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tome 1, Chapitre 5 « Un homme étrange » tome 1, Chapitre 5

Le retour vers l’ancienne garnison prit un temps très long. Le fantôme était presque un poids mort pour elle, il boitait lourdement et trébucha à plusieurs reprises. Ils durent s’arrêter pour qu’il reprenne son souffle plusieurs fois. Heureusement ils traversèrent une partie de l’île qui étaient protégées par de nombreux arbres. Cependant, elle fut soulagée lorsque leur destination apparut devant eux.

Un épais bosquet d’arbres poussait contre le mur ouest et une poterne s’ouvrait directement sous leurs frondaisons. C’est par là qu’Isobel fit entrer l’homme masqué. Il l’avait suivi du mieux qu’il pouvait, sans se plaindre, jusqu’ici, mais elle sentait bien qu’elle n’aurait pas pu le porter bien plus loin. Elle n’avait pas pu regarder la profondeur de sa blessure au flanc. Cependant, la quantité de sang qu’il laissait derrière lui était faible, ce qui était rassurant en soi.

Il appuya sa main libre sur le mur pour se stabiliser et l’aider de son mieux, alors qu’ils remontaient le couloir obscur jusqu’à l’ancienne infirmerie. Les fenêtres avaient été bloquées par des planches de bois, de même que la porte principale des baraquements. Elle vérifierait par acquis de conscience en partant, mais elle ne pensait pas que quiconque aurait osé les forcer. Une faible lumière traversait les parties mal jointes des volets. Isobel murmura quelques paroles et agita sa main libre : une petite boule d’énergie se matérialisa devant eux. L’homme la contempla.

Lorsqu’elle poussa la porte, il s’appuya sur le chambranle et observa le lieu d’un regard méfiant. La boule de lumière voletait non loin du plafond et dévoilait la salle dans un clair-obscur.

Un matelas propre, avec des draps et des couvertures, des bandages et d’autres ustensiles dans un meuble à tiroirs ainsi qu’une table sur laquelle étaient posés une bassine et un miroir avaient été rapportés en ce lieu par ses soins. Isobel y avait installé une sorte d’antenne privée pour les soirs de combat particulièrement violents.

La guerrière aida le blessé à s’asseoir sur le matelas et partit à la recherche de ce qu’ils pourraient utiliser. Il s’installa le plus confortablement possible, soulagé de ne plus avoir à lutter pour rester debout. Il avait l’impression que tout en lui était douloureux. Il n’avait miraculeusement reçu aucune blessure grave dans sa chute, mais il s’était tordu la cheville.

Il tremblait encore non seulement de douleur mais aussi du souvenir des coups que les brutes lui avaient infligés sur les ordres de Valronn. Plus encore le regard triomphant et cruel de Sélyna était gravé dans sa mémoire. Et la vision du corps sanglant de ce pauvre homme sur la scène se superposait à tout le reste.

Et puis il y avait cet étrange garde, qui au lieu de l’arrêter, l’avait aidé à s’enfuir. A moins qu’elle n’ait une autre idée en tête. Il riva ses yeux épuisés sur sa compagne : sa chevelure d’un noir de jais était courte et rasée sur la nuque. Sa peau à la teinte bleutée et ses oreilles légèrement pointue la désignaient comme originaire du Bastion du Verre. Elle était à la fois magicienne et soldat. Que lui voulait-elle vraiment ? Lorsqu’elle revint, les mains chargées de bandages et de flacons, il ne put s’empêcher de se raidir. Son flanc protesta et il poussa un grognement de douleur. La jeune femme s’agenouilla près de lui et posa les objets bien en évidence sur le matelas. Il constata qu’elle avait des yeux d’un bleu limpide. Sa sphère lumineuse flottait près d’eux.

— Puis-je savoir … votre nom ? fit-il en serrant les dents sous une vague de douleur.

— Isobel, répondit-elle.

Le silence s’étendit entre eux. Le soldat haussa un sourcil.

— Je suppose que vous ne me direz pas le votre ?

Un haussement d’épaule fut sa seule réponse. Ses yeux avaient soudain pris un éclat métallique et s’étaient plissés. Même avec son masque, elle sentait sa défiance, comme un animal blessé et traqué.

— Je vais vous appeler Masque, alors. Il faut que j’examine vos blessures.

Instinctivement sa main se posa sur son flanc en un geste de protection. Puis il prit une profonde inspiration et se força à se détendre. Il écarta le bras. D’un geste lent et doux, elle souleva sa tunique sale et dévoila son ventre. Sa peau laiteuse paraissait presque transparente et il était d’une maigreur telle qu’elle apercevait ses côtes. Elle grimaça légèrement en voyant les hématomes jaunâtres sur une partie de son ventre et de sa poitrine. Elle eut du mal à retenir un sursaut de dégoût lorsqu’elle aperçut les amas de chairs scarifiées sur son flanc gauche, son ventre et sa poitrine.

Toutefois elle se concentra sur la blessure. Sur le côté gauche, une estafilade assez longue, mais peu profonde remontait vers ses côtes. Elle palpa un peu la chair. Il se tendit, mais ne bougea pas. Elle sentait ses muscles tremblants sous ses doigts.

