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CHAPITRE 14

Thé, sucrettes et causettes

Une histoire de l’univers Esoteriam

Note de Grimm : chapitre écrit dans le cadre d'un défi donné par Feydra (écrire sur "un univers de poche").

Θ

Grimouche avait une certaine tendance à tirer sur la laisse. Il était certes petit mais ne manquait ni de se faire entendre, ni de montrer qu’il en avait dans les pattes. Aussi sa balade matinale se transforma très vite en course pour revenir au plus vite au salon de thé.

Denise n’eut que peu le loisir d’admirer les fleurs qui commençaient à jaillir dans les jardinières de madame Monceau. Et encore moins de s’arrêter et admirer la magnifique vitrine de la boutique à souvenirs du père Jouillou : Grimouche tirait, tirait, tirait.

— Chou, tu me fatigues, rouspéta Denise, une main sur son bonnet pour tenter de le tenir en place. Je vais glisser. Chou ! S’il te plaît !

Il n’écoutait pas et, prise dans son élan, Denise s’embourba dans un arbuste.

— Maintenant ça suffit !

Il s’arrêta, oui. Juste parce qu’ils étaient enfin arrivés devant le Denise Délice et sa devanture en bois, toute colorée. D’extérieur – et d’intérieur – le salon de thé ressemblait à sa propriétaire : du rose pâle autour des fenêtres en bois, un auvent de porte bariolé et des lampes du siècle dernier qui offrait un « truc en plus » selon elle.

— Quelle magnifique petite créature, minauda une femme assise sur le banc sous la baie vitrée du salon. Regardez-moi cette bouille. Regardez-moi ce petit museau. Olala ! Mais c’est qu’il est mignon. Mais c’est qu’il est mignon !

Grimouche l’ignora ouvertement. Il préférait gratter à la porte et remuer de la queue. Denise sourit à l’inconnue et dégaina son trousseau de clef.

— Oh ! Madame, regardez vos cheveux. Vous avez bataillé avec un arbre, il n’y a pas de doute là-dessus.

La dame enjouée lui sauta dessus, sans même lui laisser le temps de lever son coude pour tenter de remettre en ordre ses mèches. Elle tira sur quelques-unes, n’ayant que faire de l’expression outrée qui s’installa sur le visage de Denise.

— Chou, merci, je peux m’en sortir toute seule !

— Oh je n’en doute pas, madame Denise. C’est justement pour cela que je venais vous rencontrer. J’avais hâte de déguster un thé en votre compagnie.

— Oh. Euh. Vous m’en voyez ravie.

Elle rit avec une pointe d’ironie et haussa des épaules.

Boutique ouverte, elle débarrassa Grimouche de son attirail et ôta son propre manteau en fourrure – fausse fourrure de couleur bleu, bien entendu – sur le porte manteau de l’entrée. Denise invita sa nouvelle cliente à faire de même et lui indiqua la table du centre.

— Laissez-moi juste le temps de tout mettre en marche !

Deux tapotements de paume et le royaume du thé s’illumina. Les table-fourneaux se mirent en branlent, les casiers à thé baillèrent et, Denise n’en doutait point, les vishaps s’étiraient au fond de leur théière. Mais ce qu’elle adorait par-dessus tout, c’était l’expression émerveillée de ses convives quand ils assistaient à la mise en route de la boutique.

La petite dame à la coiffure gonflée et la frange bien en place ne dérogeait pas à la règle. Ses grands yeux verts souriaient en même temps que ses lèvres se retroussaient, le tout faisant rougir ses joues replètes.

La cliente du jour déposa tout son attirail – de grands sacs aux motifs géométriques rouges et bleus - au pied de sa chaise, remit en place ses épaulettes et s’installa avec une impatience digne d’une enfant de dix ans.

— Chou, vous me connaissez, mais je n’ai pas l’honneur de connaître votre nom !

— Oh, bien sûr, toutes mes excuses madame Denise. Nicole Strasse. On dit que vous êtes medium ?

— C’est vite dit !

Denise n’avait tout simplement pas envie d’user de son empathie sur elle. Rares étaient les fois où un client l’agaçait et cette Nicole Strasse en faisait indéniablement partie.

