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tome 1, Chapitre 4 « Fantômes du passé » tome 1, Chapitre 4

Chapitre 4

Fantômes du passé

Eugène se dirigea pensivement vers sa chambre. Il était en train de rédiger mentalement une demande de rançon. « Madame, je retiens la jeune Alima en otage. J’exige en rançon de… » Eugène s’interrompit. Il ignorait à combien s’élevait la fortune de cette pâtissière. Il reprit lentement sa marche et, lorsqu’il arriva à sa chambre, sortit une feuille de papier et une plume d’un secrétaire en chêne vernis. Il rédigea la lettre en laissant un espace pour noter le montant. Il se dit qu’Alima pourrait le renseigner et se dirigea à pas lent vers la chambre de sa prisonnière. Il toqua. Pas de réponse. Craignant une évasion, Eugène sortit la clef de sa poche et ouvrit précipitamment la porte. Son inquiétude retomba aussi vite qu’elle était arrivée : Alima dormait. Il hésita à la réveiller, mais la jeune fille n’avait presque pas dormi de la nuit, alors il la laissa se reposer. Il sortit plutôt sur son balcon et escalada la façade de son manoir pour aller se promener. Les mains dans les poches de son costume, qu’il avait enfilé pour paraitre plus élégant au petit-déjeuner, il marcha sur les toits de Paris sans se presser. Il profitait de la caresse du soleil d’été et du vent qui jouait avec ses mèches blondes. Eugène était un garçon banal, en apparence. Quoiqu’un peu plus beau que la moyenne, avec ses yeux d’un bleus profonds et ses cheveux brillants qu’il ne parvenait pas à coiffer. Toujours, une mèche se baladait par-ci, l’autre par-là. Mais il suffisait de passer une minute avec lui pour comprendre qu’il était tout sauf banal.

Perdu dans ses pensées, Eugène ne se rendit pas compte qu’il approchait de son ancienne maison. Ce ne fut que quand il l’aperçut qu’il s’arrêta net. « Je n’ai rien à faire là », pensa-t-il. Il s’apprêtait à tourner les talons lorsqu’il aperçut un mouvement à l’intérieur. Il descendit du toit où il était et s’approcha d’une fenêtre ouverte, intrigué. A l’intérieur, une femme chantonnait en cuisinant. Cette voix était étrangement familière au jeune garçon.

- Anne, Joseph ! A tables les enfants ! Lança la femme en se retournant pour déposer un plat sur la table.

Eugène fut pétrifié en reconnaissant ce visage. C’était celui de sa tante Jeanne ! La femme de son oncle, celui qui lui avait appris à se battre. Et Anne… C’était sa cousine ! Jeanne repéra alors Eugène.

- Eugène !? S’écria-t-elle, manquant de renverser son poulet. Que… ?

Avant qu’elle n’ait pu finir, Eugène s’était mis à courir pour échapper un interrogatoire qui lui aurait probablement coûté sa liberté.

- Attends ! S’écria Jeanne en sortant de la maison. Mais Eugène avait déjà disparu.

- Maman ! S’exclama Anne en arrivant, un petit garçon de trois ans derrière elle. Tout va bien ?

- Oui… Oui ma chérie, va manger. Et préviens Stéphane.

- Me prévenir de quoi ? Tonna une voix forte.

Un homme s’approcha et Jeanne répondit :

- A table, chéri.

Puis elle l’embrassa et referma la porte. Depuis un toit voisin, Eugène avait tout vu. Sa tante s’était remariée ? Et elle avait eu un garçon ? Il rentra chez lui en vitesse, perturbé, et s’assit sur sa chaise de bureau.

- Comment est-ce possible ? Pensa-t-il tout haut. Je… j’étais pourtant sûr qu’elle était…

Eugène commençait à paniquer. Le curé auquel son père l’avait confié lui avait dit que sa tante s’était suicidée en apprenant la mort de son mari, mais il n’en était rien ! Eugène inspira profondément à plusieurs reprises et finit par se calmer. « Je dois en avoir le cœur net ». Il retira son costume et enfila une chemise noire et une salopette, puis aiguisa sa dague avant de sortir de nouveau. Il courut sur les toits pendant presque une heure avant d’arriver à une chapelle. Il mit pied à terre et s’approcha silencieusement. Il jeta un coup d’œil à l’intérieur et vit un homme seul, en train de prier, lui tournant le dos. Le curé. Il se faufila dans la chapelle, poignard en main.

- Bonjour, Eugène. Dit le curé.

Eugène s’arrêta. Il réfléchit à toute vitesse et cacha sa dague avant de dire d’une voix faussement mélancolique :

- Comment avez-vous su que c’était moi ?

Le curé se remit lentement debout et se tourna vers Eugène.

- Comme tu as grandi, dit-il.

- Vous n’avez pas répondu à ma question. Comment m’avez-vous reconnu ?

Le curé eut un petit rire.

- Je t’ai élevé durant plusieurs années, petit. Ton pas vif et déterminé est si singulier ! Mais dis-moi, pourquoi es-tu parti ?

