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Jean était assis à sa terrasse, comme tous les soirs, été comme hiver, à l’heure du dîner. Il faut dire qu’il dînait tôt et qu’au bord de l’océan le soleil se couche tard, enfin plus tard. Sur son banc de bois, adossé à sa maison de planches bleues, d’un bleu délavé par les embruns et les brises de mer, il dégustait sa soupe, immuable composante de son repas du soir, souvent plat unique. La table, branlante, avait elle aussi été bleue un jour, jadis dira-t-on. Son rituel était immuable. Il faisait chauffer sa soupe dans sa petite casserole émaillée, écaillée par endroits jusqu’à ce qu’elle soit presque à ébullition, au premier bouillon. Alors il venait s’asseoir sur son banc, prenant au passage une cuillère sur l’évier, la cuillère de la veille ou de l’avant-veille. Une fois assis sur son banc, ses yeux fixaient l’horizon, là-bas entre ciel et mer surtout entre nuages et mer.

Il prenait une première cuillerée de soupe bien chaude en mordant la cuillère à son premier tiers puis en l’avalant. Il adorait sentir la soupe chaude lui réchauffer le corps en irradiant depuis son œsophage.

Après cette première cuillerée, il posait la casserole sur la table, la cuillère dedans. Etant plus grande que la casserole, elle ne tombait pas dans la soupe. Alors et alors seulement, il contemplait les nuages qui emplissaient le ciel. Il les connaissait tous à force de les voir passer, les gros ventrus vautrés sur le canapé orange de l’horizon, les gris pressés en costumes en lambeaux, poussés par le noroît qui faisait tressaillir la peau, les points blancs des soirs d’été bien alignés comme un damier auquel on aurait retiré les cases noires, les longues flammèches des cirrus qui annoncent le vent du lendemain, les chaudrons majestueux pétant leur orage à tout bout de champ, les petits cumulus gris au milieu et blancs sur les bords comme des champignons vieillissants. Bref, il les aimait tous et chacun en particulier, il les observait, les humait, leur trouvait une forme, une ressemblance, les regardait évoluer sous le zéphyr ou la tempête, leur donnait un nom, peu commun, rarement propre, un surnom, un prénom. Pour lui ils étaient tous des êtres fugaces qui remplissaient les soirs de sa vie au soir de sa vie.

Il ne leur trouvait qu’un défaut, un seul, à moins ce soit lui qui s’y prenne mal. Quand ils étaient passés, c’était toujours la même chose : sa soupe était froide, comme si les nuages s’étaient dissous dedans. Alors il bougonnait, rentrait chez lui, remettait sa soupe à chauffer et ne ressortait plus. Sauf s’il n’y avait pas de nuages.


Texte publié par Euryale, 25 février 2023 à 11h52
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