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Dans le hall de l’aéroport de Domodedovo, à Moscou, Xenia fixait les écrans affichant les horaires de vol. Autour d’elle, des voyageurs de toutes nationalités se croisaient dans une cacophonie de voix, de pas, d’adieux pressés. Le brouhaha la submergeait, mais son regard restait rivé à l’écran, comme s’il pouvait lui offrir un semblant de calme.

— Les passagers du vol AF0198 à destination de Shanghai sont priés de se présenter aux portes d’embarquement C.

Le cœur battant, Xenia suivit le mouvement. Elle arriva devant la porte désignée, où une hôtesse contrôlait les billets avec un sourire mécanique, répétitif. Devant le tapis roulant, elle déposa son sac, le regard accroché à la bande noire qui l’engloutit derrière un rideau. L’instant d’après, un agent lui fit signe de passer sous le portique de sécurité.

Elle inspira profondément, ferma brièvement les yeux. Un frisson glacé remonta le long de sa colonne vertébrale tandis qu’elle avançait, chaque pas plus lourd que le précédent. Elle priait en silence pour que l’aluminium dissimule le couteau glissé dans son dos. Le bip salvateur d’une lumière verte la sortit de son apnée. Elle reprit son sac et son billet, le souffle encore court, et s’engagea dans le long couloir menant à l’avion, les épaules crispées, le cœur chargé d’un poids ancien.

À mi-parcours, bousculée par un passager trop pressé, elle trébucha. Ses réflexes prirent le relais, la maintenant debout de justesse. En se redressant, son regard croisa une affiche publicitaire collée sur la paroi vitrée du couloir.

« Retrouvez les Anges von Keyserling au Palais des sports de Sokolniki, le 5 janvier 2023 à 19h »

Son souffle se bloqua. L’image la happa.

Un homme aux cheveux blancs souriait à l’objectif, maquillé avec soin pour camoufler le temps qui marquait son visage. À ses côtés, une femme, rayonnante, les yeux brillants d’une joie presque contagieuse. Ils étaient l’élégance, la grâce, le talent. Des idoles adulées. Des mirages savamment construits.

Mais Xenia, elle, voyait les fissures sous le vernis. Leurs regards, elle les connaissait par cœur. Elle y lisait la cruauté, la manipulation, la violence. Son cœur se serra, envahi d’une colère sourde. Elle détourna les yeux, la mâchoire contractée, et tourna résolument le dos à cette image mensongère.

Elle monta à bord de l’avion. Une hôtesse consulta son billet et lui indiqua son siège, côté hublot. Elle s’y installa en silence, suivie d’un couple qui prit place à ses côtés.

— Madame, monsieur, bonjour. Mon nom est Irina, votre cheffe de cabine. Le commandant de bord Anton Abakoumov et l’ensemble de l’équipage ont le plaisir de vous accueillir à bord de ce Boeing 777 d’Aeroflot Russian Airlines…

Xenia ferma les yeux un instant, cherchant à se recentrer sur sa respiration. Les mots de l’hôtesse, débités comme un refrain trop répété, se perdirent dans le bruit ambiant.

— …Veuillez attacher et ajuster votre ceinture de sécurité. Nous vous souhaitons un très bon voyage, conclut-elle.

Une autre voix prit le relais, tout aussi mécanique.

— Nous vous informons que les bagages à main doivent être placés dans les coffres ou sous les sièges… Ce vol est non-fumeur. Les démonstrations de sécurité vont vous être présentées.

Peu de passagers y prêtaient attention. Les enfants jouaient à voix haute, des bébés pleuraient déjà. Xenia ajusta sa ceinture, les gestes précis, automatiques. L’avion roula, s’élança, et bientôt quitta le sol. Elle cala sa tête contre le siège, puis glissa un bonbon dans sa bouche pour atténuer la pression dans ses oreilles.

Quand la lumière autorisant le retrait des ceintures s’alluma, la femme à côté d’elle prit la parole, enthousiaste.

— As-tu vu l’affiche à l’entrée de l’avion ? demanda-t-elle à son compagnon. J’aurais adoré voir les Anges von Keyserling en vrai.

Xenia serra les dents.

Le couple s’engagea dans une discussion admirative sur les fameuses icônes. Chaque mot était une lame invisible qui entaillait un peu plus son calme apparent. Elle attrapa ses écouteurs, les brancha, lança le premier film proposé. Peu importait le genre : elle voulait juste ne plus entendre. Ne plus ressentir cette tension dans ses tempes.

Elle aurait voulu leur dire la vérité. Leur révéler les visages véritables de ces soi-disant anges. Mais elle n’était pas là pour éveiller les consciences. Pas encore.

Tout ce que les von Keyserling incarnaient aux yeux du monde n’était qu’une illusion. Un leurre brillant. Et elle en avait été l’un des rouages. Une pièce essentielle. L’arme la plus affûtée. Même aujourd’hui, alors qu’elle fuyait son pays, sa famille, son nom, elle ne pouvait briser entièrement le moule que son père avait façonné.

Elle s’appelait Xenia von Keyserling. Mais ce nom devait disparaître. Pour réussir, elle devait devenir Liu Feng. Manager d’une équipe d’esport à Shanghai. Une couverture. Un nouveau rôle. Mais au fond, toujours la même mission.

Et ce plan, elle l’avait dessiné de ses propres mains.


Texte publié par Aihle S. Baye, 25 mai 2024 à 21h05
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