Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 5 « Section 03, salle 121, tout au fond du couloir. » tome 1, Chapitre 5

Section 03, salle 121, tout au fond du couloir.

Markus.

*

La botte de Hopk’ins claqua avec un bruit sourd contre le béton. L’écho lourd d’un martèlement répété, compulsif, celui d’une épaisse semelle de cuir qui s’abat sur le sol. Markus se retint de jeter un coup d'œil à son collègue pour se concentrer sur le corridor vide.

De retour à son poste, bien droit devant la porte de la salle 121, il avait retrouvé Hopk’ins agité ; il trépignait le dos au mur, la mâchoire crispée, marmonnant désormais entre ses dents des choses incompréhensibles que Markus ne discernait pas. Pas qu’il n’ait souhaité les entendre cela dit.

Le bout de la chaussure de Hopk’ins s’écrasa de nouveau avec violence sur le sol. De grandes bottes noires, cachées par le pantalon de costume anthracite identique à celui de Markus. Elles étaient l’option professionnelle la plus proche de ce que portait Hopk’ins en dehors du travail. Une semelle compacte crantée, un cuir mat usé. Les lacets très serrés et noués à double tour avaient été rentrés à l’intérieur des chaussures.

Markus se retint de faire la moindre remarque, en dépit du bruit agaçant. Un mot de travers et les chuchotements anxieux se transformeraient en crise.

Il préféra ignorer les états d’âme de son collègue en scrutant de ses yeux clairs les murs mats du corridor. Une couleur sombre, qui aurait su être agréable si la lumière n’avait pas été si abrupte.

A côté de lui, Hopk’ins remua davantage. Cette fois, Markus ne sut l’ignorer et il lui jeta un rapide regard en biais.

Ses mains affairées dans les poches de son pantalon, Hopk’ins avait les yeux instables. D’un geste nerveux, il ne parvenait pas à se dépêtrer des pans ajustés de sa veste de costume.

— Merde, j’ai besoin d’une clope, l’entendit-il enfin maugréer alors qu’il continuait de fouiller.

— C’est interdit dans le bâtiment, se permit de rappeler Markus.

Son ton morne, il avait détourné les yeux de son collègue pour éviter que leurs regards ne se croisent. Une connerie suffit, songeait-il.

Il sentit malgré tout l’autre le fusiller du regard.

— Rien à foutre, rétorqua Hopk’ins.

Il retourna à ses poches. Markus osa un autre coup d'œil ; Hopk’ins avait coincé son briquet entre ses dents, toujours affairé à la recherche de ses cigarettes. Sur ses cestes, les mitaines métalliques qu’il portait aux poings, quelques tâches de sang du jeune garçon blond.

Markus soupira.

— Il y a des détecteurs.

Hopk’ins s’interrompit pour jurer entre ses dents. Son briquet retrouva sa main et il l’observa quelques instants, comme en pesant le pour et le contre. Finalement, il souffla un grand coup et se résigna à ranger le petit objet dans sa poche.

— Même pas moyen de fumer un coup, fais chier.

Je croyais que tu avais arrêté.

Markus garda sa remarque pour lui. De nouveau, un lourd silence entre eux, rythmé du seul battement névrosé de la botte de Hopk’ins sur le sol.

De l’autre côté du mur, les voix s’étaient faites suffisamment basses pour que Markus n’en distingue pas un mot. Il tendit l’oreille davantage, dans l’espoir de deviner plus qu’un murmure à travers la paroi épaisse de béton armé. Sans succès.

Pas qu’écouter aux portes n’ait été dans ses habitudes, bien sûr. Mais l’on pouvait apprendre de nombreuses choses en se montrant indiscret. Déformation professionnelle, pensa-t-il pour se dédouaner.

La voix rauque de Hopk’ins le tira de sa concentration :

— Merci d’avoir omis les détails, pour le gamin.

Markus ne lui offrit qu’un bref coup d'œil avant de fuir le regard brûlant posé sur lui. Son collègue semblait incapable de faire quoi que ce soit sans grande émotion. Incommodé, il se concentra sur le couloir vide devant lui avant de hausser les épaules.

— Ce n’est rien.

Pas un mot de plus.

Quelques minutes plus tard seulement, la quiétude fut brisée d’un déclic métallique et la porte automatique entre eux s’ouvrit avec un bruit sec.

Hopk’ins cessa brutalement de taper du pied.

— … suis sûre que tu y arriveras, mon cher, conclut la femme.

— Je ferai de mon mieux, madame, répondit humblement son interlocuteur.

Elle sortit la première. Le claquement soudain du bois rouge verni de ses grandes sandales sur le sol dur fit tressaillir Hopk’ins.

