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tome 1, Chapitre 4 tome 1, Chapitre 4

Martina se réveilla avec une sensation de coton dans la bouche et un sacré mal de tête. Enfoiré, maugréa-t-elle, il m’a encore drogué. Elle se releva doucement, histoire de ne pas se faire surprendre au cas où elle serait encore dans une cage. Mais non, elle réussit à s’asseoir sans problème et sentit le plancher sous ses pieds. Il faisait bien moins sombre que dans l’endroit où elle se trouvait avant et en déduisit qu’elle se trouvait à l’étage, plus exactement dans une chambre, sur un matelas à même le sol. En tournant la tête, elle aperçut une fenêtre aux rideaux tirés, et une tapisserie qui tombait en lambeaux sur les murs. Un lustre pendait lamentablement au plafond, maintenu par on ne sait quelle force invisible. Dans un coin de la pièce, elle découvrit avec horreur un pot de chambre, comme on en trouvait au XIXe siècle. « S’il s’imagine un instant que je vais utiliser ce truc, se dit-elle, il se fourre le doigt dans l’œil ». Elle se leva pour voir si la porte était fermée, et sentit quelque chose qui la gênait. En baissant les yeux, elle vit qu’une corde entravait sa cheville. Elle la ramassa pour voir jusqu’où elle pouvait aller et se rendit compte qu’elle pouvait faire le tour de la pièce. Par contre, l’accès à la porte lui était impossible. Il ne manquait pas grand-chose pourtant, à peine quelques centimètres. Mais c’étaient ces quelques centimètres qui la séparaient de la liberté. Elle essaya d’aller jusqu’à la fenêtre, sans plus de succès. Bon, se dit-elle. Il ne va pas te laisser là éternellement. Il va bien falloir qu’il te nourrisse s’il veut te garder en vie jusqu’à ce qu’il décide qu’il est temps de t’ajouter à sa collection ! Cette simple pensée la fit frissonner. Finir comme ses pauvres filles en bas, quelle angoisse. Heureusement, d’après ce qu’elle avait cru comprendre, il n’avait pas encore commencé à s’occuper de sa troisième victime. Cela lui laissait le temps d’être retrouvée. Si seulement quelqu’un la cherchait.

***

Quelques mètres plus bas, dans le sous-sol de sa maison, Joseph s’était remis à l’œuvre. Il avait une nouvelle fois jeté un œil à la peau qui trempait dans la cuve pour être sûr de son état. Elle était presque prête. D’ici le lendemain, il espérait bien pouvoir la travailler. Pour le moment, il lui restait la jeune femme allongée sur la table, à coudre, puis à peindre. Il sortit son kit de suture, qu’il avait depuis sa première tentative, et aligna les outils sur son petit chariot : divers ciseaux, des aiguilles de taille différentes, du fil chirurgical et un scalpel. Il rangea ce dernier délicatement en le regardant avec tendresse. Il lui rappelait tant de souvenirs.

