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tome 1, Chapitre 10 « Repos illusoire » tome 1, Chapitre 10

Les heures défilaient rapidement et l'après-midi était bien avancé à Vegario. Seven marchait à vive allure parmi les nombreux arbres peuplant la vaste forêt Aevia, suivi de près par Shira. Ensemble, les deux avaient parcouru plusieurs kilomètres à travers ces bois enchanteurs mais dangereux. L'assassin, qui connaissait l'endroit par cœur, prenait soin de ne pas traverser un quelconque territoire appartenant à une tribu Vegarionne hostile. Il évitait ainsi une potentielle malheureuse rencontre, et probablement une bataille inutile et épuisante.

En parlant d'épuisement, le prince de Xen commençait sérieusement à fatiguer et haletait légèrement. Les deux hommes n'avaient pas fait de pause depuis la reprise de leur route en direction de la nation des sables. Et si de son côté, Seven semblait habitué aux longs trajets à pied, cela n'avait pas l'air d'être le cas pour Shira.

« Petite nature... se moqua Seven avec un léger sourire en remarquant sa fatigue croissante.

— Hey ! Je ne te permets pas ! s'exclama le Xenois, vexé par une telle remarque péjorative à son égard. Je ne suis pas aussi endurant que toi, tu sais ? Et puis je suis blessé à l'épaule, je te rappelle.

— Oh, pauvre petit garçon. » répliqua l'assassin en levant les yeux au ciel, un peu exaspéré. Shira afficha une mine un peu agacée. Petite nature, petit garçon, nabot... Pourquoi Seven se sentait-il obligé de lui donner des surnoms aussi désagréables et peu respectueux ? Et dire que le jeune Xenois pensait qu'il était devenu plus sympa depuis la dernière fois où ils s'étaient vus ! Il s'était vite rendu compte de sa naïveté à ce sujet.

« Estime-toi heureux que je sois là pour te ramener chez toi, reprit Seven en regardant à nouveau devant lui. Sinon tu serais déjà mort, sans doute démembré et enterré. »

Le prince ne répondit pas. Même si cet homme à la longue chevelure noire n'était pas l'être le plus aimable qui existait sur ce continent, il n'avait pas tort. Sans son aide, qui sait quels autres ennuis aurait rencontré le Xenois. Ce dernier mis alors sa faiblesse et ses plaintes de côté. Il repensa alors à Ewena et à son serviteur qui l'avaient secouru quelques heures plus tôt. Le garçon à la peau hâlée se demandait pourquoi la princesse héritière de Vopaqua avait fait route jusqu'à la nation des forêts.

Il était également curieux au sujet de Seven. Que faisait-il à Vegario ? Vivait-il ici ? Connaissait-il les chasseurs qu'ils avaient rencontrés et combattus ? Le prince voulait lui poser ces questions mais savait d'avance que Seven ne lui répondrait pas. Cet homme était un grand mystère à lui tout seul, en plus d'avoir un caractère difficile. Mais ces deux caractéristiques le rendaient encore plus intrigant et fascinant qu'il ne l'était déjà, selon le plus jeune.

Pendant que celui-ci se perdait dans ses pensées, son compagnon assassin accéléra brusquement son allure en se dirigeant vers un arbre. Il monta ensuite sur plusieurs branches de ce dernier avec une habileté déconcertante, afin de prendre un peu de hauteur pour avoir une vue d'ensemble des environs. Shira paraissait un peu étonné par l'agilité et la rapidité dont faisait preuve son ami en vert en matière d'escalade. Mais il en profita pour s'asseoir au sol et reprendre son souffle. Seulement, ce moment de répit tant espéré fut écourté par Seven qui était bien vite redescendu de l'arbre, avant de faire signe au prince de se relever. Chose que le Xenois n'était pas vraiment disposé à faire en cet instant.

« On ne peut pas se reposer cinq minutes ? demanda-t-il, l'air dépité.

— Je t'ai déjà expliqué pourquoi on ne pouvait pas s'éterniser ci. Et puis on a presque atteint la frontière Xenoise. Fais un effort ! »

Shira poussa un profond soupir. Néanmoins résigné, et histoire de ne pas passer pour un petit prince capricieux aux yeux de son compagnon, il se releva. Difficilement mais sûrement.

Le duo reprit donc la route. Celle-ci s'avéra encore longue et éprouvante. Surtout pour le plus jeune des deux, qui se demandait où l'autre parvenait à puiser une telle résistance physique. Contrairement à lui, l'assassin semblait toujours en forme. Shira l'enviait pour son endurance à toute épreuve.