Kalopsia jeta immédiatement un regard à sa droite pour le dévisager. Elle présentait sa nuque tatouée à Markus, un cou d’écailles violettes découvert par son carré de cheveux noirs impeccablement coupé. Elle souriait, Markus le savait sans même voir son visage.

Hop’kins s’était mis à fixer le sol avec une application toute particulière, rigide. Ses yeux brillaient déjà.

Derrière Kalopsia, un homme élancé sortit de la classe à son tour. Ses courts cheveux blonds tiraient sur le roux et une paire de lunettes dorées en demi-lunes ouvertes était posée sur son nez. A peine plus vieux que Hopk’ins, un peu plus jeune que Markus. Il resta campé dans l’embrasure de la porte et s’appuya contre le cadre d’un mouvement naturel, les mains enfoncées dans les poches de son costume vert pâle. Il demeura muet, se contentant d’un regard complice à Markus au passage avant de se concentrer sur Kalopsia.

Celle-ci ne perdit pas plus de temps pour s’adresser à Hopk’ins :

— Je crois qu’il faut que nous discutions ?

Un ton doucereux, auquel Hopk’ins ne répondit que par un claquement de langue. Il ne bougea pas son regard du sol bétonné, sourcils froncés et mâchoire serrée.

Kalopsia émit un petit son mécontent mais ne perdit pas une once de son humeur pour autant. Le bruit si bref fit frémir Hopk’ins. La femme ne s’en formalisa pas et se tourna pour enfin aviser Markus, plongeant directement ses yeux fins couleur ocre dans les siens.

— Que s’est-il passé ?

Petite et voluptueuse, ses chausses ne suffisaient pas à l’élever à la taille de Markus dont elle était loin d’égaler la carrure. Kalopsia paraissait pourtant plus imposante que lui, vêtue de tissus délicatement brodés de motifs discrets, de bleu profond, d’orange, de rouge et de blanc francs. Elle dévoilait ses bras recouverts d’encre sombre aujourd’hui, mais toujours, Kalopsia se trouvait dépourvue du moindre bijoux.

La demande fatigua Markus. Comme si elle ne le savait pas déjà.

— Un étudiant a demandé à s’entretenir avec Williams, énonça-t-il platement. Il a été averti à plusieurs reprises et s’est montré violent lorsque Hopk’ins a tenté de l’escorter hors du couloir. Il a été pris en charge par l’infirmerie.

Au téléphone avec la sécurité du bâtiment C, Markus avait omis le nez cassé. Kalopsia n’aurait pas pu connaître ce détail. Quand bien même, il aurait nié l’avoir remarqué.

Les lèvres pleines, maquillées de rouge de sa supérieure s’étirèrent en un grand sourire.

— Bien, lui dit-elle sur le ton de quelqu’un qui savait déjà tout. Hajar ?

Hopk’ins grogna, mais alors qu’elle se tournait de nouveau en sa direction, il se décolla immédiatement du mur. Markus devina un regard jaune glaçant, un amusement insolent, et son collègue se redressa avec peine sous les yeux scrutateurs, faisant face tête baissée à Kalopsia. A contre-coeur, il articula le «oui» un peu plus audible qu’elle attendait.

— Dans le bureau, ordonna-t-elle.

— Compris.

Hopk’ins avait frémi, mais il fila droit sans un regard en arrière. Le grand blond se décala de l’entrée pour le laisser passer et alla se placer près de Markus.

— Je ne vais pas en avoir pour très longtemps, les garçons, ajouta Kalopsia en s’adressant à eux alors qu’elle rejoignait le bureau à son tour. Soyez sages.

Et sur un dernier sourire, la porte fut refermée avec un claquement de métal sec. Dans le couloir, un silence de mort.

Je vais enfin pouvoir souffler.

— Enfin tranquille ? lui demanda une voix calme et suave.

Markus se retint de soupirer. L’homme venait déjà de ruiner sa paix.

Il se tourna vers le blond qui lui souriait les lèvres pincées. Amer, mais raisonnablement amusé, nota Markus. Lui ne voyait rien de drôle au sort de son collègue.

— On peut dire ça, rétorqua-t-il à demi-mot en haussant légèrement les épaules.

Williams eut un petit rire propre avant de retirer ses lunettes d’un geste assuré. Sous son œil gauche, trois jolis grains de beauté alignés en file indienne. Le professeur sortit un carré de soie blanche de sa poche afin d’essuyer les verres. Une fois la paire replacée sur son nez, il s’appuya contre le mur de pierres sombres et jeta de nouveau un regard à Markus.