Tout le service à thé s’agitait déjà autour d’elle. Nicole avait commandé de la baie de de cactus et du miel d’érebeille. Un classique pour les gens qui cherchaient à réussir dans la vie. Le thé des ambitieux, l’appelait-elle.

— J’ai l’impression que vous avez quelque chose à me demander, Chou !

L’on ne voyait plus que les yeux illuminés de Nicole, son nez perdu dans le fond de sa tasse. Elle s’empressa de la reposer, s’essuya délicatement les lèvres et répondit :

— On ne peut donc rien vous cacher, vous êtes vraiment douée !

— Oh Chou, si peu. Dites-moi tout !

Denise réprima un soupir, s’accrocha à ce masque de cordialité qu’elle avait posé sur son visage et s’installa à la table de Nicole.

— Madame Denise, vous êtes une femme extraordinaire. Tout le monde s’accorde à le dire.

— C’est gentil, Chou, mais…

— Et c’est là mon propos, la coupa-t-elle avec excitation. Vous devez avoir multitudes de souvenirs, de moments gravés dans votre mémoire.

— Comme tout un chacun !

— Imaginez, madame Denise, imaginez. Et si je vous proposais un endroit où vous pourriez rassembler tous vos souvenirs ? Un endroit où vous pourriez les conserver, les chérir, les regarder, encore et encore ?

— Cela serait…

Impossible ? Peut-être effrayant, aussi. Quoiqu’intrigant.

— … sans doute fabuleux, je veux bien l’admettre. Mais, Chou, nous avons déjà les photogemmes !

— Des instants figés, madame Denise. Ce que je vous propose est quelque chose de plus… interactif !

— Je ne suis pas sûre de bien comprendre.

A sa réponse, Nicole attrapa son sac et farfouilla dedans pour en sortir une petite boîte ronde et mauve en parkésite.

— Le parkésite est une matière fabuleuse, continua-t-elle avec entrain. Regardez sa rigidité et pourtant, c’est une matière d’une belle plasticité. Elle réagit parfaitement aux apports ésotériques.

— Vous pratiquez la sorcellerie ?

— Les dieux m’en soient témoins, malheureusement non, madame Denise. Je n’ai rien d’une sorcière, je ne fais que vous exposer ce que l’on m’a appris. La magie aura une part importante dans ce que je vais vous montrer. Regardez !

Nicole ouvrit la boîte comme un écrin. A l’intérieur, tout un petit monde coloré, toujours en parkésite, y était installé. Cela ressemblait à une maison de poupée miniature.

— C’est mignon, assura Denise. Mais…

— Mais, madame Denise, tout mon argumentaire vous aidera à comprendre. Ceci n’est pas qu’une petite boîte inerte. Elle deviendra votre centre de souvenirs. Imaginez pouvoir moduler à votre guise cette petite boîte. Y créer votre monde grâce à vos souvenirs et vous y balader ensuite quand bon vous semble. Votre esprit, bien sûr, votre corps restant bien au chaud à l’endroit où vous ouvrez la boîte !

L’idée semblait séduisante énoncée ainsi. Il était vrai que revivre quelques souvenirs ne lui serait pas désagréable et pourtant, à y réfléchir, quelques petits points chiffonnaient Denise. La crainte de revivre des événements douloureux, sans doute. Ou bien celle d’y voir des souvenirs… transformés ? Elle ne savait pas qu’en penser, finalement.

— Vous voyez cette boîte, insista Nicole. Elle pourrait se moduler selon votre vouloir, changer selon vos souvenirs. Ce serait un écrin si… Personnalisable ?

— Est-ce vos propres souvenirs dans cette boîte ?

— Oh, non non, bégaya-t-elle. Il ne s’agit que d’un prototype en attendant la mise en œuvre de mon projet. Imaginez seulement les possibilités. L’on pourrait se faire des amis à partir des souvenirs, interagir avec eux, donner une dimension sociale et vivante. Ne serait-ce pas fabuleux de pouvoir continuer à converser avec un proche disparu ?

Elle utilisa les mots qui accentua d’autant plus les réticences de Denise. Elle espérait plus que tout revoir son Alix, lui parler, lui dire à quel point elle l’aimait… mais dialoguer avec un souvenir la dérangeait.