Il avait douze ans la première fois qu’il en avait utilisé un. C’était après la mort de son chien. Triste accident de la circulation. La pauvre bête avait rampé jusqu’au buisson pour y mourir. Et c’est là qu’il l’avait trouvé en rentrant de l’école. Mais au lieu de l’enterrer, il avait préféré le cacher, le temps de rassembler assez d’informations pour lui redonner un semblant de vie. Il avait vu ça dans un muséum d’histoire naturelle qu’il était allé visiter avec sa classe. Son instituteur leur avait expliqué que les animaux qui s’y trouvaient avaient été naturalisés, pour leur redonner un semblant de vie après leur mort. Et c’est vrai qu’ils avaient l’air vivants. Mais encore fallait-il qu’il trouve des informations sur le sujet. Il n’était pas question d’en parler à ses parents, mieux valait donc aller à la bibliothèque municipale. Il s’y rendit donc le lendemain, après l’école. Il emprunta tous les livres qui parlaient de taxidermie et rentra chez lui. Il les dévora avec délectation, regardant et imprimant dans sa tête les schémas qui expliquaient cette remarquable technique. Cependant, bien qu’il ait parfaitement compris la marche à suivre, il y avait un hic. Il n’avait pas de matériel. Il lui fallait quelque chose de tranchant pour enlever la peau, de quoi faire un bain de tannage, des aiguilles, du fil et bien d’autres choses. Il lui fallait également un local. Vu l’odeur, il ne se voyait pas faire ça dans sa chambre. Le garage était un endroit risqué, car son père y allait souvent pour bricoler, il ne tarderait donc pas à remarquer sa nouvelle activité. Restait la cabane. Son père l’avait construite pour lui plusieurs années auparavant, mais il n’y mettait presque jamais les pieds. Ce serait parfait. Personne n’irait fouiller par là-bas. Il ne lui manquait donc plus que le matériel. Il pourrait certainement trouver certaines choses dans la maison, mais pas tout. Et aller au magasin du coin était hors de question. Les gens se poseraient des questions et il finirait par être démasqué. Il devait donc trouver quelqu’un qui accepterait de faire les courses pour lui et qui ne poserait pas de questions. Il décida de sécher les cours le lendemain matin pour aller à la recherche de celui qui pourrait l’aider. Et il n’eut pas loin où aller. Quelques rues plus loin, sous un pont, il vit un sans domicile fixe. Avec un petit billet vert, il accepterait certainement le deal. Et ce fut le cas. Il lui donna sa liste et attendit qu’il revienne. Après un temps qui lui parut interminable, l’homme revint enfin. Il lui donna ses courses et retourna s’asseoir pour siffler la bouteille qu’il venait de s’offrir avec l’argent du gamin. Joseph retourna chez lui et profita que ses parents étaient partis travailler pour s’installer dans la cabane. Il aligna tous les objets devant lui et décida qu’il était temps de commencer. Il retourna à l’endroit où il avait mis le corps de son chien et devint blême. Il avait attendu trop longtemps. Le corps avait commencé sa décomposition et il n’était plus possible de sauver la peau. Il tomba à genoux et hurla de rage et de chagrin. Qu’il était bête, se dit-il, c’était pourtant écrit dans le manuel de chasse. Il fallait agir tout de suite ou congeler le corps le temps de rassembler les différents instruments. Il essuya ses larmes avec sa manche et se décida à enterrer son chien. Plus jamais, dit-il. Je n’ai pas pu te sauver, mais ça n’arrivera plus, lui promit-il. Dorénavant, je n’enterrerai plus rien. Pas si je peux le sauver. Et il se mit à ramasser les animaux morts qu’il trouvait sur la route. Des écureuils victimes de la circulation ou du poison, des lapins, des petits rongeurs, etc. Il les mettait dans un compartiment du congélateur du garage en attendant de pouvoir s’occuper d’eux. Il les emmenait ensuite, un à un, dans sa cabane, pour leur rendre un semblant de vie. Mais la technique était difficile et il travaillait en tâtonnant. Si bien que sur tous les animaux qu’il avait récupérés, seuls deux ou trois avaient été sauvés. Il enterrait les autres dans le jardin, près de son chien. Du moins, au début. Avant que son père ne découvre la vérité.

Un bruit à l’étage le sortit de sa torpeur. Tiens, elle est déjà réveillée, se dit-il. Il va vraiment falloir que je dose mieux mes produits. Enfin, pour le moment, je suis tout à toi, ma mignonne, dit-il en caressant le corps qui se trouvait devant lui. À l’inverse des animaux, pour lesquelles on garde la peau en entier, afin de l’enfiler sur le mannequin, il avait découpé celle de sa victime en deux moitiés : l’avant et l’arrière. Il avait placé la partie arrière sur la table, avant de positionner dessus le squelette, de façon à ce que tout corresponde. Il avait ensuite ajouté la partie avant, comme l’on fait pour une tarte. Une fois cousues ensemble, les deux parties ne feraient plus qu’une.

Il prit une grosse aiguille et du fil sur le chariot et commença à coudre. Il enlevait les pinces qui maintenaient la peau tendue au fur et à mesure que son ouvrage avançait. De temps à temps, il épongeait la sueur qui perlait sur son front avec un chiffon, comme s’il se trouvait dans une salle d’opération. Au bout de quelques heures, il pourrait enfin contempler son œuvre. Elle serait parfaite. Une fois peinte et habillée, plus rien ne laisserait penser qu’elle était morte. Et il pourrait enfin la mettre en scène. Cela signifiait également qu’il était presque temps de passer à sa deuxième victime.