— Tu vas bien ? Ça fait longtemps qu’on n’a pas eu l’occasion de discuter, toi et moi.

— Hmm, éluda vite Markus. Pour le peu de temps, je préfère t’avertir.

— A propos de ?

— Le garçon qui a voulu te voir. Il était louche. Des écritures partout sur le visage.

Williams haussa un sourcil et ses mains retrouvèrent les poches de son pantalon en un geste nonchalant.

— Des écritures ? releva-t-il sans grande conviction.

— En ral.

L’information manqua de faire glisser l’homme qui se redressa très vite de son mur. Sa bouche entrouverte, il posa son regard pantois sur les yeux clairs de Markus.

— En alphabet ral ? répéta-t-il. Un étudiant ?

Markus acquiesça et Williams fit quelques pas pour s'écarter de lui. Son regard se perdit dans le gris hétérogène du sol cimenté et il déclara, pensif :

— Il n’était pas d’ici. Un humain, tu dis ?

Les peuples areks avaient pourtant l’exclusivité de cet alphabet. Markus acquiesça.

— Un humain. Il a dit venir de loin, confirma-t-il. Trarien, probablement.

Williams eut un rire narquois en posant son regard sur Markus de nouveau.

— Il a eu le temps avant que Hopk’ins se jette sur lui ? Je suis impressionné, ironisa-t-il dans un effort d’alléger le ton.

La tentative d’une réelle pique, savait Markus. Il se contenta de hausser les épaules avec flegme.

— Il faut croire, éluda-t-il.

Williams ne s’attarda pas plus longtemps, le timbre de sa voix plus pressant malgré le ton de la conversation :

— Et donc, tu as pu lire ça ? Kelt ou téanen ?

Il s’était mis à arpenter un morceau du corridor dans un calme relatif. L’expression nonchalante du professeur n’était trahie que par la faible crispation à la commissure de ses lèvres fines et par la lueur inquiète du fin fond de son regard brun.

Markus répondit avec une seconde de latence, scruté par les yeux d’amandes attentifs :

— «Je regarde, et je suis sacré. L’âme que je suis est le Créateur, et le Créateur est moi,» restitua-t-il. Plein de fautes. Mais c’était du kelt.

— Qu’est-ce que ça signifie ?

— Du charabia religieux sans fondement, répliqua Markus. Rien de kelt.

— Tu en es sûr ?

Markus leva les yeux au ciel et en face de lui, Williams soupira. D’un air plus bougon, il rectifia :

— Evidemment que tu en es sûr. Excuse-moi, mais ça ne me dit rien qui vaille. Comment aurait-il appris ? Surtout si ça n’avait rien de kelt, autrement que par les lettres ?

— Je n’en sais rien.

— D’un vieux livre ? Ce pourrait être une possibilité ?

Le professeur s’était rapproché à mesure de ses questions. Markus se retint de souffler devant l’idiotie de la demande.

— Je n’ai jamais vu une seule feuille de papier dans ce pays en vingt-six ans, répliqua-t-il.

Williams s’arrêta net dans sa rumination et retira ses lunettes pour prendre son front entre ses doigts.

— Evidemment, répéta-t-il entre ses dents dans un soupir. Des tablettes d’argiles, pas des livres.

Il est trop fatigué, nota Markus. Le Congrès, certainement. Il regretta sa chicane et se reprit en détournant le regard de l’homme usé :

— Oui, c’est une possibilité. Mais j’en doute.

— Et je suppose qu’il n’avait pas exactement le physique de quelqu’un qui passe ses vacances en Kelt ? rétorqua Williams en remplaçant sa monture dorée sur son nez.

Il oeilla Markus, railleur. Celui-ci manqua de laisser échapper un reniflement moqueur.

— Non, en effet.

— Quoi ? insista Williams, l’ombre d’un sourire narquois revenue. Il n’était pas bâti comme toi ?

— Chétif, se contenta de répondre Markus.

Suffisamment stupide pour s’approcher de Hopk’ins après avertissement cela dit.

— Alors ?

— Il doit connaître quelqu’un qui y est allé.

Williams fronça les sourcils et s’approcha de quelques pas supplémentaires pour proférer à voix semi-basse :

— C’est possible ? Je croyais que tu étais le seul à t’y risquer ?

— Je suis le seul à y aller si souvent, corrigea Markus sur le même ton.

Il avait baissé la tête, et le timbre profond de sa gorge se terrait comme s’il craignait que Kalopsia ne puisse les entendre à travers l’épaisseur de béton armée des murs dallés. Williams croisa les bras sur son torse, le cou penché en sa direction.

