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CHAPITRE 15

Thé, sucrettes et causettes

Une histoire de l’univers Esoteriam

Note de Grimm : chapitre écrit dans le cadre d'un défi donné (écrire sur une "inversion des rôles animaux/humains").

Θ

— Hop hop hop, on fait de la place, couina Grimouche, plateau entre les pattes, à tenter de se frayer un passage parmi ses convives.

Il esquiva de peu la queue de Sieur Tigre et sauta sur une chaise libre pour servir le thé à la famille de Phacochon qui s’était installée il y a peu. Denise observait le manège depuis sa cage, la bouche pincée, luttant contre l’envie de se gratter la peau du cou, entouré par un collier rose à picots.

Quand son maître arriva vers elle, Denise cessa de s’apitoyer sur son sort et s’approcha des barreaux pour recevoir une caresse sur la main. Grimouche ne manquait pas d’attention à son égard : il la nourrissait trois fois par jour, lui avait attribué un coin tranquille pour effectuer ses besoins et la sortait quand il le pouvait. Toujours en laisse bien sûr. Car, comme il le disait si bien, « les humains couraient trop vite sur leurs étranges pattes ».

Denise avait tenté une seule fois de s’enfuir. Guidée par un instinct primaire, une envie de découvrir le monde, de rencontrer d’autres humains, de se sentir entourée par ses semblables, partager ses peines et ses douleurs. La décharge qu’elle avait reçu au moment où elle avait essayé de s’échapper la dissuada de recommencer.

— Les humains sont vraiment d’étranges créatures, persiffla Sieur Lapish aux côtés de Grimouche.

Il n’était pas bien haut, malgré ses deux grandes oreilles et ses longues pattes. Il croqua dans une carotte et donna un coup de coude à Grimouche.

— Ils sont d’un pathétique sans leurs poils !

— On ne se moque pas de ma Denise, grogna Grimouche.

— Ça va, ça va, faut te décoincer le chihuahua !

— Tu n’as pas l’air de comprendre, Roger Lapish. Sans ces humains, est-ce que tu aurais cet onguent pour poils récalcitrants ? Ce baume à dent pour mieux croquer les légumes durs ?

— J’ai envie de faire pipi ! déclara soudainement Roger.

— Fais pipi alors. Pssss….

— Ne fais pas ça !

— Pssss…

Denise la ressentait aussi cette soudaine envie. Cette impression d’avoir la vessie qui explose, de se soulager devant tout le monde, de… D’avoir les yeux collés, l’esprit embrumé. Sa conscience reprenait peu à peu place dans son corps et la lumière envahit son champ de vision.

Elle releva la tête, s’essuya la bave sur le coin des lèvres, paupières papillonnantes. La bouche pâteuse, elle avisa l’étrange femme assise en face d’elle. Elle portait une parka recouverte de sable et ses yeux verts cerclés d’or ressortait sur sa peau noire.

Encore engluée dans les restes de son sommeil, Denise resta un moment à la fixer, incapable de réagir comme elle le devrait. Elle aurait pu sursauter, ou bien paniquer à l’idée de voir une inconnue assise à sa table mais non, Denise préféra lui demander simplement son nom.

— Vous pouvez m’appeler Sable, déclara la femme d’une voix rocailleuse.

Denise bailla. La théière se mit en branle : les tasses voltigèrent jusqu’à elles, accompagnées de leur soucoupe.

— Quelle merveilleuse idée que ce thé, approuva Sable. De quoi vous réveiller comme il se doit.

— Vous êtes « elle », n’est-ce pas ?

— De quoi parlez-vous ?

Sable gardait ce sourire énigmatique.

— La Rêveuse. Chou, ne jouez pas avec moi, s’agaça Denise alors qu’elle servait le thé.

— Oh, ça ! Je ne suis qu’une émissaire parmi tant d’autres, Darling. La Rêveuse est le nom de notre organisation. Imaginez… une ruche ? Cela vous parle ? Avec une reine et ses ouvrières. Voilà ce que je suis, une ouvrière. Une petite abeille du sommeil, si vous préférez !

— Pourquoi m’avoir piqué moi ?

— J’avais oublié à quel point vous étiez irascible à votre réveil, Darling. Buvez, vous irez mieux ensuite !

Denise soupira avant de s’exécuter. Elle souffla sur le bord de la tasse pour dissiper la fumée de chaleur et la porta à ses lèvres. La première gorgée était un pur régal : elle touchait l’ensemble de ses sens, la faisait se sentir vivante et raviva sa bonhomie habituelle.

— Comment dire. Darling. Votre chien.

— Mon chien ? Grimouche ?

Elle lorgna sur la petite bête couchée sur le dos.

— Votre chien. Mais pas seulement.

— Pas seulement ? Chou. Il va falloir m’aiguiller, je ne comprends rien.

— La plupart des êtres vivants rêvent. Même cet aaaaadorable petit Grimouche. Savez-vous de quoi peuvent rêver nos petits amis poilus ?