Finalement, après encore une demi-heure d'efforts, le duo s'extirpa enfin de la forêt et, par extension, de Vegario. Ils se trouvaient à présent au sommet d'un des grands plateaux longeant la frontière Vegario-Xenoise. Ces reliefs, pas excessivement hauts comparés à ceux de Redfir, surplombaient toutefois l'immense paysage désertique de l'empire de Xen. Celui-ci portait bien son surnom de nation des sables, étant donné les dunes qui s'étendaient à perte de vue. La végétation y était inexistante si on excluait les quelques cactus et les rares oasis perdues qu'on pouvait croiser. Depuis leur position, les deux jeunes hommes pouvaient apercevoir la silhouette d'une grande cité à l'horizon. Là était leur destination : Xenati.

« On a encore du chemin, affirma Seven en croisant les bras, les yeux rivés sur l'immensité du désert Xenois. Mais ce serait de la folie de s'aventurer dans ce désert au beau milieu de l'après-midi. On cuirait sur place. »

L'assassin tourna sa tête vers Shira, qui, haletant légèrement, regardait sa cité au loin. Sa fatigue était clairement visible. S'ils traversaient ce paysage désertique maintenant, le prince mourrait d'épuisement. Et Seven se ferait rôtir durant leur trajet. Préférant ne prendre aucun risque, le plus grand annonça :

« Je te propose qu'on se repose ici, en attendant que la température diminue.

— Tu veux qu'on fasse la route de nuit ? s'étonna le prince en le regardant à son tour. Il fait très froid dans le désert le soir. Et puis, il y a des créatures plutôt agaçantes et féroces, qui pourraient nous mettre des bâtons dans les roues.

— Le fait d'être constamment en mouvement nous réchauffera un peu. On a aucun moyen de transport pour aller jusque là-bas. Donc, si on doit y aller à pied, autant faire en sorte de rendre ce voyage moins pénible. Quant aux éventuels monstres qu'on peut croiser, je peux gérer. Ne t'inquiète pas pour ça. »

Le prince de Xen se montra assez perplexe. Ce n'était pas qu'il trouvait l'idée de Seven mauvaise, mais elle était risquée. Malheureusement, aucune autre solution viable ne lui vint à l'esprit en cet instant. Après, étant un habitant et un habitué du désert, Shira se disait qu'il aurait pu traverser celle-ci de jour. Mais ce n'était probablement pas le cas de Seven. Le plus jeune accepta donc la proposition de ce dernier. Tous deux purent enfin s'accorder une longue pause, à la grande joie du prince qui ne demandait que cela depuis plusieurs heures.

Allongé sur le sol rocailleux à l'ombre d'un palmier, Shira observa le ciel dégagé du jour. Non loin de lui, Seven s'était assis, une jambe tendue et l'autre recroquevillée. Il observa ensuite son compagnon d'un air las. Comment ce jeune garçon, visiblement faible et sans réelle défense, avait-il pu survivre seul jusqu'à aujourd'hui à travers tout le continent ?

« Au fait, l'interpella l'assassin sans le lâcher du regard. Qu'est-ce que tu fabriquais à Vopaqua, l'autre jour ? »

Une telle question de sa part étonna Shira, qui tourna sa tête en sa direction.

« Pourquoi me demander ça maintenant ?

— Un prince de l'une des nations de Kaärann qui se promène seul, sans garde du corps, sans escorte et sans même un cheval si loin de sa patrie, je trouve ça un peu étrange, quand même.

— Je voyage incognito. Tu es le seul que j'ai rencontré et qui sait, pour mon statut de prince. D'ailleurs, comment tu as su, pour ça ?

— Réponds d'abord à ma question et je répondrai à la tienne. »

Shira regarda longuement son interlocuteur, avant de finalement se redresser pour s'asseoir en tailleur. Puis, le regard rivé vers la silhouette de Xenati, il répondit :

« Dans quelques jours, je fêterai mes dix-sept ans. C'est considéré comme le passage à l'âge adulte, à Xen. Et là-bas, nous avons une tradition pour célébrer cet événement. »

Le jeune prince raconta que les jeunes garçons sur le point d'atteindre cet âge devaient voyager à travers le continent, afin de réunir une liste d'ingrédients spécifiques qu'on ne trouvait que dans chacune des six nations de Kaärann. Une fois ce périple terminé, ces ingrédients réunis étaient utilisés pour préparer le festin en l'honneur du jeune adulte, le jour de son anniversaire. Les Xenois appelaient ce voyage l'épopée de Rhaj, Rhaj étant l'une des divinités de Kaärann, qu'on vénérait particulièrement à Xen. Ce périple, selon le peuple de cette nation sud-orientale, était une occasion pour les jeunes garçons de devenir des hommes braves et plein de ressources.