— Tu as déjà croisé d’autres humains ? Qui parlaient le kelt aussi bien que toi ?

Markus secoua la tête et se redressa.

— Non, mais on ne sait jamais. Des archéologues trop curieux, peut-être.

— Et l’étudiant en connaîtrait un ?

— Je n’en sais rien, répéta Markus. Je voulais juste te prévenir.

— Ça ne me plaît pas, gronda Williams en se détachant de lui à son tour. Merci, je garderai un oeil là-dessus.

Il arpenta la largeur du corridor de quelques enjambées nerveuses, les bras croisés fermement sur sa chemise à laquelle il donnait des faux plis.

— On ne sait jamais où peuvent mener les dérives sectaires des trariens. Je me renseignerai, conclut le professeur.

Markus se contenta de hocher la tête. Moi aussi, songea-t-il. Si j’en ai le temps. Avec le Congrès en préparation, rien n’est moins sûr.

Le silence retomba enfin entre les deux hommes.

Williams avait sorti son téléphone portable d’un geste distrait. De retour à sa garde active de la porte, Markus l’ignora et se focalisa sur le reste des alentours.

Le grésillement des néons bourdonna quelques secondes dans ses oreilles avant qu’il ne range le bruit parasite au loin dans le prisme de son attention. Ses yeux plantés dans l’horizon dont il ne discernait qu’à peine la balustrade du hall au bout du couloir, Markus laissa traîner son oreille plus loin. De l’autre côté de la porte de métal close, quelques bribes d’un monologue animé, qu’il peina à comprendre.

Ils mettent plus de temps que prévu, remarqua-t-il en se concentrant davantage. Quelques mots lui parvinrent dans le silence austère du corridor, des morceaux de reproches dont le ton seul permettait à Markus de comprendre l’intention. Habituellement, c’était à peine l’affaire de cinq petites minutes et la vie reprenait son cours. Le Congrès, supposa encore Markus. En dépit de son assurance, Kalopsia devait être soumise à un stress immense ces dernières semaines de préparatifs.

«… tu sais bien que… et… déçue que tu… un animal, Hajar, tu…» perçut-il. Le timbre d’une voix charmante, moralisatrice, étouffée par l’épaisseur des murs et de la porte. Cela le conforta dans son choix de n’avoir pas mentionné le nez cassé. Il n’osait pas imaginer l’état dans lequel il récupérerait son collègue.

— Lewis va bien, le coupa soudainement Williams.

Les mots suffirent à ruiner ses efforts. Sa concentration brisée en même temps que la quiétude du couloir, Markus manqua de lever les yeux au ciel. Il ne s’en fichait pas, mais ce n’était pas le moment.

— Tant mieux, répondit-il poliment.

Il replongea immédiatement dans son mutisme, reportant son attention sur la salle de classe à nouveau. Williams sembla comprendre le message car il n’ajouta pas un mot.

De l’autre côté de la porte, un objet tomba avec fracas sur le sol. Une chaise. Hopk’ins hurla quelque chose mais fut tu dans la seconde, Markus n’eut pas le temps de comprendre que le vacarme était déjà terminé.

Plus un son, plus rien. Markus échangea un regard plat avec Alec qui leva les yeux au ciel.

La porte s'ouvrit à peine quelques secondes plus tard.

— Nous avons terminé ! lança Kalopsia à la volée en émergeant du bureau. Merci pour votre patience, les garçons.

Sur ses lèvres, l’air d’une satisfaction assurée, celle de quelqu’un qui avait obtenu ce qu’il souhaitait au détail près. Si Williams fit l’effort de lui rendre ce sourire, Markus quant à lui demeura stoïque.

Hopk’ins sortit du bureau à son tour. Les mains dans les poches, sa veste de costume coincée sous l’épaule, les manches de sa chemise sombre avaient été retroussées jusqu’aux coudes. Les veines de ses avant-bras saillantes racontaient la crispation de ses poings qui devaient être serrés jusqu’au sang, autour de ses cestes qu’il n’avait pas retirés. A son poignet, un bracelet métallique scellé, serré comme s’il avait été soudé contre la chair. L’homme se mordait l’intérieur des joues, son regard rouge fuyait celui de Markus. Les yeux encore humides, il ne prononça pas un mot et fut ignoré de tous.

Kalopsia préféra porter son attention sur Williams et leva la tête en sa direction :

— Alec, mon cher, je te remercie pour ton sérieux et ta compréhension. Tu recevras les détails ce soir et partiras dans vingt jours, c’est bien compris ? Tu es attendu au bureau pour le reste de la semaine.

— Oui, madame.

