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La pluie continuait de se déverser sur les terres forestières de Vegario, plus précisément sur Rhéa. Seven avait décidé de se reposer dans une auberge modeste mais agréable, située en périphérie de la capitale. Il n'avait pas spécialement envie d'attendre sous cette averse que la nuit tombe, pour passer à l'action. À la place, il avait opté pour quelques heures de sommeil dans un lit désuet. Sauf qu'il n'arrivait pas à dormir, malgré sa position allongée sur la couchette. Trop de choses se bousculaient dans sa tête et l'empêchaient de sombrer dans un sommeil paisible. C'était bien la première fois que cela lui arrivait, alors qu'il parvenait à faire le vide dans son esprit avant de se coucher en temps normal.

En cet instant, il n'arrêtait pas de repenser à Ewen. La première tentative d'assassinat de cette dernière à Kalora s'était soldée par un échec. Seven avait droit à une seconde chance mais pas à un second ratage. Surtout que le boss se terrait dans les parages, surveillant ses moindres faits et gestes tout en utilisant son aura climatique pour faire tomber une pluie infinie sur cette ville. D'ailleurs, le fait que son supérieur parvenait à activer son aura de jour et aussi longtemps étonnait l'assassin au plus haut point.

« Je ne sais pas ce que cet enfoiré nous cache, mais c'est clairement pas normal... » pensa-t-il en se retournant dans le lit, le regard perdu vers la seul fenêtre présente de la petite chambre. Allait-il vraiment réussir à tuer la princesse Vopaquine, cette fois ? Est-ce que celle-ci allait finir par le reconnaître ? Est-ce que Seven la tuerait avant qu'elle ne se souvienne enfin de lui ? Face à toutes ces questions sans réponse, le jeune homme soupira. Il se retourna de nouveau, de façon à s'allonger sur le dos et à observer le plafond en bois.

Puis, il leva son bras de manière à observer le bracelet accroché à son poignet. Ce bracelet, que Shira lui avait offert, il y a plusieurs jours maintenant. Seven s'inquiétait également pour le jeune prince, en particulier depuis la confession de Four concernant l'ordre du boss de capturer l'adolescent. L'encapuchonné avait chargé Nineteen et Sixty-Nine d'accomplir une telle mission. L'assassin en vert ignorait quand les deux jeunes filles devaient accomplir leur mission. Mais dans le fond, il voulait que ses deux collègues échouent dans leur tentative.

« J'en reviens pas de souhaiter une chose pareille... »

Pourtant, il espérait sincèrement que Shira s'en sorte et qu'on ne lui fasse aucun mal. Alors qu'il était en train d'y penser, et en voyant que sa chambre s'assombrissait petit à petit, Seven tourna de nouveau sa tête vers la fenêtre. La nuit n'allait pas tarder à tomber. Ce n'était qu'une question de dizaines de minutes. L'heure était venue pour lui de remplir sa tâche. Après être sorti de son lit, le jeune homme aux longs cheveux d'ébène alla se préparer dans cet objectif.

*

De nombreuses étoiles scintillaient déjà dans le ciel obscur Xenois. Le soleil imposant et radieux laissait peu à peu place à la lune froide mais non moins majestueuse. À Xenati, plus précisément dans une salle dans laquelle s'étendait un grand bassin d'eau thermale à la température agréable, Shira et Ashur se relaxaient. Les deux princes discutaient des livres qu'ils avaient lus ensemble à la bibliothèque du palais, quelques heures plus tôt. Mais un moment arriva où le sujet de l'anniversaire du plus jeune des frères fut abordé.

« Tu auras dix-sept ans demain, rappela Ashur en souriant tendrement. C'est fou comme les années passent vite ! Tu ne les fais vraiment pas, en plus.

— Dois-je comprendre que j'ai l'air d'un gamin ? demanda Shira en croisant les bras, un peu vexé par cette dernière remarque.

— Prends ça comme un compliment, voyons ! rit l'aîné. On te rajeunit contrairement à moi ! Je n'ai que trois ans de plus que toi, mais la plupart de nos connaissances m'en donne beaucoup plus.

— Il est vrai que tu fais plus mature que ton âge. Au moins, on te prend au sérieux ! Nombreux sont les gens que j'ai rencontrés durant mon épopée de Rhaj et qui m'ont pris pour un enfant.

— Même Seven ?

— Oui. Même lui. »

Face à une telle réponse, Ashur ne put s'empêcher de rire aux éclats. Il ne le faisait pas pour se moquer de son cadet. Il trouvait juste la réaction de celui-ci marrante. Néanmoins, en voyant que Shira avait silencieusement détourné son regard de lui, l'air attristé, le plus grand des deux cessa de s'esclaffer. Sur le coup, il pensait l'avoir vexé encore plus qu'il ne l'était déjà et commençait même à culpabiliser pour cela. Mais le prince héritier Xenois comprit rapidement que son cadet affichait cette mine peu réjouie après avoir mentionné le nom de Seven.

« Tu aurais voulu qu'il soit présent à la fête de demain, n'est-ce pas ? »

Shira tourna ses yeux cramoisis vers l'autre pendant quelques longues secondes, avant de les détourner à nouveau.

« Bien sûr que j'aurais voulu. Pour une fois que je me fais un ami, j'aurais aimé que celui-ci soit présent le jour de la cérémonie de mon passage à l'âge adulte.

— Cela peut se comprendre.

— Malheureusement, on ne peut pas tout avoir dans la vie, fit le second prince en souriant légèrement sans regarder son grand frère. Mais ce qui me réconforte, c'est de savoir qu'il reviendra ici un jour. Il me l'a fait comprendre avant son départ. »

Ashur ne répondit pas et ne lâcha pas le plus petit du regard. Shira s'était donc attaché à ce point à Seven ? Alors que les deux ne se connaissaient que depuis peu ? L'aîné des princes ne savait pas trop quoi en penser. Il trouvait son cadet un peu naïf de s'attacher trop rapidement à l'assassin, et de lui accorder une telle confiance sans se méfier un minimum. D'un autre côté, Seven n'avait pas l'air d'un individu malintentionné, du peu qu'il l'avait côtoyé. Il avait même aidé son cadet à revenir à Xenati. Mais tout de même ! De là à être aussi attristé de l'absence d'une personne qu'il ne connaissait que depuis quelques jours, et dont il ne savait quasiment rien...

« Tu dois trouver cela étrange, que je réagisse de cette manière pour si peu. Pas vrai ? »

La voix de Shira tira le plus grand de ses pensées. L'adolescent gardait toujours son regard détourné d'Ashur et conservait son petit sourire amer aux lèvres.

« Shira...

— À vrai dire, je trouve ça moi-même singulier. La joie de rencontrer quelqu'un hors de ton entourage quotidien, qui t'apprécie sans tenir compte de ton statut princier, et la peine de voir cette même personne à laquelle tu t'attaches s'en aller deux jours après... Je n'avais jamais ressenti une chose pareille auparavant. Je ne sais pas vraiment comment réagir par rapport à tout ça, ni quoi penser. C'est assez bizarre comme sensation. »

Le prince Ashure afficha un tendre sourire. N'ayant pas eu du tout d'ami contrairement à son jeune frère, il ne pouvait pas ressentir ce sentiment dont ce dernier parlait. Toutefois, il était suffisamment empathique pour comprendre l'état d'esprit actuel de Shira. Certes, celui-ci se montrait naïf. Mais il était surtout humain, sensible et avait dû se sentir seul pendant toutes ces années malgré son titre de prince. D'un côté, Ashur avait un peu de peine pour son cadet mais d'un autre, il l'enviait de connaître toutes ces sensations à la fois agréables et mélancoliques.

Tout à coup, sans prévenir, le plus âgé des frères éclaboussa l'autre, à la surprise de celui-ci qui avait écarquillé ses yeux d'étonnement.

« Ashur ?