« Seulement, à cause de tous ces meurtres survenus récemment, et par rapport à la période difficile que traverse mon père à cause des accusations à son encontre, j'ai été obligé d'écourter mon voyage pour retourner chez moi. Je n'ai même pas pu me rendre à Norte, ni même dans l'une des villes de Vegario. »

Seven demeurait particulièrement attentif face au récit de Shira. Il était assez surpris de découvrir l'existence d'une telle tradition chez les Xenois, mais comprenait mieux pourquoi il avait croisé le plus jeune à Emerald, puis à Garnet. Le prince de Xen poussa un soupir rempli de déception.

« Moi qui pensais rendre ma famille fière de moi en leur ramenant tous les ingrédients de cette épopée...

— Ta famille peut déjà s'estimer heureuse de te revoir en vie et en bonne santé, affirma l'assassin. Un tel voyage est plutôt dangereux.

— Je m'en suis rapidement rendu compte ! confirma Shira avec un léger sourire en regardant le plus grand. Mais sachant que je suis l'un des princes de l'empire, j'aurais préféré aller jusqu'au bout et réussir. Mon grand-frère y était parvenu avant moi. Et mon père bien avant nous. Sans compter les précédents souverains ou tous les hommes Xenois qui sont passés par là.

— Sang royal ou non, les risques sont les mêmes. Et face au danger et à la mort, tous les humains sont égaux. Leur statut social ne les protège pas d'une rencontre fatale. »

Devant une telle réplique qui sonnait plutôt étrange de sa part, Shira afficha un air étonné, ne comprenant pas trop où Seven voulait en venir. Celui-ci s'allongea sur le dos, les mains placés derrière sa tête, et expliqua :

« N'aie pas honte de ne pas avoir accompli ce voyage jusqu'au bout, juste parce que tu es un prince qui aurait voulu suivre ou montrer le bon exemple aux autres. Tu as pris la décision de retourner chez toi parce que rien ne va plus sur ce continent. En faisant le choix de continuer ton épopée sans tenir compte de ça, tu aurais pu te faire tuer au même titre que le roi Moreh ou le prince Aelan. Et mourir en ne faisant que chercher des ingrédients pour préparer une fête d'anniversaire, personnellement, je trouve ça complètement ridicule et débile. »

Shira ne put s'empêcher de sourire. En observant les choses sous cet angle, Seven avait raison sur toute la ligne. Mais le Xenois ne pouvait s'empêcher de se sentir un peu frustré pour ne pas avoir réussi à atteindre son objectif. Il aurait tellement voulu prouver que malgré ses apparences de jeune garçon frêle et innocent, il était capable d'accomplir des choses dont on ne le soupçonnait pas ! Le jeune prince ferma les yeux quelques instants, afin de se remémorer tout ce qu'il avait accompli depuis son départ de Xenati. Il avait rencontré pas mal d'obstacles dangereux sur son chemin. Mais à chaque fois, il trouvait un moyen de s'en sortir. Peut-être que sa survie jusqu'à cet instant était déjà une belle récompense, après tout ! Le jeune homme ouvrit ses paupières pour observer Seven. Celui-ci avait les yeux clos et semblait avoir une respiration lente et profonde.

« Seven ? » l'appela Shira. Mais l'assassin ne lui répondit pas. Il avait l'air de s'être rapidement endormi. Le Xenois ne savait pas s'il devait en rire, ou être outré qu'il ait sombré aussi vite alors qu'il n'était pas le plus fatigué des deux. Toutefois, le plus grand avait raison de se reposer. Le duo n'aurait pas l'occasion de le faire, une fois la nuit tombée. Le garçon à la peau foncée se rallongea donc, en fermant ses paupières dans le but de s'endormir à son tour. Seven, qui ne dormait pas vraiment en réalité, le regarda faire du coin de l'œil.