— D’os à moelle et de balade à volonté.

Sable posa une main sur sa poitrine, visiblement agacée par la réponse.

— Vous avez là une vision bien caricaturale de la chose. La Rêveuse, Darling, a pour but de vous aider à dormir. Et mieux vous dormez, mieux vous rêvez. Mieux vous rêvez, mieux nous pouvons récolter le sable des rêves, comprenez-vous ? C’est un cercle vertueux.

— Mais ?

— Vous êtes perspicace. Mais ! Depuis quelques temps, nous faisons face à une recrudescence de… mauvais rêves ? Je ne parle pas des cauchemars, nous arrivons à y faire face très facilement. Non, je parle d’un rêve ciblé, insistant, non réparateur. Je parle de rêves… revendicateurs ? Nos animaux se révoltent psychiquement et ce n’est pas bon pour notre business !

— Ils… se révoltent ?

— Oui ! Darling. Je vous ai connecté à ces fameux rêves. Qu’avez-vous appris ?

Denise se gratta le menton, de plus en plus perplexe.

— Chou, vraiment, pouvons-nous reprendre une conversation sérieuse ?

— Elle est très sérieuse, s’offusqua Sable. J’insiste, Darling. Qu’avez-vous appris ?

— Qu’il ne faisait pas bon d’être un humain dans le monde des animaux ?

Sable fronça les sourcils. Denise soupira.

— J’imagine que je dois y voir un message ?

— Bravo, s’émerveilla Sable avec quelques applaudissements. Un message ! Et nous souhaitions vous le transmettre car il est temps que nos animaux puissent dormir paisiblement. Car qui dit sommeil réparateur dit…

— Sommeil bon pour le business ?

— Exactement, continua Sable sur la même tonalité enjouée. Ce serait d’un triste si nous, ouvrières de la Rêveuse, ne pouvions plus vous offrir un service de qualité en termes de sommeil. Il faut agir !

— Chou, je veux bien agir, mais pour quoi au juste ?

Sable respira et… oublia sans doute d’expirer. Elle resta un moment statufiée, le visage bloqué sur une grimace d’incompréhension. Puis elle reprit vit et son sourire maquilla à nouveau ses lèvres.

— La cruauté envers eux, Darling.

— Chou, vous trouvez que je le maltraite ? s’impatienta Denise en pointant du doigt ce Grimouche toujours amorphe.

— Lui ? Non ! Mais pensez à tous ces êtres maltraités. Toutes ces petites créatures seules, qui ne connaissent ni l’amour, ni la chaleur d’un foyer.

— Je ne suis pas certaine qu’accueillir tous les animaux du coin soit une solution à votre problème de rentabilité.

— Oh non non non Daaaaarling, voyons ! rigola Sable. Nooon, je suis venue transmettre la bonne parole et vous rappeler à votre culpabilité.

Denise délaissa sa tasse et se redressa sur sa chaise.

— Pardon ?

— Quelle est cette couleur sublime sur vos lèvres ? Cela vous va à merveille !

— Rose-groseille de chez Valenchy, répondit machinalement, ses doigts sur les lèvres.

— Et savez-vous combien de Rabbish ont perdu la vie pour permettre à ce Rose-groseille d’être commercialisé ? Savez-vous combien de pauvres petites souris ont été malmenées pour que vos lèvres soient si jolies ? Savez-vous combien de phacochon ont été dégraissés pour produire un produit qui tient une journée entière sans s’altérer ?

— Je. D’accord. Chou. Je vous sens particulièrement énervée. Il fallait me le dire plus tôt qu’il ne s’agissait que… De ça ?

— Que de ça ? tonna Sable en rejetant sa chaise en arrière. Que de ça ? Souhaitez-vous que je continue l’énumération ? N’avez-vous donc aucune once de bienveillance ?

Décontenancée, Denise ouvrit la bouche, prête à rétorquer mais se ravisa au dernier moment. Elle leva les mains pour tenter d’apaiser la situation.

— D’accord, calmons-nous. Chou, je vous comprends. Et je suis désolée ! Vous avez raison ! Je n’avais pas réfléchi à cette problématique, je l’admets.

— Et donc ?

— Et donc… Je vais jeter mon Rose-groseille ?

— Et donc ?

— Je. Ne… vais plus en acheter ?

— Et donc ?

— Je ferai un don pour une association contre la cruauté animale ? Un article dénonciateur ? Une action solidaire pour les animaux de laboratoire ?

La tension retomba d’un coup.

— Merveilleux, la félicita Sable en tapant à nouveau des mains. Merveilleux. Darling, je vous remercie pour le thé. See you sooooon !

Sable disparut d’un claquement de doigt, laissant une Denise circonspecte et lessivée. Après un temps déconnecté de sa conscience, son attention se reporta sur un Grimouche réveillé et bien en forme.

— Tu comptes me mettre en cage ou on est encore copain toi et moi ?


Texte publié par Grimm, 25 mai 2025 à 16h41
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