurlaient les pseudos des joueurs, brandissant des pancartes à l’effigie de leur shikigami préféré.
À l’intérieur, un membre du personnel les guida jusqu’à leur loge. Les joueurs déposèrent leurs affaires et se regroupèrent autour de la table pour un dernier briefing tactique.
— On reste sur notre stratégie principale ? demanda Ming en ouvrant son carnet de notes.
— Oui, répondit Lenny. On a déjà vérifié que l’équipe adverse joue toujours autour de leur ADC.
— Ce qui veut dire qu’ils vont tout miser sur les affrontements collectifs en fin de partie, ajouta Wu, les bras croisés.
— On doit contrôler les objectifs dès les premières minutes, continua Shui. Si on prend la première tour, ça les forcera à jouer plus défensif.
— Et toi, Li-Wei ? intervint Ming en se tournant vers elle.
La jeune fille releva les yeux, un peu hésitante.
— Si je prends l’initiative dans leur jungle dès le niveau trois, ça devrait freiner leurs rotations.
— Bien vu, approuva Ming avec un léger sourire.
Feng observa ses joueurs avec une certaine fierté. L’équipe fonctionnait comme une seule entité, chacun apportant son analyse et sa vision du match.
— Nous devrions aller nous installer, suggéra le PDG à Feng.
Ils gagnèrent la salle principale, immense et plongée dans une lumière tamisée aux reflets bleu et rouge. Sur scène, les postes de jeu étaient prêts, les configurations optimisées pour accueillir les deux équipes.
Quelques minutes plus tard, deux silhouettes montèrent sur scène sous les acclamations :
— Bienvenue pour la finale du tournoi Onmyoji World Invitational ! lança le commentateur Yang Xun.
— Bonjour à tous, je suis votre commentatrice Lu Yi-Ze ! poursuivit la présentatrice.
— Accueillons les finalistes : Dragon et TYLOO !
Les joueurs montèrent sur scène, saluèrent la foule et répondirent brièvement aux questions sur leurs ressentis. Feng observait en silence depuis le premier rang. À leurs côtés, leur coach murmurait les derniers conseils. Chaque membre de Dragon incarnait un shikigami différent, choisi avec soin pour sa complémentarité avec l’équipe :
Tsao Wu jouait Kuro Mujou, un toplaner défensif et impassible comme lui, capable d’encaisser les assauts.
Yung Ming, en midlane, avait opté pour Enma, une mage stratégique dont le contrôle du terrain faisait écho à son calme et à son esprit de leader.
Leong Shui, fidèle à sa précision chirurgicale, incarnait Chin, un ADC à distance, rapide et létal.
Lenny Evans avait choisi Komatsu, un support malin et observateur, toujours en avance sur l’adversaire.
Enfin, Warren Fisher contrôlait Shuten Dōji, un jungler brutal et explosif, prêt à faire trembler la map.
Alors que les joueurs prenaient place derrière leurs écrans, la foule se mit à hurler. Feng se raidit. Son pouce effleura machinalement le métal froid, caché dans son dos. L’agitation provenait de l’entrée : Shi Shu-Fang, accompagné de son équipe de sécurité, fendait la foule.
— Пиздец ! jura-t-elle en russe.
— Liu Feng ? s’étonna Zhang Heng.
— Veuillez m’excuser, PDG Zhang, répondit-elle en s’inclinant brièvement.
L’idol s’approchait, saluant la foule, son sourire impeccable devant les caméras. Une assistante lui désigna deux sièges libres, juste à côté de Feng. Elle sentit la tension grimper.
— Shi Shu-Fang, quelle surprise de vous voir ici ! Quelle équipe soutenez-vous ? demanda un journaliste.
Ses yeux balayèrent les gradins. Lorsqu’ils croisèrent ceux de Feng, elle comprit qu’il n’allait pas improviser.
— Je suis venu soutenir Dragon. C’est pour moi la meilleure équipe. J’aimerais, un jour, contribuer à sa réussite.
Feng serra les mâchoires. Comme elle l’avait redouté, un micro se tendit vers elle.
— Vous êtes Liu Feng, manageuse de Dragon. Un commentaire ?
