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tome 1, Chapitre 11 « 8 » tome 1, Chapitre 11

Je fus sorti de mon tourment par une méchante claque.

Si on m’avait dit que je serais un jour redevable à une gifle…

J’ouvris les yeux. La première chose que je vis fut le visage rieur de Hana, avant de devoir à nouveau fermer les yeux l’espace d’un grain de sables suite à la seconde baffe que m’asséna la jeune fille, – heureusement – beaucoup moins sèche que la première :

⸺ Debout, faignant !

Je grommelai. Elle rit. Je cherchai Fafnir des yeux, indigné que mon frère d’écailles puisse me laisser me faire molester sans remuer une seule griffe pour venir m’aider. Au bout de trois vues panoramiques aller-retour, je dus me rendre à l’évidence : ni lui ni Reyja n’étaient présents.

⸺ Où…

⸺ Ils sont partis chasser, répondit Hana, anticipant la fin de ma question.

⸺ Reyja ? Chasser ?

Je ricanai.

Un instant plus tard, je roulai par terre en me tenant les côtes, faisant fuir sans-doute toute créature vivant aux alentours de notre « campement ».

J’essayai à plusieurs reprises de me calmer, mais le rire revenait toujours plus fort, et ne pouvais tout simplement pas m’arrêter.

Ma spectatrice arqua un sourcil :

⸺ Elle n’est pas si nulle que ça.

⸺ Une Gardienne ? Qui chasse ? Ne me fais pas rire.

⸺ Trop tard pour ça, j’ai l’impression…

*

En attendant le retour des deux dragons, j’explorai les environs, sans toutefois m’aventurer trop loin ; telles étaient les consignes laissées par Reyja (et entièrement soutenues par Fafnir) avant de partir. Hana me suivait légèrement à distance – il n’aurait surtout pas fallut que l’on puisse croire en nous voyant à l’existence d’une certaine complicité, aussi infime soit-elle. Soudain, je m’accroupis au pied d’immenses feuilles de fougère, à l’affût.

⸺ Qu’est-ce qui se passe ? me chuchota la moucharde lorsqu’elle me rejoignit.

D’un doigt sur les lèvres, je lui fis signe de se taire.

Lentement, j’écartai les feuilles supérieures et allongeai mon index dans une interstice. Quand je le ressortis, une minuscule créature s’y agrippai avec force, gesticulant pour ne pas tomber. Je le recueillis dans mon autre main.

⸺ Qu’est-ce que c’est ?

Je me tournai vers ma voisine pour lui répondre, le sourire aux lèvres :

⸺ Un sidh. Un lutin des forêts, si tu préfères. Ce sont des petits êtres malicieux qui adorent jouer des tours aux gens.

Je cueillis une pâquerette et l’offris à la petite fée :

⸺ Pendant longtemps, on a cru à tort que croiser un sidh portait malheur, mais c’est tout le contraire : qu’il accepte de se montrer signifie qu’il t’estime assez pour te révéler sa présence en bonne due et forme, et non pas en te faisant tomber dans un trou d’une dizaine de pieds de profondeur.

Je me posai un instant, observant le sidh jouer avec son nouveau cadeau :

⸺ Autrement dit, avoir la chance d’en trouver un (ou plutôt, que l’un d’eux te trouve) t’assure de pouvoir traverser leur bois sans être importuné par les farces du Petit Peuple, qui peuvent aller très loin. Les cercles de sorcières, ça te dit quelque chose ?

Elle secoua la tête.

Je me relevai, le sidh toujours dans ma paume, et continuai ma route jusqu’à m’arrêter devant un cercle de champignons parfaitement fermé. Je le désignai à Hana :

⸺ Voilà. C’est ça, un cercle de sorcière : un piège souvent mortel crée par des fées en manque de divertissements. N’y pénètre surtout pas ; tu te retrouverais bloquée et serais obligée de danser jusqu’à ce que tu meures d’épuisement.

Elle se recula d’un pas :

⸺ Il n’y a aucun moyen de s’en échapper ?

