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Quelques jours s’étaient écoulés depuis sa rencontre avec Shi Shu-Fang. Feng n’avait pas tenté de le recontacter : elle ne pouvait pas paraître trop empressée. Ce jour-là, elle avait rendez-vous avec Tian Liang, une occasion de renforcer son réseau… et peut-être de recroiser la route de l’idol.

Installée à l’arrière d’un taxi, elle parcourait les documents sur sa tablette : emploi du temps des joueurs, événements médiatiques à venir, interviews, contenus à tourner pour promouvoir la finale du tournoi. L’enjeu était de taille, et elle ne laissait rien au hasard.

— Nous sommes arrivés, annonça le chauffeur.

— Merci.

Elle le régla, descendit, puis entra dans l’imposant gratte-ciel où elle avait rendez-vous avec Tian Liang, PDG d’un groupe de production médiatique spécialisé dans le divertissement numérique, notamment l’esport. Leur première rencontre remontait à un séminaire à Londres, où elle suivait encore sa formation de manageuse.

— Que puis-je faire pour vous ? demanda la réceptionniste.

— J’ai rendez-vous avec Tian Liang.

— Un instant, je vous prie.

Feng balaya du regard le hall. Instinctivement, elle chercha des signes — tatouages, armes, comportements suspects. Rester sur ses gardes n’était pas une option, mais une habitude. Elle ajusta machinalement la manchette qui dissimulait le tatouage sur son bras gauche, un geste banal, codé. Un rappel de qui elle était vraiment. Le poids du couteau contre ses reins la rassura.

— Monsieur Tian est actuellement en rendez-vous. Il ne devrait pas tarder.

— Merci.

Feng s’inclina brièvement et repéra aussitôt Shi Shu-Fang, assis à quelques mètres, accompagné du leader de son groupe, 4to1. Elle passa tout près d’eux, faisant mine de ne pas les voir.

— Liu Feng !

Elle s’arrêta, fit volte-face, s’inclina.

— Shi Shu-Fang.

— Liu Feng, je te présente…

— Sheng Wei ! lança l’autre en se levant aussitôt.

— Enchantée, Sheng Wei. Je suis Liu Feng.

— Jiějiě, pourquoi t’es là ?

— Wei ! Où sont tes manières ? intervint Shi Shu-Fang.

— Ce n’est rien, répondit Feng, amusée.

— Tu vois ! T’es juste jaloux, Fang-Shu !

— Shu-Fang, rectifia l’intéressé, les sourcils froncés.

— Fang-Shu ! répéta Sheng Wei en riant.

Le rire cristallin attira les regards, et quelques photos furent discrètement prises. Shu-Fang tapota l’épaule de son ami pour qu’il se calme. Sheng Wei leva les yeux au ciel, mais retrouva son sérieux.

— Vous êtes venue pour… ?

— Feng.

La voix de Tian Liang coupa la conversation.

— Excuse-moi, j’étais retenu.

Il salua les deux idols d’un geste bref. Feng échangea un regard avec Shi Shu-Fang. Le léger hochement de tête qu’il lui adressa confirma que l’invitation à une entrevue avec sa famille tenait toujours.

Elle suivit Tian Liang jusqu’à sa voiture, une Mercedes aux vitres teintées. Durant le trajet jusqu’au restaurant, ils ne dirent mot. À leur arrivée, une hôtesse en robe traditionnelle les accueillit, ajoutant une touche élégante au décor raffiné. Feng, qui avait toujours eu un goût prononcé pour la culture ancestrale, se sentit immédiatement à l’aise.

— Je ne savais pas que tu connaissais déjà un membre de la famille Shi, attaqua Tian Liang dès qu’ils furent installés.

— On s’est croisés par hasard.

— Un sacré hasard…

Feng sourit en consultant le menu. Tian Liang, lucide, avait compris que cette rencontre n’avait rien de fortuit.

— Tu prends des risques inconsidérés.

— Mieux vaut que j’aille à eux que l’inverse. Tu sembles oublier que je connais ce monde.

— Les Triades ne sont pas comme les autres. Fais attention.

Il avait baissé la voix. Feng leva les yeux, le regard acéré.

— Tu me menaces, Liang ?

— Je te préviens. La famille Shi domine Shanghai. Tu ne veux pas les avoir à dos.

— Ce n’est pas mon intention.

Il soupira. Trop sûre d’elle, trop directe. Mais aussi brillante. C’est justement ce mélange qui le rendait nerveux.

— Arrête, Liang. Je ne suis pas une gamine. Je suis née dans cet univers. J’y ai grandi. Je sais à quoi m’en tenir.

— Tu es faite pour ça, admit-il à contrecœur.

— J’ai été formée pour l’être.

La serveuse vint prendre leur commande. Le silence s’installa, seulement brisé par les bruits du restaurant. Ce n’est qu’au moment de manger que Tian Liang reprit la parole.

— Tu comptes faire quoi de Shi Shu-Fang ?

Feng le fixa, interloquée par son ton presque détaché.

— Je ne l’utilise pas, si c’est ce que tu sous-entends.

— Je te crois. À moitié. Pourquoi ne pas le faire devenir l’image de Dragon ?

— Non.

— Réfléchis-y. Ça pourrait vous propulser dans une autre sphère.

— Justement. Trop visible. Trop risqué.

— Si l’alliance avec la famille Shi se concrétise…

— Ce serait pire. Tous les projecteurs seraient braqués sur nous. Et certains, bien trop curieux.

Tian Liang se tut. Il connaissait suffisamment le milieu pour comprendre les risques. Lui-même se situait à la frontière : informateur, entremetteur, conseiller. Il avait aidé Feng à s’implanter en Chine. Et s’il savait presque tout d’elle, une zone d’ombre persistait : la vraie raison de sa fuite de Russie. Et surtout, son objectif final.

Ils terminèrent le repas. À leur retour au QG de Dragon, avant qu’elle ne sorte de la voiture, Tian Liang lui remit deux enveloppes scellées.

L’une contenait une liste de sponsors potentiels, l’autre, des informations sensibles sur les Triades de Shanghai et les réseaux de contrebande. Feng les glissa dans sa sacoche avec précaution. Une étape de plus dans l’avancement de son plan.