Eugène, en bon acteur, baissa le regard sans rien dire.

- Bien, Dit le curé. Alors pourquoi es-tu revenu ?

Toujours pas de réponse.

- Si tu es là pour te recueillir, soit le bienvenu.

- Je ne suis pas là pour prier.

- Je m’en doutais. Alors pourquoi ?

Eugène se mordit la lèvre pour faire croire qu’il se retenait de pleurer.

- Allons, allons, mon enfant. Viens avec moi, nous allons discuter de tout cela autour d’une tisane.

Eugène hocha la tête et suivit le curé au dehors. Il se dirigea vers une petite maison non loin, dont il ouvrit la porte. Le garçon, qui connaissait bien les lieus, s’installa à la table de la cuisine. Même s’il faisait semblant, il était tout de même un peu nostalgique de cet endroit. Son hôte fit bouillir de l’eau et y infusa des feuilles de menthes. Il versa la tisane dans des tasses et vint s’assoir avec Eugène.

- Merci, murmura celui-ci et soufflant sur le liquide brulant.

Il repoussa une mèche blonde et prit une petite gorgée. Puis, après une grande inspiration, il déclara :

- Je suis parti car je ne voulais pas accepter la réalité. A l’époque, je croyais vouloir venger la mort de mon père, mais à présent, je comprends que j’ai agi comme un imbécile.

Tout en parlant, il approchait sa main de sa ceinture, là où se trouvait son poignard.

- Tu es donc revenu pour t’excuser ? Demanda le curé.

- Peut-être devrais-je d’abord demander pardon à Dieu.

- Ce serait sage, en effet.

- Mais je ne le ferais pas.

Eugène bondit et plaqua sa dague contre la gorge du curé.

- Eugène ?! S’exclama-t-il. Mais que fais-tu ?

- Je ne suis venu que pour une chose, et ce n’est pas m’excuser ou me repentir. Je veux des réponses.

- De quoi parles-tu ?

- Ma tante. Elle n’est pas morte.

Un pesant silence s’abattit sur la pièce.

- Que s’est-il vraiment passé ?

- Eugène… souffla le curé.

- Réponds ! Ordonna Eugène en enfonçant davantage sa lame.

- Oui, c’est vrai. Elle n’est pas morte.

- Alors quoi ?

- Je savais qu’à la mort de ton père, ta tante aurait voulu venir te chercher. Mais je ne voulais pas que cela arrive.

- Pourquoi ?

- Parce que je tenais à toi.

- Arrête de mentir, vielle branche !

- C’est la vérité, Eugène.

- C’est faux et tu le sais aussi bien que moi.

- Eugène, essaye de comprendre… tenta de l’attendrir le vieillard.

Dans un geste de colère, le garçon lacéra profondément tout le bras gauche du curé, qui eut une courte exclamation de douleur, sans plus.

- Dis-moi la vérité. Exigea Eugène.

- La vérité, c’est que ta tante est une pécheresse ! Hurla le curé. Elle a trompé ton oncle avec un autre homme ! Une telle femme n’est pas digne d’élever des enfants. Alors je lui ai fait croire que tu étais mort et vice versa.

Eugène était furieux. Il avait pleuré des tonnes par le passé en apprenant que sa seule famille était morte, qu’il était seul ! Alors qu’en réalité, cet homme prétentieux l’avait seulement embobiné ! Fou de rage, il trancha la tête du curé. Le sang éclaboussa la chemise d’Eugène, mais il s’en moquait. Bouleversé, il sortit de la maison et entra dans la chapelle, où il saccagea tout pour déverser sa colère. Puis il remonta sur les toits pour retourner à son manoir et réfléchir. Une fois arrivé, il se dirigea vers la salle de bain et prit, tout habillé, une douche glacée pour remettre ses idées en ordre. Après quelques minutes, il avait retrouvé son sang-froid. « Plus d’émotions, se promit-il. J’ai des choses à faire. » Il retourna à sa chambre et enfila des vêtements secs.

- Frédéric ! Appela-t-il.

Le majordome entra dans la pièce.

- Lave-ça. Ordonna Eugène en lui lançant sa chemise souillée de sang.

- Oui, monsieur.

Frédéric ne fut pas étonné en voyant les tâches de rouge, car il était au courant des activités d’Eugène. En vérité, le titre de majordome ne lui correspondait pas. Frédéric n’était qu’un pauvre homme témoin d’un des meurtres d’Eugène. Il lui avait proposé, avec un sang-froid remarquable, ses services en échange de sa vie. Eugène, impressionné par la témérité de l’homme, l’avait non seulement laissé en vie, mais lui avait également donné le gite et le couvert. Le garçon l’ignorait, mais Frédéric connaissait mieux Eugène qu’il ne se connaissait lui-même. Aussi, avant de tourner les talons, il demanda devant l’air inhabituel de son maitre :

- Monsieur, est-ce que tout va bien ?

- Je t’en pose des questions ?

Eugène regretta son ton dur et cassant. Frédéric était juste inquiet pour lui, il le savait. Il soupira et se reprit :

- Je suis un peu fatigué. J’irai me coucher après avoir rendu visite à Alima.