⸺ Si si, il y en a bien un : les fées n’ont pas la même conception du temps que nous, elles peuvent parfois mettre jusqu’à plusieurs Möks avant de vérifier leurs pièges. Pendant ce temps, tu es bloquée dans le piège, à attendre. Pour briser le cercle et t’enfuir, tu as deux solutions : maîtriser la magie, ou avoir du métal sur toi.

Mon interlocutrice me regarda, interloquée :

⸺ Du métal ?

⸺ Du fer, de préférence. Les fées ne le supportent pas.

Comme pour approuver mes propos, le sidh se mit à lâcher des petits cris furieux à la simple mention de son nom.

Hana hocha doucement la tête, pensive. Finalement, elle se tourna vers moi :

⸺ Comment tu sais tout ça ?

⸺ C’est ma mère, elle…

Son évocation me fit aussitôt revenir à la réalité. Tout mon sang déserta mon visage, et mes jambes vacillèrent suffisamment pour que je me retrouve un genou à terre, une main sur la bouche pour éviter de régurgiter la bile amère qui m’avait envahi la bouche.

Le sidh, heureusement, avait réussi à grimper jusqu’à mon coude alors que je m’effondrais. Sans quoi, son minuscule squelette aurait sans doute fini broyé par la poigne de mes doigts.

Aussitôt, Hana se précipita vers moi :

⸺ Liam ! Ça va ?

Je clignai des yeux à plusieurs reprises pendant qu’elle m’aidait à me relever :

⸺ … Oui, oui, je… je vais bien. C’est juste que…

Elle m’observait gravement. Elle comprenait. Évidemment.

⸺ C’est ma mère, donc. Elle… elle a toujours adoré les histoires de fées.

Adorait, Liam, adorait. Elle est morte désormais, accepte-le.

Je tendis le dos de ma main au sidh pour qu’il monte dessus. Ce qu’il fit, mais de façon plus prudente et mesurée. Il devait craindre une nouvelle rechute.

Alors que je l’observai se dépoussiérer, un autre souvenir me revint :

J’avais quatre Möks. Je m’étais esquivé avec Fafnir sur mes talons, à la recherche des fées dont maman me parlait sans cesse. Cette fois-ci, je voulais être celui qui lui en ramènerais une. Fafnir me suppliai de rebrousser chemin, mais je m’en fichai : je voulais trouver une fée.

Enfin, j’aperçus une lumière scintiller, comme une luciole :

⸺ Regarde, Faf’, là-bas !

⸺ Liam, il ne faut pas !

⸺ Le dernier arrivé est un troll puant !

Je m’élançais entre les arbres à la poursuite de la lumière sans prendre en compte ce que mon frère d’écailles me disait.

Enfin, je débouchai dans une immense clairière verdoyante. Mais au lieu de la fée-luciole escomptée, je tombais sur lui.

⸺ Liam ? À quoi tu penses ?

Je me secouai la tête pour me clarifier les esprits. Quand je relevai les paupières, j’étais de retour dans la forêt, au côté du sidh et de Hana. Je lançais un regard aux alentours : la clairière avait définitivement disparue. Heureusement.

Une quinzaine de poignée de sables plus tard, les deux dragons revinrent. Eux, et cinq ou six daims morts. Hana et moi nous contenterions sans doute d’un demi-daim, mais j’oubliais parfois la voracité des dragons – appétit qui se comprenait, si regardait les choses de façon proportionnelle.

*

Des six cervidés, il ne restait désormais plus que des carcasses, que Fafnir et Reyja achevaient de « nettoyer ».

Pendant ce temps, les deux humains de notre groupe – à savoir Hana et moi – se partageaient un sachet de baies ramassées pendant notre excursion et approuvé par Fafnir à son arrivée.

⸺ Alors, comment est-ce qu’on s’organise ? lâcha ma voisine – Hana – alors qu’elle enfournait une poignée de mûres dans sa bouche.

⸺ Comment ça ?