*

Quelques heures s'étaient écoulées depuis. Après un long trajet éprouvant au sein de la forêt Aevia, Ewen et Harvay, à dos de leurs chevaux, arrivèrent enfin à la capitale de Vegario : Rhéa. Malgré sa population assez conséquente, ce lieu semblait étrangement calme. Ou plutôt, il dégageait quelque chose de serein et paisible. L'architecture des maisons était très différente de ce que le duo avait pu contempler à Emerald ou à Kalora. Essentiellement construites en bois et en briques, elles s'élevaient pour la plupart sur un ou deux étages. La forme singulière de leurs toits courbés leur donnait une allure à la fois fière, élégante et majestueuse. On pouvait également entrevoir des décorations en porcelaine ou sculptées dans la pierre, non seulement sur les devantures de ces nombreuses demeures, mais aussi le long des allées pavées serpentant toute la ville. La végétation occupait également une place importante à Rhéa. Quelques arbres fleuris aux pétales roses et blanches étaient dispersés un peu partout, et certaines habitations possédaient des jardins remplis de fleurs colorées.

« C'est beau, s'émerveilla Ewen. On a vraiment l'impression d'être dans une ville tranquille, à l'abri de tout danger.

— Je suis d'accord, admit Harvay. Vu comme ça, on ne dirait pas que quelqu'un est venu ici pour tuer le prince Aelan. »

La princesse aux cheveux bleus ne répondit pas. Il était vrai que la beauté de cette capitale Vegarionne ferait presque oublier la perte de l'héritier de cette nation. Néanmoins, en observant les habitants circulant non loin d'eux, Ewen remarqua leur mine sombre et attristée, à l'instar de la population de Kalora suite à la disparition de leur roi. Mais à la différence des Firois, les visages de certains citoyens de Rhéa laissaient entrevoir une certaine colère, ce qui était tout à fait compréhensible. Aelan était connu pour être un jeune homme généreux et exemplaire. Ewen savait qu'il était légèrement plus jeune qu'elle. Pourquoi avoir assassiné un garçon aussi jeune ? Les meurtriers responsables de cet acte ignoble n'avaient donc aucune pitié ? La jeune femme repensa alors à la mystérieuse personne qu'ils avaient croisée plus tôt dans la forêt, et qui l'avait sauvée en éliminant une chasseuse sur le point de l'abattre. Celui qui se faisait appeler Seven. Étant donné son physique, il était très probable que lui, l'assassin de Moreh, et celui qui avait attaqué la princesse Vopaquine à Kalora soient une seule et même personne.

« Est-ce qu'il aurait également tué le prince Aelan ? se demanda la jeune fille, perplexe. C'est très peu probable mais pas impossible pour autant. Mieux vaut ne pas tirer de conclusions trop hâtives. »

Mais il y avait une autre question qu'Ewen se posait : si c'était bien ce Seven qui avait tenté de la tuer au palais de Redfir, pourquoi l'avait-il sauvée en ce jour, face aux chasseurs qu'ils avaient combattus ?

« Ewen, nous sommes arrivés. » l'interpella tout à coup la voix de Harvay, qui la tira de ses pensées. Elle constata qu'ils se trouvaient effectivement au pied du palais royal de Vegario. Ce dernier ressemblait beaucoup plus à un temple qu'à un palais. C'était vraiment différent des demeures royales de Vopaqua ou de Redfir. Celle devant eux possédait le même style d'architecture que les habitations de la ville, à la différence qu'elle était bien plus vaste, et qu'elle s'élevait plus haut, c'est-à-dire sur trois ou quatre étages, surplombant ainsi toute la cité de Rhéa. Aussi, elle arborait, à plusieurs endroits, l'emblème de la nation, représentée par une fleur de lotus rose fuchsia.

La bleue et son serviteur n'eurent pas le temps de contempler plus en détail le monument. Alors qu'ils venaient tout juste de descendre de leurs destriers, une jeune fille d'assez petite taille et ne dépassant pas la quinzaine d'années, se présenta à eux, accompagnée de deux gardes royaux. L'adolescente aux longs cheveux lisses et noirs, et vêtue d'un kimono blanc possédant des motifs brodés rouges, s'inclina de respect devant Ewen.

« Dame Ewena de Vopaqua, commença-t-elle, avant de se redresser et de planter ses yeux noirs dans ceux de son homologue féminin. Je me nomme Aeris, fille de sa Majesté le roi Aeren. Mon père attendait votre arrivée. »

Pendant que Harvay faisait la révérence à cette princesse en guise de salutation, Ewen adressa un sourire de gratitude à la plus jeune.