— Si tout est clair, c’est parfait ! se réjouit-elle avant d’aviser Markus et Hopk’ins : Les garçons ? Nous partons.

Markus hocha la tête avec fermeté et réserve. Son collègue ne fit que tourner la sienne. Heureusement pour lui, Kalopsia ne s’attarda pas sur ce manque de répondant. Elle offrit un dernier signe de la main au professeur Williams et s’engagea à petits pas dans le long couloir, ses gardes du corps sur les talons.

Le retour du claquement des sandales vernies de rouge, de la résonance sèche contre le sol cimenté du corridor vide. Les bottes de Hopk’ins se firent plus discrètes, réduites à quelques couinements de cuir souple. Markus, lui, était parfaitement silencieux. Il détestait les coups de bois froids qui retentissaient avec la violence d’une claque à chaque pas. Il n’aurait souhaité qu’un lourd silence à leur place.

Ils retrouvèrent le hall et la foule quelques instants plus tard. Les bavardages des étudiants se turent, de l’espace fut fait dans la seconde : Kalopsia descendit sans encombre les escaliers dégagés.

Pas un mot n’avait été nécessaire. Un sourire, un regard, un murmure qui se propage parmi le public ; «La Brehin !» Et le bruit hantant de ses chausses qui l’accompagnait où qu’elle aille.

Un serpent à sonnette. Elle en a les yeux et les méthodes. Sa beauté devenait un détail ; elle n’y recourait jamais.

Ils eurent quitté le bâtiment quelques minutes plus tard. Dehors, le soleil caressa leurs visages et la brise sèche força Hopk’ins à enfiler sa veste de costume à nouveau. Son geste se figea alors qu’il ajustait la seconde manche et que la voix de Kalopsia retentit soudainement :

— Markus ?

Hopk’ins acheva son mouvement avec un frisson timide. Markus baissa la tête mais personne ne s’arrêta et ils poursuivirent leur progression le long des vastes pelouses d’herbe rase.

— Oui ?

— As-tu discuté avec Alec ?

— Oui.

— A quel sujet ?

— Son élève.

Markus n’avait pas hésité avant de répondre, pourtant Kalopsia s’arrêta net. Raide au centre du chemin, Markus ne put que fixer son dos, la naissance de sa nuque tatouée et son carré court de cheveux noirs malmené par le vent.

— Ah, vraiment ?

Une voix toujours aussi enjôleuse. Mais sans même voir son visage, Markus était certain qu’elle ne riait plus.

— Oui, répéta-t-il.

— Et donc ?

— Il va bien.

Kalopsia vit volte-face, souriante. Aucune ride aux coins des yeux, simplement des pupilles froides scrutatrices.

— C’est une bonne chose, minauda-t-elle. Vous vous entendez bien, Alec et toi.

— Je suppose.

Il soutient le regard ocre et discerna le tic furtif d’un froncement de sourcils. Les yeux plissés, inquisiteurs, Kalopsia le fixa encore quelques secondes avant de se retourner.

— Il ne faut pas que tu oublies, Markus, que peu de choses m'échappent très longtemps, prévint-elle de sa voix doucereuse.

— Oui.

Il ne pouvait rien dire de plus. Le claquement des dents de bois rouge retentit de nouveau sur le sol pavé. Markus et son collègue réemboîtèrent le pas à leur supérieure.

Hopk’ins avait évité de poser les yeux sur quiconque depuis qu’il était sorti du bureau, ni n’avait prononcé le moindre mot. Markus en fut presque inquiet.

Le grand portail principal en fer blanc de l’Académie fut franchi une dizaine de minutes plus tard. Non loin, une voiture noire luxueuse les attendait, garée seule sur le trottoir de pierres blanches.

Kalopsia monta la première à l’arrière et Hopk’ins passa sur la banquette avec elle, toujours muet. Markus rejoignit la place passager à l’avant, aux côtés du chauffeur.

— Où allons-nous, madame ? demanda celui-ci.

— Nous rentrons.

— Entendu.

La voiture démarra sans autre mot. Markus jeta un œil dans le rétroviseur central.

Kalopsia le fixait déjà. Leurs regards se croisèrent et elle sourit, ses yeux jaunes toujours menteurs. Markus détourna les siens.

Je suis fatigué. D’elle, de la situation, de lui-même ; il n’en avait aucune idée.


Texte publié par Glem_ayteoli, 17 mai 2023 à 20h54
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 5 « Section 03, salle 121, tout au fond du couloir. » tome 1, Chapitre 5
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2614 histoires publiées
1166 membres inscrits
Notre membre le plus récent est TeddieSage
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés