Je vous écris de prison

Peur, j’ai peur, je ne sais pas pourquoi mais j’ai peur.

Pourtant ici je suis à l’abri, je n’ai pas d’entraves si ce n’est celles à ma vie. La prison, ici et maintenant, c’est la prison, c’est quand même la prison, ça reste la prison..

Plus de liberté si ce n’est celle d’aller et venir dans cette enceinte fermée, cadenassée, bouclée mais protégée des autres, de l’extérieur, des fous, des hyènes et des loups.

Au nord de l’île, au bout du monde dans ce blockhaus je suis en sécurité, en prison mais en sécurité.

Mais j’ai peur, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai peur. Je sens un danger, je le sens il est là, présent, invisible, sournois mais à l’œuvre, insidieux et terriblement efficace. Je le sens de tout mon être, de chacune de mes cellules. Cela traverse la mienne et moi avec.

Je ne pense même pas à l’évasion : c’est trop tard, je ne m’en sortirai pas, plus.

Pas de barreaux, pas de guillotine, pas de chaise électrique, tout cela est trop grossier périmé, obsolète, désuet. Ici la mort est plus subtile, plus diabolique, implacable, lente mais inexorable. Je suis comme un Lego ou un puzzle auquel on enlève quelques pièces chaque jour et qui va finir s’effondrant sur lui-même, château de cartes miné de l’intérieur.

Je suis soumis au rayonnement du soleil de Satan. Il est partout et pénètre chaque seconde du reste de votre vie. Je cuis à petit feu. Le feu de la folie des hommes.

J’ai peur. Je suis en sécurité mais j’ai peur.

C’est sûrement ma dernière lettre.

Je vous embrasse.

Votre fils...

Mururoa le 1er Avril 1997