« Merci pour cet accueil, Votre Altesse. Et mes sincères condoléances pour votre frère. »

La dénommée Aeris ne répondit pas. Elle se contenta de rendre un petit sourire à son interlocutrice, avant de lui tourner le dos. Elle avança ensuite en direction du palais en lui faisant signe de la suivre avec Harvay. Celui-ci échangea un triste regard avec celle qu'il servait. Le duo fraîchement débarqué l'avait remarqué : le sourire de cette jeune princesse cachait une profonde peine, qu'elle éprouvait sans doute suite à la mort de son aîné. Mais tous deux préférèrent ne rien dire, et se contentèrent de suivre la nouvelle héritière de la couronne Vegarionne.

*

La salle du trône de Vegario, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, n'était pas aussi vaste que celles des palais Vopaquin et Firois. Cependant, deux petits bassins d'eau claire et peu profonds, alimentés par de petites fontaines, se situaient de part et d'autre de l'allée centrale. Celle-ci, dotée d'un beau carrelage aux motifs fleuris, menait jusqu'au siège royal. Plusieurs variétés de fleurs, dont les pétales présentaient diverses nuances de rose, décoraient ce trône atypique en bois.

Le roi Aeren y était assis et son épouse se tenait debout juste à côté de lui. Le couple royal, à l'instar d'Aeris, était natif de Vegario. Tous deux possédaient de longs cheveux noirs, ainsi que des yeux de cette même couleur. Le souverain portait une tunique élégante verte et noire, complétée par une armure très légère dorée qui recouvrait principalement ses poignets et ses épaules. Quant à la reine, elle était vêtue d'une belle robe marron longue, légèrement décolletée. On pouvait voir une couronne de fleurs blanches posée sur le dessus de sa tête. Alors qu'Aeris s'était placée à côté de son père, Ewen et Harvay s'inclinèrent devant celui-ci.

« Bienvenue à vous, Dame Ewena, lui souhaita Aeren avec un sourire léger qui se voulait chaleureux. Je vous présente mon épouse Alfrid. »

La reine Vegarionne hocha la tête en souriant à l'adresse d'Ewen pour la saluer.

« Merci pour votre accueil, votre Majesté, répliqua la bleue en se redressant en même temps qu'Harvay. Et merci d'avoir accepté de nous recevoir, moi et mon garde personnel.

— Toi et les tiens êtes les bienvenus à Vegario. J'espère que votre voyage jusqu'ici n'a pas été trop pénible.

— Ne vous en faites pas pour cela, affirma Ewen. Malgré une malheureuse rencontre avec une tribu de chasseurs, nous n'avons pas croisé de problèmes insurmontables. »

Suite à la mention de cette tribu, le roi poussa un soupir las.

« Je suis vraiment désolé pour cela. Voilà plusieurs années que je mets tout en œuvre pour que les tribus et les clans peuplant les forêts se montrent moins hostiles envers les étrangers. Mais rien à faire : ils s'entêtent à vouloir les chasser ou les capturer à chaque fois.

— Si je peux me permettre, votre Majesté, intervint Harvay. Pourquoi ces tribus se comportent-elles ainsi ?

— Nous ne sommes pas venus ici pour parler de ça, Harvay. » lui murmura Ewen, un peu gênée que le blond pose sa question de cette manière. Toutefois, et contre toute attente, la reine Alfrid n'hésita pas à répondre.

« Ce problème date de plusieurs générations. À Vegario et contrairement aux autres nations de Kaärann, nous possédons une culture assez conservatrice. Nombreux sont celles et ceux souhaitant ne voir que des Vegarions sur ce territoire. Ils détestent les étrangers, et ont peur que nos traditions et nos savoirs se perdent, ou se fassent voler par d'autres communautés. »

Mais la famille royale de Vegario, depuis le règne du roi Aroun, le grand-père du roi actuel, a voulu suivre l'exemple des autres pays et s'ouvrir à ces derniers. Mais une partie de la population Vegarionne ne partageait pas cette idée, et a donc décidé de renier la famille royale. Suite à cela, tous ces gens ont commencé à quitter les différentes villes de la nation pour aller vivre en forêt. Différents groupuscules s'étaient ainsi formés. Les groupes composés de moins de soixante personnes se faisaient appelés les tribus, et les autres étaient nommés les clans. Ces tribus et clans, qui portaient alors les noms de leurs leaders respectifs, se différenciaient par des règles de vie qu'ils s'imposaient. Mais ils avaient quasiment tous un point commun : il s'attaquaient aux étrangers ayant le malheur de fouler leurs territoires.