***

Le patron du bar finit par arriver. Les deux agents l’attendaient patiemment, assis à une table. La serveuse avait fini par leur apporter un café, pour les faire patienter. Il n’avait pas l’air particulièrement heureux de les voir. Pour lui, la présence de ces deux flics dans son bar n’était pas bonne pour les affaires. Il décida malgré tout de faire bonne figure. Manquerait plus qu’ils m’arrêtent pour avoir fait obstruction à la justice, se dit-il.

L’homme, âgé d’une cinquantaine d’années, marchait d’un pas décidé. Il était grand, baraqué, et portait une petite barbe de trois jours. Les cheveux grisonnants, coupés courts, lui donnaient un air plus sévère que ne le laissait suggérer sa démarche. Ses yeux froncés faisaient ressortir les petites rides qu’il avait sur le front. Exactement l’idée que Sarah se faisait d’un gérant de bar, sur le point d’être interrogé par des agents du FBI, dans une ville comme celle-là.

Il portait une chemise en flanelle, retroussée au niveau des coudes, laissant apparaître une certaine pilosité. Les derniers boutons du haut avaient été enlevés, dans une démarche de nonchalance, et une petite touffe de poils en sortait. Un jean et des baskets complétaient la tenue. Il leur tendit la main en arrivant à leur hauteur, mais la laissa retomber lorsqu’il prit conscience de son erreur.

— Agents Parker et Miller, dit Sarah en lui montrant sa carte. Merci d’être venu aussi rapidement. Nous avons des questions à vous poser.

— Quand votre employé vous appelle pour venir répondre aux questions de deux flics, vous le faites, c’est tout, dit-il en prenant place en face d’eux.

— Nous sommes des agents du KBI, monsieur…

— Willington.

— … Monsieur Willington. Pas des flics.

— Du pareil au même, pour moi, dit-il en reniflant bruyamment.

— Bref, reprit-elle, reconnaissez-vous cette jeune femme ?

L’homme prit la photo que Sarah lui tendait et la regarda attentivement. Une lueur sembla soudain éclairer son regard.

— Beau brin de fille, dit-il en lui rendant la photographie.

— Mais encore, insista-t-elle.

— Elle a une voix magnifique.

— Et vous le savez, parce que…

— Parce qu’elle a poussé la chansonnette avec son groupe.

— Et que pouvez-vous me dire de plus sur ce groupe ? lui demanda-t-elle, une pointe d’exaspération dans la voix.

— Il était composé de trois gars et de cette fille. Attendez, j’ai filmé la scène. Elle chantait tellement bien.

Il farfouilla dans la poche arrière de son jean et en sortit son téléphone portable. Il appuya sur la vidéo et le posa sur la table. Le groupe se débrouillait vraiment bien. Ils faisaient des reprises du groupe AC/DC et la chanteuse attirait tous les regards. Pas étonnant que quelqu’un ait voulu l’enlever, se dit Thomas, pour lui-même. Le gérant avait filmé depuis le bar, et cela donnait une bonne vue d’ensemble. Certains des clients dansaient devant la scène, tandis que d’autres se trémoussaient, assis sur leur chaise. On y voyait également la serveuse, aller de table en table, comme elle leur avait expliqué plus tôt. La vidéo s’arrêta et l’homme reprit son téléphone. L’horloge au-dessus de la scène indiquait vingt et une heures trente.

— Jusqu’à quelle heure ont-ils joué ? demanda Thomas.

— Grosso modo, jusqu’à vingt-deux heures. Après, ils sont retournés s’asseoir et ont continué à picoler. Il y avait une autre fille avec eux, mais elle est partie après le concert.

— Très bien, monsieur. Nous avons tout ce dont on a besoin. Vous pouvez retourner à vos occupations.

— D’accord, mais dépêchez-vous de la retrouver. Si la rumeur s’ébruite que de jeunes filles disparaissent dans mon établissement, je mettrai la clé sous la porte, dit-il en retournant vers le bar.

— Charmant, ce type ! s’exclama Sarah. Une fille se fait enlever, et lui, tout ce qui l’intéresse, c’est de préserver son établissement. Bon, Tom, on a les noms de ces gars qui étaient avec Martina ?

— Et si on demandait à sa colocataire, Mademoiselle… Lawson, dit-il après avoir regardé le dossier. Elle pourra peut-être nous dire si un homme a été insistant avec elle.

— Oui, convoque là. On fera nos interrogatoires ici, lui répondit sa coéquipière, en souriant. Cela devrait beaucoup plaire à notre gérant.


Texte publié par Amélie B, 27 septembre 2022 à 12h53
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