— Aucun.
Le journaliste, décontenancé, voulut enchaîner, mais les lumières s’éteignirent brusquement : le match allait commencer. Feng reporta toute son attention sur la partie.
Dragon remporta la première manche. Les commentateurs annoncèrent une pause de quinze minutes. Feng et le PDG rejoignirent l’équipe dans la loge.
— Félicitations !
— Merci, Jiějiě !
Ce surnom, elle l’entendait à chaque victoire. Elle souriait, tout en ressentant une étrange forme de tristesse. Ils l’appelaient « sœur » sans connaître sa vie. Leur confiance lui pesait : elle n’était pas celle qu’ils croyaient.
Ming s’appuya contre le dossier du canapé, le souffle court, mais un sourire tranquille aux lèvres.
— Leur midlaner est plus réactif que prévu, admit-il.
— Mais ils sont trop gourmands, fit remarquer Wu. Ils se sont trop avancés après chaque teamfight.
— Shui, ton repositionnement sur la dernière action était parfait, ajouta Lenny. Ça nous a permis de sécuriser le baron.
— Ouais, mais faut qu’on reste sur nos gardes. Ils vont forcément adapter leur stratégie, dit Shui, toujours concentré.
— Li-Wei, bien joué sur les contre-invades, ils n’ont pas pu voler de ressources dans notre jungle, lança Ming en la gratifiant d’un signe de tête.
— Merci, murmura-t-elle, un léger sourire sur les lèvres.
— Vous partez, Liu Feng ? demanda le PDG.
— Juste les toilettes, je vous rejoins après.
Elle quitta la pièce. En sortant des toilettes, elle trouva Shi Shu-Fang appuyé contre le mur. Elle voulut l’ignorer, mais il l’attrapa par le bras. Le couteau sortit immédiatement.
— Liu Feng…
— À quoi jouez-vous ? Vous comprenez ce que vos mots impliquent ?
— Bien sûr, s’agaça-t-il. Je ne suis pas stupide.
Elle rangea son arme, soupira, et remonta sa manchette. Il jeta un œil discret autour de lui.
— Je suis intervenu en tant que maître des encens de la Triade Huo.
Feng fronça les sourcils. Elle connaissait ce titre : responsable du recrutement, membre influent. Cela changeait la donne.
— Vous prenez position sans même une entrevue ?
— L’entrevue ne sera qu’une formalité. Vous bénéficiez déjà de notre protection.
Il retrouva son masque d’idol.
— Vous n’avez pas répondu : accepteriez-vous que je devienne l’image de Dragon ?
Un employé passa près d’eux. Feng comprit qu’il jouait un rôle.
— Non. Je n’accepte pas.
Elle tourna les talons.
— Liu Feng, vous m’expliquez ? exigea Zhang Heng une fois qu’elle eut repris place.
— De quoi parlez-vous ?
— De Shi Shu-Fang. Vous l’avez humilié en public. Pourquoi refuser son offre ?
— Vous ne comprenez pas, monsieur.
— Alors éclairez-moi !
Elle prit une inspiration. Il y avait deux raisons à son refus. La première : mêler sa couverture à celle de Shi Shu-Fang serait un risque colossal, même avec la protection des Triades. La seconde : une histoire de respect.
— S’il devenait le visage de Dragon, reprit-elle, il ne serait plus qu’un produit marketing. Juste un visage sur une bannière. Son humanité disparaîtrait.
— C’est ce qu’implique la célébrité, objecta Zhang Heng.
— Non. Shi Shu-Fang est une personne à part entière, avec ses envies, ses blessures et ses rêves. Je refuse d’effacer ce qu’il est, au nom de notre succès.
Elle plongea son regard dans celui du PDG.
— Si cela ne vous convient pas, renvoyez-moi. Mais sachez qu’en agissant ainsi, vous ne verrez plus vos joueurs que comme des chiffres. Et vous perdrez votre humanité, tout comme lui.
Les commentateurs reprirent la parole, annonçant le début de la deuxième manche. Zhang Heng garda le silence. Feng espérait qu’il allait réfléchir. Pour Dragon. Pour eux tous.
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