— Tu te prends trop la tête avec cette histoire et tu te poses trop de questions, mon grand. Je pense qu'une bonne nuit de sommeil te fera un grand bien. Et puis, c'est une belle fête qui nous attend tous, demain. File donc te reposer ! Ce serait bête que le prince mis à l'honneur à la fête de son anniversaire, nous fasse une tête de mort-vivant attristé toute la journée. »

L'adolescent se contenta de cligner des yeux à plusieurs reprises, toujours surpris. Mais voyant que son grand-frère avait fait et dit cela pour lui remonter le moral, il lui adressa un tendre sourire avant de l'éclabousser à son tour. S'ensuivit ensuite une bataille d'eau entre les deux princes qui rigolaient et semblaient s'amuser. Mais finalement, après s'être arrêtés au bout d'une minute, les deux jeunes hommes se décidèrent à sortir de leur bain et de revêtir leurs pyjamas. Ils se séparèrent ensuite pour retourner chacun dans sa chambre respective.

Escorté par un soldat Xenois, Shira, vêtu d'une chemise de nuit rouge foncé, parcourait un long couloir en direction de ses appartements. Plusieurs torches accrochées aux murs éclairaient, de façon tamisée, les couloirs du palais. Mais tout à coup, alors qu'ils étaient pratiquement arrivés devant la porte de la chambre du prince, certains de ces flambeaux s'éteignirent tous seuls, à leur grand étonnement. Puis, le bruit d'une énorme explosion se fit entendre à l'extérieur de la demeure impériale.

« Qu'est-ce que... ? » fit Shira en se précipitant vers une fenêtre pour observer et essayer de comprendre ce qu'il se passait dehors. Son soldat l'imita sans hésiter et tous deux virent avec stupéfaction qu'une grande habitation de la ville avait pris feu. Une seconde explosion retentit ensuite et on pouvait remarquer une seconde maison s'enflammer quelques instants plus tard, non loin de la première bâtisse.

« Quelque chose attaque notre capitale ! s'exclama Shira, les yeux écarquillés de stupeur.

— Votre Altesse ! l'interpella le soldat, en alerte. Mettez-vous à l'abri dans votre chambre ! Je ferai en sorte que vos parents et votre frère vous rejoignent au plus vite ! »

Sur ces mots, le garde dégaina son épée et s'éloigna du prince, probablement pour aller retrouver les autres membres de la famille impériale Xenoise. Le jeune prince obéit et entra dans sa chambre avant d'en verrouiller la porte. La pièce se trouvait plongée dans le noir et une fenêtre ouverte de la pièce laissait passer l'odeur de la fumée, qui piquait de façon désagréable le nez de l'adolescent. Des hurlements de peur et de panique se faisaient entendre dehors. Les habitants de la cité devaient probablement être affolés à cause de ces explosions soudaines.

Afin d'empêcher cette odeur de brûlé d'envahir davantage sa chambre, Shira ferma la fenêtre. Puis, avançant dans l'obscurité de la pièce, il s'approcha d'une commode sur laquelle il avait l'habitude de déposer ses bracelets de Rhaj. Il les enfila ensuite à ses poignets et utilisa leurs pouvoirs pour faire apparaître quelques petites boules de feu. Celles-ci étaient destinées à allumer les bougies disposées sur plusieurs chandeliers, répartis aux quatre coins de la pièce. La chambre fut ainsi éclairée.

Mais l'adolescent se figea brusquement sur place, horrifié. Une jeune femme, au teint légèrement foncé et aux cheveux courts blonds, était adossée à l'un des murs de la chambre. Il s'agissait de Nineteen. Ses yeux bruns fixèrent le prince, tandis qu'un sourire assez sournois se dessina sur ses lèvres.

« Qui... Qui es-tu ? Et comment as-tu fait pour parvenir jusqu'ici ? » demanda Shira en reculant. À vue d'œil, il ne semblait vraiment pas rassuré par la présence de cette inconnue dans ses appartements.

« Je ne pense pas qu'il soit nécessaire que je te donne mon nom, rétorqua la jeune femme. Par contre, tu ferais mieux de me suivre sans discuter, si tu tiens à la vie. »

Le prince Xenois ne répondit pas et fronça les sourcils. Visiblement, cette personne ne lui voulait pas du bien. Mais il n'allait certainement pas céder à sa menace aussi facilement. Les joyaux vermillions de ses bracelets commencèrent à luire, laissant présager la préparation d'un sortilège enflammé. Seulement...

