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New York City, 14 novembre 1986

La musique battait à tout rompre, déversant dans la salle éclairée par quelques stroboscopes blancs une lumière qui aurait donné le tournis à n’importe quel être humain non alcoolisé. Dans cet endroit saturé par la chaleur et les vapeurs moites de boisson, la jeunesse retrouvait son insouciance dans un monde brutalement entré dans la guerre.

Dehors la propagande anticommuniste rongeait un monde accablé par les malheurs humains.

Pour quelques heures au moins, tous les clients se déhanchaient sur les rythmes de la musique synthétisée, oubliant tout le reste.

Dans le capharnaüm ambiant, Parker attendait patiemment au bar, un verre à la main.

Avec son regard noir et le crâne rasé, il avait des allures de militaire en permission. Une chemise bleue ample aux manches remontées lui donnait un air de touriste en vadrouille.

Malgré sa taille, ainsi noyé dans la foule dense en mouvement, il pouvait presque passer inaperçu.

L’alcool n’avait pratiquement aucun effet sur lui, mais il savait que les quelques minutes pendant lesquelles son cerveau peinait à raccrocher ses sens à son environnement, il devenait insouciant. Presque un homme normal.

Le bar de la boite de nuit se limitait à un étroit couloir surplombé par quelques néons fluorescents colorés. La fumée de cigarette embrumait l’endroit d’un voile blanchâtre, mais rien ne semblait pouvoir lui échapper pour autant.

« Hey gamin ! le héla le serveur.

— Un autre, répondit simplement Parker en reposant le verre vide sur le comptoir.

— C’est le cinquième verre de Rhum, je sais que toi et les autres gamins de ton âge pensez que… »

Parker le dévisagea sans baisser les yeux et posa sur le comptoir l’argent pour payer sa consommation.

« Okay, le client est roi. »

Une fois servi, Parker engloutit le contenu avec avidité et reposa le verre à côté de lui avant de s’éclipser. Marcher au milieu des autres personnes alcoolisées lui donnait un peu la sensation d’être comme tout le monde.

Pourtant, il était différent.

Dans un moment d’égarement, il bouscula un jeune homme qui lui lança un regard noir. Après quelques excuses inaudibles, Parker reprit la route en direction des vestiaires. Cette fois, il avait envie de quitter l’atmosphère chargée de la boite de nuit pour respirer au-dehors.

La porte en métal se referma derrière lui dans un claquement sec, il fit quelques pas et ferma les yeux pour mieux inspirer. La ruelle était déserte et balayée par un courant d’air froid qui fit remonter un frisson sous sa chemise.

La porte s’ouvrit à nouveau et il entendit quelques pas derrière lui et une respiration bruyante qu’il assimila à celle d’un animal à bout de souffle.

« J’ai pas envie de te faire mal, déclara-t-il d’un ton las avant de se retourner. Je suis pas là pour toi. »

L’homme en face de lui devait faire à peu près sa taille et à la vapeur qui se dégageait de l’individu, il devina que lui aussi avait sans doute englouti bien trop d’alcool pour être pleinement conscient de ses actes.

« Tu te prends pour un caïd ? On ne me manque pas de respect ! »

L’homme frappa sur son torse pour accompagner ses paroles, mais Parker n’était ni intéressé ni impressionné.

« Attends Ty’, l’interpella son comparse avant de lui chuchoter quelque chose à l’oreille. Laisse tomber, conclut-il à voix haute.

— T’as de la chance « Titan », cracha l’agresseur avec mépris. Vraiment d’la chance que j’ai pas envie de te fracasser le crâne ! »

Parker sourit à la menace. À présent que son identité avait été révélée à son agresseur, ce dernier tentait une pirouette pour espérer s’en sortir indemne sans perdre la face.

« Mais ça t’autorise pas à manquer de respect aux gens ! »

Parker avait arboré jusque-là un sourire, mais il prit un air plus grave qui provoqua la fuite des deux hommes. La notoriété n’avait pas que du bon, mais au moins pouvait-il s’éviter d’avoir des ennuis plus facilement.

Son estomac lui rappela qu’il n’avait pas mangé décemment depuis deux bonnes heures. Son métabolisme particulier avait toujours provoqué une faim abyssale. Enfant, il engloutissait une douzaine de repas par jour.

Les nombreux médecins qui tentèrent de percer le mystère de cette anomalie génétique se heurtèrent à une réalité étonnante : il n’y avait rien d’anormal chez lui. Son métabolisme élevé lui avait permis de se révéler un formidable athlète dès l’adolescence et ainsi provoquait des besoins importants.

Une Chevrolet noire se gara dans son dos et un homme d’une quarantaine d’années en costume sombre le toisa, un masque de colère obscurcissant ses traits.

« Je n’aime pas beaucoup devoir te courir après.

— Détends-toi l’vieux ! »

L’homme se renfrognait encore davantage quand une seconde personne quitta l’habitacle du côté conducteur :

« Thompson, ça suffit, ordonna-t-il à l’autre agent. Reynolds, à moins que tu n’aies envie de tester les limites de ma patience, je te conseille de monter, on a du boulot. »

Le premier ravala sa fierté et disparut derrière le volant.

Parker obtempéra, s’il n’avait rien à craindre physiquement, il savait que le directeur de l’Agence ATLAS n’était pas sans ressource. Lors de leur première rencontre, il s’était assuré que cela soit parfaitement intégré par celui que le public avait ensuite surnommé Titan.

« Je veux que tu sois prêt à partir dans une heure, lui ordonna simplement le directeur. Et rends-toi présentable. »


Texte publié par Théâs, 27 mai 2023 à 17h02
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