« À cause d'eux, les touristes se font de plus en plus rares à Vegario, compléta Aeren en regardant Ewen. Plus personne n'ose s'aventurer dans ses forêts par peur de croiser ces individus agressifs. C'est d'ailleurs pour cela que votre désir de venir jusqu'ici m'a beaucoup étonné. »

La princesse de Vopaqua ne répondit rien. Elle était vraiment désolée pour ce roi et sa famille qui semblaient être des gens bien, mais qui peinaient à gérer une partie de leur population qui ne partageait pas leurs idéaux. Si, en plus, on rajoutait à cela le fait que quelqu'un avait récemment assassiné le prince Aelan...

« Nous comprenons, Votre Majesté, parla Harvay. Et nous sommes désolés pour tout cela. Nous espérons de tout cœur que cette situation s'arrangera. »

Cette belle phrase fit légèrement sourire la reine Alfrid, qui semblait plutôt touchée par cette compassion à leurs égards. Aeris, elle, détourna son regard de tous, l'air maussade. Quant au roi, il se leva de son trône en croisant les bras, le regard perdu sur le sol carrelé.

« Vous dites être venus ici pour enquêter sur le meurtrier qui a pris la vie de mon fils. Mais en toute franchise, je pense qu'il n'y a pas à chercher très loin. L'empereur de Xen a forcément quelque chose à voir, de près ou de loin, avec ce crime.

— Aeren... murmura Alfrid qui n'avait pas l'air de partager son avis.

— J'ai effectivement entendu les soupçons à son sujet, confia Ewen. Mais je pense qu'il est encore tôt pour tirer une telle conclusion. D'autant plus que j'ai peut-être une piste concernant l'assassin de Son Altesse Aelan... et celui du roi Moreh.

— Une piste ? s'étonna la jeune Aeris avec espoir. Quelle est-elle ?

— Je suis désolée, s'excusa la bleue, mais j'aimerais d'abord être vraiment sûre avant de la dévoiler. C'est pour cela que je suis venue ici. »

Le regard de la princesse de Vopaqua se tourna alors vers Aeren et Alfrid :

« Votre Majesté. Dame Alfrid. Cela va vous paraître déplacé de ma part, mais j'aimerais que vous me racontez précisément ce qui est arrivé à votre fils. »

Alors qu'Harvay regardait sa princesse d'un air surpris, le couple royal s'échangea un regard. Non sans une certaine hésitation, ils décidèrent de tout raconter à Ewen.

*

Le soleil se couchait et la température baissait progressivement à la frontière Vegario-Xenoise. Il ne faisait pas encore froid pour le moment, mais pas exagérément chaud non plus. Toujours allongé par terre, Seven fixait silencieusement les quelques étoiles déjà présentes dans le ciel crépusculaire. Il n'avait pas dormi, mais estimait que rester allongé ainsi pendant plusieurs heures lui suffisait pour reprendre des forces. De temps en temps, il jetait un coup d'œil à Shira, allongé à côté de lui. Celui-ci dormait profondément, esquissant un léger mais tendre sourire.

« Toi, ta naïveté te perdra un jour... » pensa le plus grand vis-à-vis de lui, avant d'observer à nouveau le firmament assombri.

Tout à coup, il entendit des bruits de pas avançant en leur direction. Le jeune assassin se redressa pour se retrouver assis et scruta les alentours. Les claquements des souliers se faisaient de plus en plus forts et nombreux et quelques faibles lueurs, provenant probablement de lanternes à huile, s'approchaient. L'homme en vert donna un petit coup à Shira pour le réveiller.

« Debout là-dedans. On a de la compagnie, lui murmura-t-il avant de se mettre debout.

— Hm ? »

Shira ouvrit faiblement les yeux. Il mit un certain temps à reprendre ses esprits, avant de se tourner vers Seven qui fixait désormais une certaine direction en fronçant les sourcils. Le petit prince observa à son tour ce qui attirait son attention, puis se mit debout à son tour, l'air méfiant. Plusieurs silhouettes se rapprochaient doucement d'eux alors que des rires masculins se faisaient entendre. Au fur et à mesure que ces mystérieux individus avançaient, les deux jeunes hommes parvenaient à les distinguer. Il s'agissait de six hommes, plus âgés et plus imposants qu'eux. Probablement des bandits si on se fiait à leurs tenues, leurs armes et leurs dégaines malicieuses. Seven ordonna à Shira de passer derrière lui, ordre que ce dernier exécuta, avant de faire face à la bande.