« Ne tente rien de stupide, petit, conseilla Nineteen en se décollant de son mur pour avancer vers Shira qui reculait. Tout ceci n'a rien de personnel. J'obéis juste à des ordres. C'est tout ! Chose que Seven a bien du mal à faire, ces derniers temps...

— Pardon ? fit le prince avec beaucoup d'étonnement et de confusion. Tu connais Seven ? »

Seul un rire moqueur de la part de l'assassine lui répondit, tandis qu'elle venait de dégainer son sabre, toujours en se rapprochant du prince, réduisant ainsi la distance entre les deux. Shira s'entêtait à reculer, mais arriva un moment où il fut bloqué par un mur derrière lui. La situation était critique. L'adolescent ne désirait pas mourir ce soir. Son regard se tourna alors vers son épée, posée contre le mur adjacent de celui près duquel il se trouvait. Puis, il observa la porte de sa chambre à l'autre bout de la pièce. Il ignorait si la jeune fille en face d'elle était une combattante redoutable. Mais s'il voulait s'en sortir, il devait se défendre, au moins pour atteindre la porte et s'enfuir à toute jambe pour prévenir sa famille et ses soldats.

Déterminé à s'en sortir, le jeune garçon envoya des petites flammes en direction de Nineteen qui, surprise, parvint à s'écarter sur le côté pour les éviter. Shira profita de cette diversion pour foncer vers son épée et l'attraper. Mais il fut grandement surpris par la vitesse de son agresseuse. Celle-ci ne lui avait même pas laissé le temps d'aller plus loin, qu'elle lui avait porté un coup avec son sabre au niveau de son bras. Par réflexe, le petit prince leva son arme pour bloquer l'attaque. La blonde le força à maintenir sa parade et le regarda dans les yeux, sans perdre son sourire.

« Des bracelets qui donnent le pouvoir de maîtriser le feu et une épée... Ça fait beaucoup d'armes pour un garçon réputé pour être pacifique, altruiste et innocent. Tu ne trouves pas, prince Ashira ?

— Qu'est-ce que tu me veux, bon sang ?! »

Mais soudain, Shira ressentit un choc violent parcourir l'ensemble de son corps. Cette étrange douleur le força à lâcher son épée et à s'écrouler au sol à genoux. Le sabre de Nineteen s'était électrifié et l'énergie qu'il dégageait s'était propagée le long de la lame du prince, jusqu'à le toucher directement de plein fouet. Alors que l'adolescent, haletant, se remettait du choc subi, Nineteen s'approcha de lui en le regardant avec un certain mépris.

« J'arrive pas à croire que Seven s'est détourné de sa mission à cause de ce mioche... » pensa-t-elle avant d'assommer Shira, en lui assénant un coup derrière la tête avec le pommeau de son épée. Le prince s'effondra au sol, inconscient. L'assassine l'observa quelques instants pour s'assurer qu'il était complètement sonné, avant de tourner sa tête en direction d'une des fenêtres de la chambre.

« Je suppose que Sixty-Nine en a fini avec sa diversion. Ça ne sert à rien de s'éterniser ici plus longtemps... »

Après avoir rangé son arme, Nineteen s'accroupit auprès du Xenois. Elle sortit ensuite de sa besace une pierre de téléportation et s'en servit pour se téléporter aux locaux du Mortem Regis, en emportant Shira avec elle.

*

Au même moment, la pluie s'était intensifiée sur Rhéa. Parfois, à intervalles de temps irréguliers, des éclairs apparaissaient et de gros coups de tonnerre s'en suivaient. Les lumières du palais de la nation des forêts étaient majoritairement éteintes et la famille royale, ainsi que leurs invités, avaient regagné leurs appartements respectifs. Des gardes patrouillaient dans les couloirs ou montaient la garde à des endroits bien précis, à l'intérieur comme à l'extérieur de la demeure royale.

