Passion. Les deux corps fusionnent dans une ultime étreinte. C'est peut-être un adieu, et on le sent dans chacun de leurs mouvements, précis mais romantiques. Dans la faible lueur de la lanterne, ce couple ressemble aux ombres chinoises que l'on trouve dans les spectacles de rues.
Mais les marionnettes n'étouffent pas leurs sanglots sur l'épaule de leur amant. Les marionnettes ne doivent pas laver leur honneur. Les marionnettes ne se font pas poursuivre par des voyous dans une ruelle enneigée. Elles ne meurent pas, leur cadavre n'attire pas les corbeaux et les cris.
Trois mois plus tard ...
La jeune femme, enveloppée dans une épaisse toile en guise de cape, trotte d'un pas pressé dans les rues mal famées de la ville. En-dessous de cette maigre protection aux yeux des bandits, elle ne porte non pas une robe, mais bien un chemise et des bas d'homme. Des bas couverts de sang.
S'engouffrant dans une masure miteuse, trop fréquentée à cette heure-ci pour être honnête, l'inconnue s'aventure au milieu des hommes couturés de cicatrices et de filles trop déshabillées à son goût. Elle s'accoude au bar, enlève sa capuche en tissu grossier d'un coup de tête, et balaie la salle du regard. Son visage, complètement dissimulé par un demi-masque, est entouré de cheveux de jais ondulant jusqu'à ses omoplates. Ses yeux azur sont concentrés et prudents, tous ses muscles sont tendus.
A l'exposition de son visage, ou plutôt de son masque, la totalité des visiteurs de l'établissement se tait peu à peu. A présent résonnent plutôt les murmures, parfois paniqués, parfois admirateurs, de quelques truands qui jettent de temps à autre un regard mi-apeuré, mi-étonné sur la jeune intruse. Cette étrangère a capté en quelques instants l'attention de la majorité de la pègre de la ville. Ce n'est pas courant. Mais pas étonnant non plus, la concernant.
Le barman est bien le seul être indifférent à cette visite particulière. Et pour cause, il connait personnellement l'instigatrice de tant d'émoi. Lui seul peut se permettre de la tutoyer sans représailles :
- Alors, Rosie, que viens-tu faire dans ma porcherie ce soir ? Venue aiguiser ton fleuret, peut-être ?
Sa main avide se tend vers la cape de la jeune femme, sous laquelle se cache une lame de plus en plus célèbre. Mais "Rosie" attrape brusquement la main du vendeur et, tout en maintenant une poigne ferme, lui répondit :
- Non merci Charles. Tu sais très bien que je n'aurai aucun remords à te trancher la main, alors évite de toucher à mon arme, je t'en prie.
Sa voix est douce et impassible, mais dans ses yeux luit une lueur sauvage. Elle est prête à mettre sa menace à exécution s'il le faut, et elle en a même envie. Mais son interlocuteur se contente de hocher la tête, la gorge nouée, et elle le relâche à regret. Puis l'étrange ajoute d'un ton badin, comme si rien n'était passé :
- A quand prévois-tu l'arrivée du printemps ? Déjà fin février et il tarde à venir !
Rosie caresse ensuite doucement la rose de soie violacée accrochée à sa chevelure, le seul signe un tant soit peu coquet de sa tenue. Signe qui lui a valu le surnom du tavernier, mais est aussi la raison pour laquelle tous la nomme "La Pourpre Epineuse", nom bien pauvre en comparaison des faits d'armes dont elle serait la responsable.
Cette femme, qui était inconnue de tous il y a quelques mois, est en effet brusquement apparu dans un grand éclat, qui lui a tout d'abord donné le nom de "Voleuse Nocturne". Ce n'est que deux semaines avant ce jour qu'elle a commencé à s'afficher dans les bars les plus évités des bonnes gens. Et c'est deux jours plus tôt qu'a été entraperçue pour la première fois son fleuret légendaire, ou plutôt la première fois où l'observateur a pu raconter ce qu'il a vu. Un pauvre hère, qui s'est aussitôt précipité dans la première auberge pour dévoiler à qui veut l'entendre la finesse de la lame, les ornements de la coquille, ou encore le tranchant du fer. Depuis, chaque apparition de la Rose suscite curiosité et admiration, en plus de la terreur habituelle.
Quant à cette dernière, justement en train de commander un remontant, elle est loin de se douter, malgré toute sa ruse, à quelle surprise va-t-elle devoir faire face.
Alors que les conversations reprennent peu à peu, les bandits ignorant maintenant la nouvelle venue, la porte de la taverne claque. Un homme vient d'entrer. Roux, vêtu d'une souple combinaison de cuir, il ignore les regards distraits qu'on lui porte pour se diriger d'un pas lourd au bar. Sur sa joue luit une entaille fraîche. D'un ton furieux, il dit en pointant la Rose du doigt :
- C'est vous !
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2417 histoires publiées 1060 membres inscrits Notre membre le plus récent est Jayce |