Le ciel est gris, aujourd’hui. Le temps frais. Le printemps arrive ; devant les bourgeons, derrière les fanes.

Adossé à la balustrade, ses yeux laiteux semblent regarder, en contrebas, les enfants jouer. Ils tourbillonnent, hurlent, courent, vent violent d’humanité.

Il s’interroge. Il aimerait bien aller voir, le mois prochain, les cerisiers en fleur. Là-haut, loin sur la montagne, au bord d’un lac, ils étaient dix, vingt, trente ; leurs ombres fraîche contenaient la promesse de la rougeur des fruits sucrés.

Il ne s’interroge plus. Il a peur. Peur de ne plus voir de printemps. Plus jamais il ne tourbillonnera ; et bientôt, le plaisir de regarder le vent lui sera enlevé. Alors les cris des enfants n’atteignent plus ses oreilles, pas plus qu’il ne les voit se battre ; elle lui tord les entrailles, obstrue ses oreilles, lui crève les yeux. Comme une lourde enveloppe blanche, lumineuse, aveuglante, la peur le paralyse, appuie sur chaque plis de sa peau comme pour en créer de nouveaux, arrache un à un ses cheveux, et il ne sait plus ; que faire, quoi faire, où faire ? Il hurlerait si elle n’avait pas déjà tranchée ses cordes vocales. Il voudrait rentrer, au chaud, dans l’ombre, retrouver la conscience de son corps, et voilà qu’il a le soleil en face des yeux, apparaissant enfin entre les nuages.

Alors seulement la douce certitude balaie la peur, et, chirurgienne aguerrie, répare les cordes, restitue les yeux, dégage les oreilles et tend sa peau. Il aurait aimé sourire, sourire aux vieilles fanes qui, tombant délicatement du tronc, viennent nourrir ses racines, et ses yeux pétillent quand il pense à tout ceux qui déjà ont rejoint ce terreau fertile. Il serait presque fier de pouvoir à son tour en faire parti.

Ses cordes ne vibrent plus, ses oreilles sont closes, ses yeux sourds.

Le journal du lendemain indiquera :

Météo – chutes de neige à prévoir

Rubrique nécrologique :

21/03/ Monsieur