Elle me fit signe d’attendre le temps qu’elle avale sa bouchée, avant d’approfondir sa pensée :

⸺ Je veux dire, on fait quoi maintenant ? On est tombé d’accord sur le fait qu’on n’allait pas se laisser tuer sans rien dire. Qu’on allait trouver des réponses. Et ensuite ? On reste ici ? On tente de trouver une autre cité de jumelage voire un simple village… Peut-être de fuir vers le territoire humain, que sais-je !

⸺ Une forêt ne pourra pas nous cacher éternellement, avança mon frère d’écailles. Un jour ou l’autre, le gibier finira à manquer et nous devrons partir.

⸺ On a tous vu ce que donnait la protection d’Arkën Soa, et c’était la cité de jumelages la plus pourvue de défenses et de protections magiques. Alors un simple village… continua Reyja.

⸺ Quant au territoire humain… Le fait que Reyja et soyons des dragons peut définitivement exclure cette option, conclut Fafnir.

La jeune fille soupira :

⸺ Si j’ai bien compris, on a aucun avenir, c’est ça ? résuma-t-elle, découragée.

⸺ On pourrait se battre.

Les mots avaient fusé de ma bouche sans que je puisse les retenir. Leur réaction fut presque instantanée : Fafnir laissa tomber l’os qu’il rongeait, Hana recracha la fraise qu’elle venait de croquer et Reyja me considéra en état de total ahurissement.

Pris dans mon élan, je poursuivis :

⸺ Dans tous les cas de figures, on est au mieux en sursis, au pire en danger de mort immédiat ! Alors, si quoi qu’on choisisse revient au même, pourquoi ne pas tenter de faire quelque chose d’utile ? Hana, tu as toi-même proclamé haut et fort que tu ne laisserais plus aucun innocent mourir, tu ne peux qu’approuver ce que je viens de dire !

⸺ Sûr, mais…

⸺ Mais quoi ? Si on fuit, on ne pourra sauver personne !

⸺ Et nous, on compte pour quoi, au juste ? rétorqua Reyja, sarcastique.

Je l’ignorai :

⸺ Je suis sûr que d’autres ont choisi de combattre. Il nous suffit juste de les trouver !

⸺ Liam, tu es sûr que c’est ce que tu veux ?

Devant la naïveté de cette question, j’eus un rictus narquois :

⸺ Pour tout t’avouer, Fafnir, mourir n’est pas dans la liste de mes priorités. Cela dit, tu as toi même affirmé qu’on finirait toujours par nous retrouver. Alors attaquons les premiers, agissons les premiers ! Qu’ils payent pour ce qu’ils nous ont fait.

⸺ Rien ne dit qu’on trouvera des réponses si on s’engage là-dedans, objecta la fille à mes côtés. Et c’est pour ça que je veux rester, pas pour un obscur désir de vengeance.

⸺ Non, bien-sûr… mais c’est dans ce genre d’endroits qu’on trouvera le plus d’informations, c’est évident ! Et puis, une fois qu’on aura trouvé ce qu’on cherchait, est-ce qu’on va vraiment s’arrêter en si bon chemin ? Je veux dire, si on a moyen d’empêcher ce Vol de continuer à perpétrer des massacres comme… comme…

Je ne parvins pas à achever la fin de ma phrase, mais tous avaient compris.

⸺ C’est le meilleur endroit où on pourrait aller, non ? bafouillai-je, pris d'un soudain élan de timidité.

⸺ Comment être sûr qu’ils ne nous considéreront pas comme des ennemis ? souleva Reyja. Après tout, si nous trouvons des humains hostiles aux dragons, ils seront plus à même d’essayer de nous tuer que de nous prêter main forte… c’est dans leur nature.

⸺ Mais je ne parle pas de trouver des Dragonniers ! m’insurgeai-je avec des accents désespérés. Je veux dire, il doit bien y avoir d’autres groupuscules moins violents que ce celui-ci, moins haineux !

Fafnir laissa échapper un gémissement :

⸺ Où comptes-tu les trouver, ces gens ?

Ce fut Hana qui répondit, sur le ton confiant et autoritaire qui la caractérisait :

⸺ En ville.


Texte publié par lacossarde, 20 août 2022 à 19h17
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