« Dites donc, les gamins ! leur parla l'un de leurs visiteurs nocturnes après s'être arrêté à quelques mètres du duo. Ce n'est pas l'heure d'aller au lit ? J'entends vos mamans vous appeler ! »

Cette petite farce provoqua un rire chez ses acolytes. Ne voyant pas ce qu'il y avait de drôle dans sa soi-disant vanne, l'assassin et le prince se contentèrent de rester silencieux.

« Vous n'êtes pas de grands bavards, hein ? continua le voyou devant le mutisme des deux plus jeunes. À moins que vous préférez une autre façon de communiquer ?

— Nous, on en connaît une plutôt amusante, si vous voyez ce qu'on veut dire. » rétorqua un autre qui leur avait fait un clin d'œil, en se léchant les lèvres avec avidité. Ses complices rigolèrent, ravis par une telle idée.

« Ils sont deux, nous sommes six, calcula un troisième bandit. Ça en fait un pour trois !

— J'veux bien me farcir le plus p'tit des deux ! » sourit un quatrième en posant ses yeux sur Shira. Ce dernier recula de quelques pas, visiblement répugné par leur attitude et leurs sous-entendus qu'il savait dégoûtants. À l'inverse du Xenois, Seven afficha un sourire provocateur.

« Désolé de briser vos envies obscènes, mais comme vous pouvez vous en douter, nous ne sommes pas intéressés par votre offre. Alors voilà ce que je vous propose à la place : passez votre chemin, et oubliez que nous nous sommes croisés. Ou restez ici, à vos risques et périls. »

Il n'avait pas pris la peine de leur dire ce qu'il leur ferait s'ils choisissaient de rester, mais la menace était claire. Malgré cela, les voyous ne purent s'empêcher de rigoler, ce qui ne rassura pas Shira, qui se demandait comment les deux allaient se sortir de ce pétrin. L'assassin aux cheveux d'ébène, sans perdre son sourire, se contenta d'observer les brigands se moquer de lui. Une fois leur crise de rire passée, celui qui semblait être leur chef dégaina un sabre court.

« Et si on te donnait une petite leçon, pour te faire ravaler ton arrogance ? »

En guise de réponse, Seven s'arma de ses lames-pistolets et se mit en garde, toujours en affichant un sourire narquois.

« J'ignorais que de sombres petites merdes comme vous étaient aptes à enseigner quelque chose. » nargua-t-il. Cette pique de sa part agaça les bandits qui foncèrent subitement vers lui pour l'attaquer. Leur leader fut le premier à frapper. Mais l'assassin, aussi rapide que le vent même sans son aura, parvint à éviter l'attaque et planta l'une de ses lames dans l'épaule du brigand, qui hurla de douleur. Deux autres voyous décidèrent donc de l'attaquer simultanément.

« Pathétique... » pensa Seven en tirant deux balles, qui touchèrent de plein fouet les armes de ses deux opposants. La violence de l'impact provoqué par ces projectiles les avait forcés à lâcher leurs sabres, ce qui les déstabilisa. L'homme en vert en profita pour passer rapidement derrière eux, et planter ses dagues dans leurs dos, les achevant ainsi. Alors que ces deux voyous s'étaient effondrés, un autre fonça vers lui en hurlant, son arme levée pour l'abattre sur Seven. Malheureusement pour lui, ce dernier lui mit un gros coup de pied dans le ventre pour stopper sa course, suivi d'un autre coup similaire au visage qui le fit tomber. Le bandit voulu se relever, mais Seven ne lui en avait pas laissé le temps : il l'avait plaqué au sol en posant violemment son pied sur son ventre, avant de se baisser au niveau de sa gorge pour la trancher.

« Lâche-moi, espèce de porc ! » s'écria Shira tandis qu'un brigand encore debout l'avait attrapé par le bras, probablement pour décamper en l'emportant. En voyant cela, Seven se redressa, visa l'individu avec la pointe d'une dague-hybride, et lui tira une balle en pleine tête. L'homme, mort sur le coup, lâcha le prince Xenois et tomba mollement par terre à la renverse. L'assassin observa alors le plus jeune, sur le point de lui demander s'il n'était pas blessé. Seulement :