Dans la chambre que la famille royale Vegarionne lui avait allouée, et qui était actuellement plongée dans l'obscurité de la nuit, Ewen ne parvenait pas à dormir. Postée sur le balcon, elle observait cette météo désastreuse, les bras croisés et ses longs cheveux bleu foncé flottant au gré des puissants vents puissants.

« Je ne pensais pas qu'il pouvait pleuvoir autant à Vegario. Voilà plusieurs heures que cette averse s'abat sans aucune interruption. »

La jeune princesse se demandait si ce temps singulier était normal.

« J'ai un mauvais pressentiment... J'ai l'impression que quelque chose de terrible va se produire cette nuit. » pensa-t-elle alors qu'elle s'était retournée afin de regagner l'intérieur de sa chambre. Mais la princesse Vopaquine eut un sursaut de frayeur en apercevant une silhouette se tenant debout face à elle. À cet instant précis, un éclair éblouissant apparut dans le ciel. Il illumina temporairement toute la pièce, et permit de dévoiler le physique de ce mystérieux individu. Ewen écarquilla ses yeux en reconnaissant l'homme qui l'avait attaquée quelques jours plus tôt, lors de sa visite à la capitale de Redfir. Cette personne n'était nulle autre que Seven, et celui-ci avait la princesse en ligne de mire avec l'une de ses armes, obligeant la jeune fille à ne plus bouger.

« Encore toi... » grogna la bleue, n'en revenant pas de confronter à nouveau à celui qui avait déjà attenté à sa vie une première fois. Seven ne répondit rien et se contenta de fixer Ewen dans les yeux. Son visage ne laissa transparaître aucune émotion. Mais au fond de lui, l'assassin était nerveux. Tout ce qu'il devait faire maintenant, c'était d'appuyer sur la gâchette de sa dague-hybride et de tuer ainsi sa cible d'une balle au milieu du crâne. Mais avant...

« Tu ne te souviens toujours pas de moi, n'est-ce pas ? lui demanda l'homme à la tunique verte.

— Je me souviens surtout que tu as tenté de m'assassiner à Kalora, et que tu es celui qui a tué le roi Moreh bien avant cela. » répliqua la princesse en fronçant les sourcils. Seven demeura silencieux devant une telle réponse. Ce n'était pas celle qu'il espérait de la part de cette fille. Constatant qu'elle ne se rappelait vraiment pas de lui, il se décida à lui donner un indice :

« Cherche dans les souvenirs de ton enfance, Ewen. Un petit garçon aux cheveux courts noirs comme les miens, ça ne te dit vraiment rien ? »

La concernée, après un instant de réflexion, écarquilla ses yeux de stupeur. Depuis plusieurs jours, elle se demandait si cet homme souhaitait réellement la tuer comme il voulait le faire croire. S'il était vraiment résolu à commettre un tel crime, il l'aurait déjà fait lorsqu'ils étaient à la capitale Firoise. Mais à la place, il tentait désespérément de raviver certains souvenirs d'Ewen.

Tout devenait de plus en plus clair pour la princesse Vopaquine, qui refusait d'admettre une pénible vérité. Un petit garçon aux cheveux courts noirs comme ceux de cet individu... Une telle description lui paraissait plus que familière. Il y a une dizaine d'années, elle avait effectivement rencontré et côtoyé un garçon avec ce physique durant son enfance. D'ailleurs, elle s'entendait plutôt bien avec lui, à l'époque. Mais alors... Cet homme qui se tenait devant elle... Était-ce vraiment celui à qui elle pensait ?

« Non... C'est impossible... » murmura-t-elle alors qu'elle s'était rapprochée de quelques pas pour en être sûre. Mais Seven pointa son autre dague vers Ewen, lui faisant signe de ne pas s'approcher davantage. La princesse resta donc à sa position, mais son visage exprimait une immense confusion mêlée à de la stupéfaction.