— Je sais ce que vous pensez, madame Denise.

— Oh, j’en doute…

— Vous vous imaginez toutes ces belles choses que l’on serait capable de faire. Imaginez ! Imaginez encore cette révolution sociale.

— Révolution sociale ? Votre petite boîte à souvenir me semble terriblement… intimiste, Chou !

— Vous ne voyez qu’en surface, madame Denise. J’imagine des mondes connectés. Des portails menant vers d’autres boîtes. Ça serait comme inviter les autres à nous découvrir plus.

— Mais les souvenirs, c’est personnel, répliqua Denise. Ça serait comme se mettre à nu devant tout le monde. Je ne suis pas certaine d’apprécier cette idée.

— Vous soulevez un point intéressant. Il faudra mettre au point une possibilité de rendre privé certains souvenirs et d’autres non. Vous voyez, c’est en échangeant que l’on fait avancer le progrès !

Le progrès…

Denise n’y avait même pas mis les pieds qu’elle se sentait déjà dépossédée de sa propre personnalité. Cet « engin » avait du bon, oui, elle le reconnaissait mais son esprit de contradiction la poussait à imaginer toutes ces dérives possibles.

— Oh ! Je sais ! On pourrait l’appeler Witchstagram ! Le réseau des sorcières… mais ça serait quand même assez restreint. Memory Box ? Portails Magiques ? Les idées fusent, madame Denise, les idées fusent !

Les yeux écarquillés, Denise secoua la tête et agita les mains pour signifier sa négation.

— Qu’attendez-vous de moi, Chou ? J’ai l’impression que vous m’associez au projet sans même attendre mon accord. Et vous ne l’avez pas, je n’ai pas le temps de vous… Aider !

— Mais non, madame Denise, mais non ! Vous savez, ce projet demandera une intense quantité de magie, de pouvoirs, de talents particuliers. Je m’entoure de toutes personnes capables de merveilles. Des sorcières, des arkhédruides, des éso-chimistes.

— Je ne pourrai pas être de cet entourage.

— Je le sais, madame Denise, je le sais. Laissez-moi juste vous demander une faveur. Vous avez un talent des plus rares. Votre empathie, votre don de voyance serait un atout non négligeable à la mise en œuvre de ma future boite à souvenirs.

— Je ne…

— Madame Denise ! Il me suffirait d’une mèche, ou d’un peu de salive. Vous serez rémunérée en conséquence, bien sûr. Je connais un excellent éso-chimiste qui travaille sur un procédé révolutionnaire permettant de cloner partiellement les dons d’une…

— Je refuse ! l’interrompit Denise d’un ton rude. Maintenant, s’il vous plaît, je ne tiens plus à continuer cette conversation. Je vous serai reconnaissante de vous voir quitter mon salon de thé et…

— Ne vous inquiétez pas, madame Denise, vous avez raison. Je ne vous importunerai plus.

— Le thé est pour moi. Au revoir, madame Strasse et bonne chance dans votre affaire.

Denise quitta la table et se réfugia dans l’arrière-boutique, encore bouleversée par cette étrange discussion, aussi chimérique qu’inquiétante. La cloche de la porte d’entrée ne tarda pas à sonner ; Nicole était partie aussi vite qu’elle était venue. Elle soupira et posa une main sur son cœur pour calmer ses battements alertes.

Mais alors qu’elle retrouvait peu à peu son calme, Denise se remémora sa première rencontre avec Nicole. Ce moment fugace où, aussi rapide qu’une buse, l’étrange bonne femme s’était jetée sur elle pour lui remettre ses cheveux en place et enlever les quelques brindilles coincées dedans, tirant dessus par la même occasion. L’occasion parfaite de prélever ce qui l’intéressait.

Et dire qu’elle avait refusé d’user de son pouvoir. Dire qu’elle avait bloqué son radar empathique, sa capacité à voir au-delà des apparences, à déceler le vrai du faux…

— Comment peut-on être aussi sotte ? ragea-t-elle, poing serré.


Texte publié par Grimm, 17 mai 2025 à 18h48
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