« Seven, attention ! » hurla l'adolescent à son adresse en tendant tout à coup sa main vers lui. Les joyaux rougeâtres incrustés dans le bracelet en or qu'il portait au poignet s'illuminèrent, et des flammes jaillirent de sa paume, fonçant droit vers Seven. Celui-ci, d'abord surpris, esquiva néanmoins et remarqua que ce sort incandescent visait en réalité le leader des brigands. Ce dernier était le seul membre du groupe à être encore en vie et avait manqué de frapper l'homme en vert avec son arme. L'assassin du Mortem Regis écarquilla ses yeux de stupeur en regardant les flammes consumer le corps. Le voyou brûlant hurlait à la mort, avant de finalement rendre l'âme quelques secondes plus tard et de s'écrouler à son tour. Un lourd silence s'installa ensuite. Seul le crépitement des flammes, continuant de brûler le cadavre calciné, se faisait entendre. Seven se tourna vers Shira, abasourdi par ce qu'il venait de se passer. Le prince, de son côté, haletait et se remettait difficilement de sa frayeur.

« Hey, l'interpella l'assassin en s'approchant de quelques pas. C'était quoi, ça ? »

Shira dut prendre un certain temps, à la fois pour reprendre son souffle, et formuler sa future réponse. Sauf que le plus grand ne se montra pas suffisamment patient.

« Réponds, Shira ! Qu'est-ce que c'était que ce truc ?! répéta-t-il en élevant le ton.

— Ce sont mes bracelets qui me donnent ce pouvoir ! C'est tout ! Je ne voulais pas que cette magie s'active maintenant ! Je ne voulais pas faire ça ! Je ne voulais pas le tuer ! Je voulais seulement t'aider ! Je ne voulais pas en tuer un de plus ! J'en ai déjà tué tellement ! Je m'étais juré de ne plus jamais utiliser mes bracelets pour ça ! » paniqua vivement Shira, plus sous l'effet de l'émotion qu'autre chose. Il semblait tellement effrayé qu'il s'était inconsciemment reculé de Seven.

Ce dernier demeura silencieux, sans lâcher le plus jeune des yeux. Il ne s'attendait absolument pas à cela de la part de ce nabot. L'assassin comprenait mieux comment le Xenois était parvenu à faire fuir les loups luisants à Redfir, pour le sauver la dernière fois. Il comprenait également comment Shira avait réussi à survivre jusque-là, à travers tout le continent. Avec une telle magie enfermée dans ces mystérieux bracelets accrochés à ses poignets, il pouvait brûler à mort n'importe qui tentant de le tuer ou de lui faire du mal. Si le petit prince était actuellement dans cet état de peur, c'était probablement parce que le nombre de personnes ayant péri sous ses flammes étaient nombreuses. C'était vraiment étonnant de sa part, en y repensant.

Mais l'heure n'était pas à l'admiration d'une telle capacité.

Seven s'approcha à pas lents de son compagnon, avant de doucement poser sa main sur le dessus de sa tête.

« C'est bon, j'ai compris, le rassura-t-il pour calmer sa crise de panique. Tout va bien maintenant. C'est fini. »

Voyant que Seven ne se montrait pas agressif envers lui malgré la découverte de sa capacité cachée, Shira se calma en inspirant un bon coup, et regarda le plus âgé dans les yeux.

« Désolé. »

L'assassin aux longs cheveux noirs lui adressa un bref sourire, avant d'ôter sa main du dessus de son crâne et de se tourner vers les cadavres gisant au sol. Il s'approcha ensuite d'eux et fouilla dans leurs besaces : il récolta ainsi trois-cents Gharils, ce qui était une somme non-négligeable. Il constata également que certains d'entre eux portaient des vêtements amples, qui les protégeaient probablement du froid qui allait bientôt s'abattre sur le désert en cette nuit. Bien que ces linges étaient tâchés de sang, Seven les prit tout de même et en enfila un, avant d'en tendre un second au prince Xenois.

« Couvre-toi avec ça, lui conseilla-t-il. On aura moins froid en les portant durant notre trajet jusqu'à chez toi. »

Shira, qui se remettait lentement de son choc émotionnel passager, observa les taches de sang présentes sur le tissu avec dégoût. Mais connaissant les basses températures qui régnaient sur les sols sableux de l'empire de Xen la nuit, il ne broncha pas et saisit ce vêtement afin de le revêtir. Seven avait également ramassé deux lanternes au sol, qui les éclairerait pendant leur futur périple nocturne. Il en donna une à Shira et garda l'autre. Une fois prêts, les deux jeunes hommes purent enfin pénétrer dans la nation des sables, et ainsi se diriger vers Xenati.


Texte publié par Kamryn Allister, 25 février 2023 à 14h37
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