« Lao... ? fit-elle ensuite. C'est toi ? »

L'assassin aux cheveux de jais ne répliqua pas. Mais un léger sourire se dessina progressivement sur ses lèvres. Lao... Voilà des années qu'on ne l'avait pas appelé par son véritable prénom. Un sentiment étrange le traversa en cet instant. Ewen l'avait enfin reconnu ! Le jeune homme était sur le point de lui répondre, lorsqu'il sentit subitement un courant d'air foncer à vive allure derrière lui. Se retournant, il para in-extremis un coup d'épée qui lui était destiné.

« Hé merde ! » pensa l'assassin alors qu'il dévisageait la personne l'ayant pris d'assaut. La bleue, de son côté, avait reconnu son sauveur.

« Harvay ! » s'exclama-t-elle, partagée entre le soulagement et l'appréhension. Son serviteur blond regardait l'assassin avec rage, alors qu'il tentait de briser sa garde.

« Sa Majesté Moreh ne t'a pas suffi ?! Tu veux aussi tuer Ewen dans la foulée ?! » s'écria le blond en poussant Seven, de façon à le faire reculer. Puis, il fonça de nouveau vers lui effectuant plusieurs coups d'épée, ne voulait lui laisser aucun répit. Cependant, ses frappes, pourtant bien placées, étaient tantôt bloquées, tantôt esquivées par son opposant aux dagues. Ce dernier serrait les dents de frustration. Il n'en revenait pas de s'être fait repéré de la sorte par quelqu'un, alors qu'il était à deux doigts d'accomplir la mission qu'on lui avait confiée.

« Harvay, attends ! » l'appela alors la princesse aux cheveux bleus. Mais son serviteur ne l'écouta pas. Il semblait habité par une colère intense envers celui qu'il affrontait. Il s'en fichait si cet homme en face de lui était jeune. Il s'en fichait de qui il pouvait être et des raisons qui le poussaient à assassiner des souverains. Il voulait simplement lui faire payer pour le meurtre de Moreh et pour la double tentative d'assassinat d'Ewen.

« Je vais te faire regretter d'être venu ici, sale vermine ! » pesta le blond à l'adresse de l'assassin, en lui donnant un gros coup de pied au ventre pour le faire reculer. Il profita ensuite de cette déstabilisation pour le frapper à nouveau avec sa lame. Mais Seven pointa l'une de ses dagues vers lui et un coup de feu retentit. La balle tirée avait frôlé l'épaule du serviteur de la princesse Vopaquine, déchirant son vêtement à ce niveau et entaillant légèrement sa peau. Harvay grimaça sous la douleur, tandis qu'Ewen se précipita vers lui.

« Harvay ! Tu vas bien ?

— C'est juste une égratignure, ne t'en fais pas, rassura le plus âgé. Ce n'est pas ça qui va me mettre à terre. »

Oubliant cette éraflure et le mal qui allait avec, le blond se prépara à attaquer de nouveau Seven. Seulement, il se tétanisa sur place en même temps qu'Ewen, en remarquant une aura pourpre entourer le corps de l'assassin.

« Cette émanation... murmura Ewen. C'est la même que celle que j'ai vue de la dernière fois. Bon sang, Lao ! Mais qu'est-ce que tu es devenu ?! »

Harvay observa sa princesse d'un air étonné. Lao ? Ewen connaissait donc ce type ? Seven, toujours entouré de son aura, baissa ses armes et détourna son regard des deux autres.

« Si je suis devenu ainsi, Ewen, c'est en partie à cause de toi.

— Pardon ? » fit celle-ci qui ne comprenait pas. Mais des bruits de pas provenant du couloir se firent entendre. Quelques secondes plus tard, la porte de la grande chambre s'ouvrit brutalement, laissant apparaître la famille royale Vegarionne, ainsi qu'Othéo. Ils étaient accompagnés d'une poignée de soldats qui s'était automatiquement déployée de façon à encercler Seven.

« Que signifie tout ceci ?! » s'exclama Aeren, pendant que son épouse Alfrid et sa fille Aeris se précipitèrent vers Ewen et Harvay pour s'assurer de leur bonne santé. Aeris utilisa même ses pouvoirs pour guérir l'entaille à l'épaule du blond. De son côté, Othéo s'arma de son épée en rejoignant les soldats, et la pointa en direction de l'assassin.

