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volume 1, Chapitre 5 « Perte Déchirante » volume 1, Chapitre 5

Option taille : 1000 mots (+/- 10%)

Objet/chose : “tournevis électrique”

Émotion/état : “désespoir”

Couleur : “gris”

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La réalité n’est pas comme la fiction. Dans la fiction, quand il y a des événements heureux, il fait beau ; tandis qu’à l’inverse quand il y a des événements tristes, il fait fait moche.

Mais ils n’étaient pas dans de la fiction.

C’est pour ça, qu’aujourd’hui, le jour le plus triste de leur existence, il faisait un soleil radieux avec juste quelques petits nuages cotonneux voguant dans le ciel. Comme si le monde entier se moquait de leur chagrin, de leur douleur. Comme si le fait que le monde continue de tourner sans conséquences n’était pas déjà horrible.

Leurs parents étaient morts.

Le désespoir causé par la nouvelle avait brisé, détruit, anéanti leur petit monde.

Comment allaient-ils faire pour vivre ? Comment allaient-ils continuer de vivre ? Ils étaient seuls maintenant.

La mortalité était quelque chose de bien réelle, ils le savaient depuis très longtemps, mais elle avait toujours été une chose abstraite. Elle ne les avait jamais vraiment touchée, sauf pour les pauvres poissons qu’ils avaient gagnés dans les fêtes foraines quand ils étaient petits. Ils en avaient été tristes, ils en avaient pleuré, puis ils étaient passés à autre chose, leur attention d’enfant détournée.

Mais aujourd’hui, rien ne pourrait les détourner de la mort de leurs parents.

Pas les discours de soutien et d’aide, pas les frais d’enterrement à payer, pas le fait qu’aucun d'eux n’avait de rentrée d’argent, pas le fait qu’ils ne pourraient sans doute pas garder la maison, pas le fait que ni Anaïs ni Nathan pourraient ne pas obtenir la garde de Thibault.

Ils étaient enfermés dans le vide gris du deuil, hermétique à tout ce qui pouvait se passer autour d’eux.

Quand l’oraison funèbre fut terminée, le silence les enveloppa. Bouger, avancer en direction des cercueils, dire une dernière parole qui ne serait jamais entendue semblait impossible à faire. Mais ils l’ont fait. De façon automatique, de façon robotique. La douleur alourdissant leurs corps, le chagrin serrant leur gorge, la perte coulant de leurs yeux.

Soudés les uns aux autres, la fratrie s’avança péniblement devant les cercueils. Ils devraient faire ça un par un, mais ils ne pouvaient se séparer. S’ils le faisaient… ils ne savaient pas comment ils réagiraient.

– Papa, maman, vous… hum, s’étrangla Anaïs, les larmes coulant de ses yeux rougis.

Elle n’arrivait pas à parler, mais il le fallait. Elle était l’aînée, elle devait montrer l’exemple, être un soutien, un pilier pour ses petits frères qui s’accrochaient à elle autant qu’elle s’accrochait à eux.

– Vous avez toujours été de supers parents et de bonnes personnes. Vous allez nous manquer. Terriblement. A-a-au r-revoir…

– Au revoir maman. Au revoir papa, continua Nathan d’une voix rauque et étranglée.

– Au… au revoir… On vous aime. Toujours, termina Thibault dans un murmure presque inaudible.

Ils restèrent immobiles encore quelques instants avant de se forcer à laisser la place aux invités venus dire leurs propres mots d’adieu.

Quand tout le monde fut passé, le silence endeuillé de leur coin du cimetière fut recouvert par le léger bruit d’un tournevis électrique fermant de manière définitive les cercueils de leurs parents. Ce son aigu et mécanique résonna jusque dans leurs os, malgré sa douceur.

Les deux cercueils descendirent alors dans le trou creusé à leur intention, lentement, trop lentement pour la douleur de la fratrie. Ils comprenaient de manière lointaine le respect du geste, mais là tout de suite, ils n’avaient qu’une seule envie, que tout se finisse rapidement afin qu’ils puissent s’isoler de tout et de tout le monde.

Ils ne voulaient ni compassion ni pitié, ils voulaient juste qu’on les laisse tranquilles.

– Les enfants ?

Mais il semblerait qu’ils ne pouvaient même pas avoir ça.

Simone, une amie de leurs parents et également une de leurs voisines, s’était approchée d’eux. La compréhension de leur perte brillait dans son regard car elle aussi avait perdu son mari il y a quelques années, et c’était sans doute à cause de ça qu’elle leur parla doucement mais fermement.

– Il fait froid, il faut rentrer avant de tomber malade.

La fratrie avait envie de répliquer qu’ils étaient bien dehors, qu’ils ne voulaient pas aller à l’intérieur, mais ils n’avaient pas la force de s’opposer à qui que ce soit. Alors après quelques secondes de silence et d’immobilité, ils finirent par suivre leur voisine jusqu’à sa voiture où ils s’entassèrent sur les sièges arrière.

Le retour à la maison se fit dans un état second et silencieux. Quelques voitures étaient arrivées avant eux, les attendant. Pourquoi devait-il y avoir une sorte de regroupement post-enterrement ? À quoi ça servait ? Plus les gens restaient longtemps, plus cette journée s’étirait, et la fratrie commençait à ne plus le supporter.

Anaïs déverrouilla machinalement la porte d’entrée, ses frères sur ses talons et Simone fermant la marche. Le reste des gens entra progressivement par petits groupes chuchotants et murmurants. Certaines femmes allèrent directement dans la cuisine accompagnées de Simone pour revenir avec des choses à manger et des boissons. La fratrie, elle, s’installa dans le canapé ne n’y bougea plus.

Le salon et la salle à manger furent rapidement bondés avec quelques personnes voguant de groupes en groupes. Quelqu’un leur donna à tous les trois une petite assiette remplie de nourritures et à boire, mais ils n’y touchèrent pas. Ils n’avaient pas faim. Et même dans le cas contraire, ils n’auraient rien pu avaler.

Certains adultes essayèrent de leur parler, mais aucun d’eux ne purent vraiment prononcer le moindre mot. Ils communiquaient principalement par gestes et sons de gorges. Au bout d’un moment ils furent finalement laissés tous seuls dans leur coin.

Les yeux étaient rouges et gonflés, secs et humides à la fois. Ils se serraient les uns contre les autres, comme si la chaleur de leurs corps les empêchait de sombrer davantage dans l’agonie de la situation.

Leurs parents n’étaient plus là. Ils se trouvaient enfouis sous terre, morts. Ils ne reviendraient jamais.

La fratrie était désormais seule au monde.


Texte publié par Yuedra, 2 avril 2023 à 19h57
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