Frédéric hocha la tête. Il voyait bien que quelque chose tracassait le garçon, mais il se dit que ce n’était pas le moment de le questionner. Il quitta donc la pièce avec la chemise noire. Eugène marcha jusqu’à la chambre de son otage et déverrouilla la porte. Alima dormait encore. Elle n’avait pas enlevé sa robe jaune et ses cheveux roux étaient éparpillés sur l’oreiller. Eugène contempla son visage paisible et repensa à l’hésitation qu’il avait eue au moment d’abattre sa lame. Il commençait à comprendre pourquoi il avait épargné Alima. Elle était belle, il était jeune. Il la regarda encore quelques minutes puis, reprenant son sérieux, lui secoua l’épaule. Alima grogna en cherchant à repousser la main d’Eugène. N’y parvenant pas, elle ouvrit les yeux. Au début, elle se demanda où elle était, puis tout lui revint. Elle se redressa en se frottant les yeux, réprima un bâillement et fixa Eugène.

- Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle, visiblement agacée.

- Navré de te réveiller, mais j’aimerais savoir à combien s’élève la fortune de la pâtissière dont tu m’as parlée. Tu sais, pour la rançon.

- Ah, oui. La pâtissière.

Elle réfléchit quelques instants.

- Elle doit avoir environ… deux-cent mille francs de réserve.

- Ce n’est pas grand-chose… Soupira Eugène.

- Si, tout de même ! Protesta Alima.

Son ravisseur haussa les épaules.

- Je lui en demanderai deux cent quatre-vingt mille.

- Je ne sais pas si elle pourra…

- Dans ce cas tant pis pour elle. Ou plutôt pour toi. Tu resteras ma prisonnière jusqu’à ce qu’elle paye. Oh, une dernière chose. Quelle est son adresse ?

Alima la lui transmit puis demanda :

- Puis-je explorer le manoir ?

- Non.

- Pourquoi ?

- Tu pourrais t’échapper. Ça me semble évident, non ?

- Mais si tu restes avec moi ?

- Plus tard, je suis fatigué et j’ai d’autres choses à penser.

- Mais…

- Pas de mais ! S’emporta Eugène. Je n’ai pas dormi de la nuit, j’ai besoin de repos.

Sur ce, il partit et claqua la porte. Alima entendit le déclic de la clef dans la serrure et les pas pressés de son ravisseur. Elle soupira intérieurement. Comme elle s’ennuyait ! « Que vais-je bien pouvoir faire ? », songea-telle. Elle explora la pièce et ouvrit tous les tiroirs, toutes les armoires, mais ne trouva rien qui puisse l’aider à sortir de la chambre ou à se distraire. Elle s’assit sur le lit, face à la fenêtre cadenassée et se plongea dans ses pensées. Soudain, elle en fut tirée en apercevant un drôle d’engin par la fenêtre. « Qu’est-ce que c’est que ça ? Un oiseau ? Un avion ? » L’engin était noir et avait une forme étrange : un rectangle surmonté de quatre cercles. Alima s’approcha pour l’observer de plus près, mais le drone (car c’en était un) s’éloigna. Elle le vit poursuivre sa route jusque dans une étroite ruelle où il s’engouffra. Intriguée mais surtout inquiète, elle tambourina à la porte.

- Frédéric ! Eugène ! Ouvrez !

Personne ne répondit. Elle n’entendait rien.

- Il y a quelqu’un ? J’ai vu quelque chose de bizarre ! Eugène ! Cria-t-elle de plus belle.

Le garçon, de l’autre côté du couloir, finit par l’entendre et déverrouilla furieusement la porte.

- Ce n’est pas bientôt fini ce tapage ? J’ai besoin de dormir !

- Eugène !

- Oui, quoi ? répondit-il avec agacement.

- Il y avait un truc… Une chose, là dehors. Ça volait et faisait du bruit.

- Un avion ?

- Non, juste devant la fenêtre. C’était petit et noir.

Elle ouvrit un tiroir où elle avait vu des feuilles de papier et dessina le drone.

- C’était comme ça. Dit-elle en montrant le dessin.

Eugène regarda attentivement le croquis.

- Tu n’essayerais pas de m’embobiner ? Demanda-t-il après quelques secondes. Un tel objet n’existe pas.

- Mais je l’ai vu et entendu. Attend ! Tu entends ?

Le silence se fit. On entendait un petit bourdonnement.

- C’était ça ! Viens voir !

Elle poussa Eugène vers la fenêtre. L’adolescent la déverrouilla et l’ouvrit pour mieux voir et distingua, au-dessus de sa tête, le même objet qu’avait dessiné Alima.

- Qu’est-ce que c’est que ça ?

Le drone descendit jusqu’à la fenêtre et la petite caméra qu’il portait filma les mines intriguées des adolescents. Dans une ruelle non loin, une tablette à la main, Rico jubilait. Il avait trouvé sa cible.


Texte publié par RougeGorge, 15 mai 2023 à 18h03
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