— Je vais nettoyer la plaie. Cela devrait suffire : elle n’est pas très profonde.

L’homme resta silencieux, alors qu’elle prenait un tissu propre et un flacon. Elle versa le contenu du flacon sur lui et frotta la peau et la plaie avec. Au contact du liquide froid, l’homme se crispa encore davantage. Une sensation de brûlure se répandit, mais il la supporta stoïquement. Puis elle posa un bandage qu’elle enroula autour de son ventre. Il se laissa faire tout du long, frissonnant légèrement à son contact. Une fois terminé, elle remit sa tunique en place.

— Merci, murmura le masque.

Dans sa voix elle sentait une gratitude mêlée de méfiance. Elle ne pouvait pas l’en blâmer, étant donné sa situation.

— Il faut que je m’occupe de votre visage, fit-elle en levant la main.

D’un geste vif, il referma sa main gauche sur son poignet et stoppa son mouvement.

— Non.

— Il faut nettoyer votre blessure à la tempe.

— Je vais le faire.

Elle baissa le bras et il la lâcha, reposa sa main contre son flanc. Elle l’observa un moment, fixant le masque et se rappelant l’aperçu qu’elle avait eu de son visage, ainsi que des cicatrices sur son corps. Que lui était-il donc arrivé pour que son corps porte ces stigmates ? Était-il né ainsi ? Elle décida de ne pas insister. Elle se releva et il suivit son mouvement de ses yeux paniqués.

— Je vais chercher de l’eau au lac. Reposez-vous en attendant.

Il ne répondit pas et la regarda quitter la pièce en refermant la porte derrière lui. Il s’attendait au son d’un verrou, mais celui-ci ne se produisit pas. Alors il s’allongea de tout son long, dans une position qui n’appuyait pas sur son flanc ou ses hématomes et ferma les yeux.

Il ne sut pas combien de temps s’était passé quand elle revint. Le bruit de la porte et de ses pas le réveillèrent en sursaut, mouvement que son flanc n’apprécia pas du tout. Il grimaça mais parvint à retenir le gémissement.

Elle porta le seau qui clapotait jusqu’à la bassine et le versa à l’intérieur. Puis elle posa le flacon et des tissus propres sur le meuble, juste au pied du miroir. Elle se rapprocha alors de lui et l’aida à se lever.

— Je vous laisse faire. Je vais attendre dans le couloir. Appelez-moi quand vous aurez terminé.

Le masque hocha la tête. Elle sourit et quitta la pièce. Il avança doucement jusqu’au meuble et s’observa une seconde dans le miroir. Son masque était recouvert de sang et le côté droit était fêlé. Le souvenir du violent coup de canne qu’il avait reçu à cet endroit le fit grimacer. Il enleva lentement l’objet de son visage et le laissa tomber à côté de la bassine. Lorsque ses yeux se posèrent sur son reflet, il se retint de se détourner. Le côté gauche de son visage était boursoufflé et traversé de larges cicatrices rougeâtres. Ses lèvres crispées en une grimace éternelle étaient pâles et presque inexistantes. Le côté droit, à la peau lisse et diaphane, était d’une beauté angélique. Ce contraste accentuait encore sa laideur.

Il prit le tissu d’une main tremblante et y versa une petite quantité du flacon, puis il le frotta sur les plaies de sa tempe et de ses lèvres. Ensuite il le plongea dans l’eau fraiche pour le rincer et se nettoya le reste du visage et ses cheveux imbibés de sang. Lorsqu’il fut satisfait, il submergea le masque et le nettoya consciencieusement, avant de le sécher.

Il le remit en place. Une fois toutes ses tâches accomplies, il fut soudain pris d’un vertige et vacilla. Il s’agrippa au meuble et crispa les paupières, mais ses jambes cessèrent brutalement de le porter et il s’affala, faisant tomber la bassine qui claqua bruyamment sur le sol.

La porte s’ouvrit vivement et Isobel surgit. Elle poussa un juron et le rejoignit en quelques pas. Elle souleva son bras droit, le passa par-dessus son épaule et l’aida à se relever. Puis elle le conduisit à son lit et l’aida à s’y allonger. Elle resta un long moment, la main posée sur son épaule. Elle sentait la chaleur et les tremblements qui se répandaient dans son corps.

— Écoutez. Je vais aller chercher de la nourriture et de quoi rendre cet endroit un peu plus confortable. En attendant, essayez de dormir.

— Je ne peux pas rester ici, fit le blessé.

— Vous n’avez pas vraiment le choix, dans l’état où vous êtes.

— Qu’est-ce qui me dit que vous n’allez pas ramener les gardes ou les sbires de Valronn ?

Son raisonnement n’avait pas de sens, mais dans l’état de choc où il se trouvait, c’était compréhensible.

— Je vous donne ma parole. Je n’ai que cela à vous offrir. Mais cela ne serait pas très logique que je vous sorte du souterrain pour vous jeter ensuite en pâture aux loups.

Il resta silencieux et la considéra un long moment. Cependant elle voyait bien que le sommeil était en train de l’envahir. Il hocha la tête. Elle sourit, attrapa la couverture pliée à côté du lit improvisé et la drapa sur lui.

— Je serai vite revenue.


Texte publié par Feydra, 30 avril 2023 à 22h08
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