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tome 1, Prologue tome 1, Prologue

Il aurait aimé avancer. Lâcher son guidon, laisser tomber le vélo, avancer jusqu'aux portes, les ouvrir et pour la suite, tout viendrait naturellement. Oui, s'il passait cette foutue porte, tout irait comme sur des roulettes. Ce serait facile, alors pourquoi était-il encore devant ce bâtiment, les yeux rivés sur la banderole, coincé sous la pluie, piégé sur son vélo ? Il souhaitait tellement y aller, parler, se sentir mieux, obtenir de l'aide, mais une autre partie de lui, tenace et tranchante comme des lames de rasoir, l'en interdisait. Cette voix qu'il avait essayé de faire taire plusieurs fois, sans succès. Celle-ci qui faillit l'emporter sur le bord d'une route. Cette nuit là, les lumières passaient à toute vitesse, éclairant l'obscurité puis zébrant celle-ci de rouge. C'étais la seule fois où elle s'était tue, comme attendant qu'une de ces lumières ne soit trop proche, qu'elle mette un terme à toute cette souffrance. S'en serait fini de cette lutte constante, de ces pleurs qui n'en finissent jamais une fois la porte fermée, de cette douleur qui lui perforait l'esprit et venait lui ôter tout espoir qu'un jour tout irait mieux.

Oh, il avait déjà parlé de tout ça, de toutes ces choses qu'il traînait dans son dos, de ses sentiments qui lui empoisonnait l'âme, mais ils n'ont rien fait, ceux qui l'ont écouté, ses amis. Juste un peu de tristesse dans le regard puis ils sont passés à autre chose, ou alors ils ne comprenaient pas, le regardant comme un aliéné et n'essayaient pas de comprendre. Mais le pire, c'était quand leur visage se crispait de dégoût. Après cela, ils voulaient qu'Alexandre redevienne le monsieur blagueur qu'il était avant, celui qui agissait comme un gosse, celui qui essayait de son mieux d'égayer la journée de ses camarades. Mais il ne pouvait plus, ça le rongeait de l'intérieur, lui enlevant son sourire et le piégeant sur son téléphone. Au fond, il était déjà mort, et il le savait. Tout en lui avait disparu, tout ce qu'il était et qu'il essayait de conserver pendant toutes ces années n'étais plus. Alors, Alexandre avait décidé de se soucier plus de ses amis, eux, ils étaient toujours vivants, il devait les aider à garder le sourire, sinon ils pourraient finir comme lui. Alors, il fit des blagues à contrecœur, grava sur son visage un sourire douloureux, et agissait comme le meilleur ami possible. Le soir, plus personne n'était là, à part son frère déchiré qui sautait encore la chienne qui le suivait partout. Ils beuglaient toute la nuit durant. Alexandre mettait un casque sur ses oreilles, partait dans le placard à balais qui lui servait de chambre puis fermait les yeux souhaitant que demain soit un autre jour. Et il l'était, seulement celui-ci était pire que le précédent. Il ne mangeait plus, ni ne dormait assez, son teint était devenu pâle. La seule pensée qui l'habitait chaque matin était de savoir quelle blague pourrait faire rire ses amis, histoire de les amuser un peu, juste de les voir sourire, un vrai, celui qu'il n'arrivait plus à faire. Ils étaient la seule chose qui le retenait ici-bas. Mais la voix dans sa tête, celle qui est apparue lorsqu'il s'était penché sur le rebord du balcon et qui lui souffla une question : est-ce que c'est assez haut ? C'est elle qui grandissait en lui, jusqu'à atteindre ses cordes vocales, lui ordonnant de hurler sur ses amis, de les insulter, de les casser. Alors il décida de s'éloigner d'eux, même s'il savait ce que cela devait signifier. Peut-être serait-il moins dur de le faire quand il serait bien trop loin pour lui. Un simple geste, rapide. Un couteau, une corde, une autoroute, un pont... Rapide, sans trop de douleur. S'il ne l'avait pas encore fait, c'est parce qu'il avait bien trop peur. Il finirait en enfer, enfin, il pense que c'est ce qui l'attendrait. Le repos n'existe pas, pas pour lui, jamais.

