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— Je ressemble à une prune.

Face à ce constat, Manaé, dix-sept ans, se laissa tomber dans le gros fauteuil rembourré de sa chambre, soulevant un peu de poussière dans le mouvement. D’un geste sec de la main, sa mère renvoya la modiste dont l’ouvrage qui s’étalait mollement sur la chevelure brune de la demoiselle, venant ainsi parfaire sa tenue de soirée.

— Encore en train de te plaindre !

Manaé vrilla ses yeux las et dépités dans ceux de sa mère.

— Je sais que nos moyens sont limités depuis que ces idiots ont tout misé dans des investissements foireux et au champ de courses, mais quand même, n’y avait-il pas une autre couleur bon marché ?

Si sa mère tiqua à l’utilisation du mot « idiots », elle ne releva pas pour autant, ses pensées sans doute similaires à celles de sa fille. Leurs désagréments financiers étaient imputables à son époux et ses deux fils ainés qui, face à la déchéance de leur famille, avaient vite réservé leur place sur des bateaux pour atteindre de nouvelles contrées. Ils avaient embarqué vers le large dans l’espoir de faire fortune et de revenir une fois ces événements oubliés. En somme, ils s’étaient contentés de fuir la société pour ne pas avoir à en affronter les regards et les rires, laissant cette humiliation pour celles qui restaient. Des lâches… Par chance, la vieille tante de Manaé possédait quelques ressources. Aussi avait-elle aménagé au Domaine des Aubépines, en prenant les rênes, en échange d’un peu de sa générosité.

— Certes, cette teinte est un peu passée de mode…

— Quel euphémisme ! On dirait du violet vomi !

Sa mère ne put s’empêcher de pouffer, faisant tomber son masque de froideur. Depuis leur revers de fortune, mais surtout l’abandon de son époux et de ses fils, Léandrine s’était refermée, son regard à présent recouvert d’un voile de tristesse. Elle qui était auparavant d’humeur constamment légère n’était plus que l’ombre d’elle-même, maussade. Ses cheveux arboraient désormais des mèches grises, témoins de sa peine perpétuelle. Par moments, Manaé arrivait à lui soutirer une once de joie, comme à l’instant, mais cela ne durait pas, la réalité reprenait toujours ses droits. Au moins, cette affreuse tenue aura eu un effet positif… se consola-t-elle

— Qu’importe la robe, c’est ton charme qui fera le travail, voilà tout ! poursuivit Léandrine avec une moue désolée.

Le regard de la jeune fille renvoya les flammes de sa colère. Comme si ce n’était pas suffisant de devoir lutter au quotidien pour maintenir le domaine à flot, il lui fallait désormais aller se vendre au plus offrant. Se voir demander en mariage par un homme de bonne famille assurerait à la leur un avenir plus serein. Et ce n’était pas tante Germina qui pouvait attirer de beaux partis avec ses cuisses flasques et son caractère aigri. Vieille fille au charme émoussé par sa langue acérée, elle faisait fuir quiconque tentait de l’approcher. Même les chats de la maisonnée n’avaient pas la témérité de lorgner son giron…

Aussi tout reposait sur elle, à son plus grand dam. Cette injustice la forçait à détester plus encore son père et ses frères à qui elle devait son malheur. Sans cette épée de Damoclès sur sa tête, elle aurait pu choisir son futur époux et baser cette sélection sur de véritables sentiments plutôt que sur le poids de sa bourse.

Mais serait-elle vraiment capable de tirer un trait sur ses rêves de jeune fille ? Elle qui aspirait à une vie d’aventures et d’amour passionné ne s’était pas imaginé une seconde faire un mariage de convenance. Toutefois, le bien-être de sa famille, tout du moins des femmes qui demeuraient à ses côtés, aussi aigries ou tristes soient-elles, primait sur le reste.

— Eh bien soit… capitula-t-elle. J’aurais au moins le mérite de l’originalité.

Face au regard curieux de sa mère, elle ajouta :

— Eh bien, je serai le seul fruit de ce Bal des fleurs… Nul doute que j’attirerai l’attention de toute la foule. Qu’importe, après tout, ils ont déjà l’habitude de cancaner sur les Sonneville.

Sur ce, Manaé quitta la pièce, ne voyant pas la larme solitaire qui roulait sur le visage attristé de sa mère. Léandrine s’était tant réjouie de savoir que sa fille grandirait dans un monde où elle pourrait choisir son époux à sa convenance, sans avoir à s’inquiéter des avantages de son union que ce retour en arrière la rendait malade. La défection des hommes Sonneville avait sonné le glas de ce semblant de liberté. Désormais, sa fille n’était plus qu’un instrument pour sauver ce domaine si cher à leur cœur.

— Pitié, faites qu’elle trouve au moins un homme bon… souffla-t-elle, avant de quitter à son tour la pièce sur le sol de laquelle traînait encore volants et rubans parme.


Texte publié par Maanilee, 1er mars 2023 à 10h03
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