« Aurais-tu l'obligeance de nous révéler qui tu es, jeune homme ? » demanda-t-il à ce dernier sur un ton ferme et menaçant. Mais en guise de réponse, Seven baissa la tête d'un air maussade. Cette mission se soldait encore par un fiasco complet. Il en était sûr, désormais : jamais il ne pourrait tuer Ewen. D'ailleurs, pourquoi devait-il la tuer, déjà ? Juste parce que le boss la soupçonnait d'enquêter sur leur organisation ? À moins qu'il n'y avait une autre raison cachée derrière ? Ce n'était pas le moment d'y réfléchir. Ne pouvant plus abattre sa cible, il devait s'en aller avant de se faire capturer par l'armée Vegarionne. Se servant de sa vitesse supersonique, il disparut tout à coup du champ de vision de toute le monde.

« Qu'est-ce que.. ?! » fit la reine Alfrid. Mais ni elle, ni aucune autre personne présente dans cette chambre ne put prédire ce qui arriva ensuite. Les soldats, ainsi qu'Othéo qui avaient encerclé Seven, avaient tous littéralement volé jusqu'à percuter violemment les murs de la chambre, écrasant parfois quelques meubles au passage.

« Papa ! » hurla Ewen avec horreur face à un tel spectacle. Heureusement, ni le souverain aux cheveux azur, ni les soldats d'Aeren n'étaient blessés. Ils semblaient un peu sonnés et endoloris par quelques courbatures, mais se portaient bien, sans blessure grave apparente. Néanmoins, l'assassin aux cheveux ébène avait définitivement disparu de la pièce. Il s'était probablement enfui en sautant du balcon. Le roi de la nation des forêts paraissait abasourdi par ce qu'il venait de se passer dans son château. Qui était ce mystérieux jeune homme, armé de dagues et entouré d'une émanation pourpre ? Et que faisait-il dans la chambre d'Ewen ? Il se posait ces questions en observant ses soldats et Othéo se relever doucement. Il alla d'ailleurs aider ce dernier.

« Vous allez bien ? lui demanda-t-il.

— Cela ira, merci, assura le souverain de la nation des océans. Mais j'irai bien mieux lorsque cet homme sera mis hors d'état de nuire. »

Aeren ordonna alors à ses soldats de se déployer dans toute la capitale pour retrouver cet individu. Ewen, suite à cette péripétie, avait son regard perdu dans le vide. Elle n'en revenait pas. Celui qui avait tenté de la tuer à deux reprises, se révélait finalement être un ami de longue date.

« Et dire que je te croyais mort depuis tout ce temps, Lao... pensa-t-elle en regardant tristement en direction de la fenêtre. Que t'est-il arrivé, pendant toutes ces années où nous avons été séparés ? »

*

Seven s'était dirigé à une vitesse folle vers la jungle Naaken, au sud-est de Rhéa. La pluie n'avait toujours pas cessé et quelques bruits de tonnerre se faisaient encore entendre. Adossé contre le tronc d'un grand arbre alors que son aura surhumaine avait disparu, le jeune assassin se laissa glisser jusqu'à se retrouver assis au sol, le regard tourné vers le ciel nocturne et nuageux. Il était soulagé de voir qu'Ewen se souvenait enfin de lui. Mais étant donné qu'il ne l'avait pas tuée, le jeune homme était à présent dans de beaux draps. Le boss n'allait certainement pas lui pardonner une seconde fois.

« Tu es vraiment pathétique, mon cher Seven. » résonna la voix de son supérieur, alors que sa silhouette s'approchait à pas lents du tueur, entourée de son aura climatique blanche. L'employé ne le regarda même pas. Il avait l'air résigné, prêt à recevoir la correction de sa vie de la part du chef du Mortem Regis.

« Quand je pense que je te considérais comme l'un des membres les plus rigoureux et doués du Mortem Regis... Là, tu me déçois beaucoup ! Enchaîner autant d'échecs, tout cela pour une princesse sans intérêt et un gamin pitoyable. Je commence à croire que je me suis trompé à ton sujet.