Les larmes ruisselaient le long de ses joues rougies, se mêlant à la pluie. Ses poings se serrèrent, ses muscles se tendirent et tout en lui luttait pour rester dehors. Mais au fond, il en avait besoin, juste cette fois, pouvoir extérioriser, être réellement aidé. Il n'était pas sûr qu'il y ait une prochaine fois, un lendemain, alors il devait à tout prix atteindre une aide, quelqu'un qui le retiendrait ici pour ne pas qu'il parte au loin, sans jamais revenir.

Désespéré, il s'était même tourné vers Dieu pour le guider, mais il n'y eut que le silence, le même qu'il y a des années. Si même lui ne voulait pas le soutenir, alors à quoi bon ? Il s'en était donc éloigné, décidant de lui rendre son silence.

Les portes s'ouvrirent sur une silhouette assombrie par les ténèbres de la nuit, et dont la lumière de la salle n'éclairait que les contours, sortant Alexandre de ses pensées.

— Excusez-moi ! Jeune homme ! s'exclama une voix de vieillard pour que l'on puisse l'entendre par-dessus le vent et la pluie.

La silhouette s'avança un peu, mais s'arrêta sous la banderole qui était accrochée à la façade.

— Vous aussi, vous venez pour témoigner et partager avec nous ?

Sa gorge se mit à le brûler et son cœur à battre à mille à l'heure. Il mourait d'envie de lui dire que oui, il voulait le faire, depuis plusieurs mois, il ne pensait qu'à ça : parler, parler à quelqu'un. Tout déballer, cracher le morceau coincé dans sa trachée et qui l'empêchait de respirer. Alors il ouvrit la bouche, prêt à répondre, à dire ce qu'il voulait tant avouer. Mais ses cordes vocales devinrent muettes, comme coupées au ciseaux. Et un misérable et inaudible oui sortit, la pluie qui s'intensifiait l'étouffa sans attendre, brisa toutes chances de se faire entendre.

Le visage d'Alexandre s'attrista. Il avait encore perdu. Comme toutes ces autres fois. Personne ne l'entendrait jamais. Et puis qui voudrait l'entendre ? Qui voudrait lui prêter de l'attention ? Et pour quoi faire, s'apitoyer sur son sort ? Obtenir de la pitié ? Se plaindre et tout dire à de simples inconnus ? Qu'est-ce que ça changerait ? Est-ce que ça les ramènerait ? Est-ce qu'il se sentirait mieux ? Ou plus pathétique ? Plus misérable ?

Alors, il se fit une raison, il ne dirait rien. Pas ce soir, pas la force pour. Sa voix lui revint alors, mais pas pour témoigner.

— Oh, non, je me suis juste arrêté pour prendre une pause, faire du vélo sous la pluie, c'est fatigant.

— Ha, j'ai cru vous voir hésiter depuis l'une des fenêtres... C'est sûrement mon imagination. Mais si jamais vous avez besoin, sachez juste que nous sommes là pour quatre semaines. Partager est souvent la clé pour avancer.

Alexandre sentit son cœur louper un battement. Dit oui merde, hurla-t-il intérieurement, dis oui, juste un mot, une approbation, c'est pas compliqué !

— D'accord, merci. Mais je... n'ai vraiment rien à dire.

Il lâcha le frein, et pédala lentement, hésitant à faire demi-tour pour changer d'avis. Mais il était déjà trop tard, il avait encore abdiqué, s'était laissé écrasé par cette voix dans sa tête.

La banderole accrochée à la façade roula encore une fois sous le vent, agitant l'inscription "Vous n'êtes pas seuls".


Texte publié par Matthew_O'well, 20 août 2022 à 14h01
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