— Va te faire foutre, connard... » murmura son interlocuteur en le regardant avec des yeux furieux. Au point où il en était, il n'avait pas peur de tenir des propos injurieux à l'égard de son boss, d'autant plus qu'il les pensait sincèrement. L'encapuchonné demeura silencieux quelques instants avant d'éclater brusquement de rire. Son aura immaculée s'éteignit petit à petit et la pluie s'arrêta d'un coup. Le chef de l'organisation était parti dans une hilarité assez déconcertante, ce qui surpris Seven malgré lui. L'assassin n'avait pourtant rien dit ou fait de marrant !

« Ah Seven... pouffa le boss en essayant de se calmer. Tu es vraiment fascinant ! Même quand la situation n'est pas en ta faveur, tu restes égal à toi-même sans te soucier des conséquences de tes actes ! »

Le concerné observa son supérieur d'un air à la fois blasé et énervé. Il aurait tellement aimé lui faire avaler son rire, en lui assénant une avalanche coups de poing !

« Au moins, tu auras réussi à me mettre de bonne humeur, reprit son supérieur après s'être définitivement calmé. Rien que pour cela, je vais t'épargner la punition que je t'avais réservée, au cas où tu échouerais une nouvelle fois ta mission !

— Tu te fous de moi ?

— Mais pas du tout, voyons ! Vraiment, je suis d'humeur plutôt joyeuse ! D'autant plus que tes deux collègues ont réussi leur mission avec brio de leur côté !

— Quoi ? »

Le boss se rapprocha et s'accroupit devant Seven, avant de lui répondre sur un ton enjoué :

« Pendant que tu étais occupé à faire les beaux yeux à la princesse Ewena au lieu de la tuer, j'ai envoyé Nineteen et Sixty-Nine à Xen, pour capturer ton nouveau petit protégé. Tu sais, le jeune prince qui t'a généreusement offert le bracelet que tu portes ? Figure-toi que contrairement à toi, elles ont réussi à attraper leur cible et à la ramener chez nous. »

Merde ! Tel était le mot venu à l'esprit de l'assassin en vert en cet instant alors qu'il serrait ses dents de rage. Décidément, le mauvais sort s'acharnait sur lui, ces derniers temps ! Lui qui espérait que le palais à Xenati garantirait la sécurité de Shira...

« Ne t'inquiète pas pour ce petit ! Nous ne lui ferons pas de mal. Du moins, pour le moment. Enfin, tout dépendra de toi !

— Comment ça, tout dépendra de moi ? »

Le boss se releva et tourna le dos à Seven, avant de s'éloigner de quelques pas.

« Ma phrase parle d'elle-même, mon cher. La vie de ce gamin, que tu t'efforces tant à protéger, dépendra de tes décisions. Après, étant donné qu'il est un élu béni des dieux et qu'il est capable de manier les reliques divines, le tuer serait un immense gâchis. Ceci étant dit, rien ne m'empêche de le torturer un peu.

— Espèce de...

— Je t'autorise à venir le voir, si tu veux, le coupa le boss. Le pauvre doit être très apeuré à l'heure qu'il est. Peut-être que te savoir non loin de lui l'aiderait à se détendre un peu ? »

L'assassin se releva et fusilla son supérieur d'un regard noir. Ce salopard qui lui servait de boss n'avait décidément aucune limite ! Qu'il s'en prenne aux souverains des six nations de Kaärann dans le but de donner le contrôle du continent au peuple, Seven pouvait le tolérer, bien que difficilement. Qu'il le fasse dans le but de provoquer une guerre générale, c'était limite. Mais qu'il veuille torturer un garçon innocent comme Shira, juste pour faire chanter le tueur... Il y avait clairement quelque chose qui n'allait pas dans cette histoire. Qu'est-ce que le boss cherchait à faire ? Quel était son véritable but ? Il fallait absolument que Seven trouve la réponse à cette dernière question. À contrecœur, il s'adressa à son chef.

« C'est d'accord. Emmène-moi jusqu'à lui. »

En voyant que le jeune assassin avait accepté sa proposition aussi facilement, le boss afficha un grand sourire sournois derrière son masque.