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tome 1, Chapitre 9 « 6 » tome 1, Chapitre 9

Mök 628

– Ça va ?

Je mis du temps à me rendre compte que quelqu’un me parlait. Quant à reconnaître cette voix…

Je pataugeais dans cette semi-inconscience encore quelques instants jusqu’à ce que, frustré et en désespoir de cause, je finisse par ouvrir les yeux et distinguer dans la pénombre à quelques doigts seulement du mien le visage soulagé de Hana. Hana qui tenait à la main une lotion que j'identifiai comme de la bave de dragon distillée, un anti-brûlure relativement efficace - pour ne pas dire carrément magique. Un truc de sorcier. Elle avait dû fouiller dans ma sacoche...

– Ça va ?

Je ne compris pas tout suite sa question, mais ne voyant sur le coup aucun désagrément dont j’eus pu éventuellement me plaindre, j’opinai du chef.

Ce simple geste, pourtant, me causa une profonde douleur, anormale pour un si petit mouvement. Je remontai les évènements, tentant de comprendre la cause de cette souffrance sourde.

Et soudain, tout me revint. D’un coup, le lac Fafnir, Hana, Reyja, l’explosion… tout me sauta à la figure, me faisant sursauter :

– Faf’ !

Je lançai un coup d’œil paniqué en direction de Hana :

Krâl ! Faf’, où, où… Oh bon-sang, Hana, qu’est-ce qui s’est passé ? On était là, tous les quatre, il y a eu cette explosion, et…

– Calme-toi, calme-toi Liam ! Fafnir va… va bien, il est juste aller jeter un coup d’œil à…

– … À ?

Elle demeura muette quelques cours instants, que je lui concédai autant dans le souci de la ménager que dans la crainte des révélations à suivre. Elle se mordilla la lèvre inférieure, hésitante. En silence, je la pressai de m’expliquer finalement le problème, la cause de l’explosion. Finalement, elle lâcha sa réponse du bout des lèvres, tant et si bien que je dus me pencher pour l’entendre :

– Ils sont partis chercher d’autres…

Elle déglutit, baissant les yeux au sol :

– … d’autres survivants.

Je la regardai sans comprendre, mon cerveau tentant vainement de relier les différents éléments entre eux, de leur offrir un sens cohérent. Mais au fond de moi, je savais. Je savais, car ç’avait été ma pire crainte, l’ombre noire au-dessus de moi pendant ces treize derniers Möks.

Treize Möks…

Ça aura été bien peu, en fin de compte.

Je répétai malgré tout d’une voix tremblante :

– … survivants ?

Hana se tourna lentement vers moi :

– Liam… Regarde autour de toi ! me hurla-t-elle en balayant rageusement l’air autour de nous, les larmes aux yeux.

Docile, je fis ce qu’elle me demandait. Et ce que j’observai me glaça d’effroi. Tout à mon hébétude, je n’avais pas pris conscience de l’état du paysage : tout était mort, carbonisé. La cendre virevoltait encore çà et là, se déposant en couche épaisse sur les carcasses d’arbres encore debout.

Ce fut du coin de l’œil que je les remarquai, entre deux troncs calcinés. Je m’élançai aussitôt dans cette direction, et pilai à la lisière du bois – ou ce qu’il en restait, – dévasté : devant moi s’étendaient les décombres encore fumants de la cité dans laquelle j’avais grandie, des cadavres d’humains desséchés et de dragons éventrés disposés en d’immenses pyramides mortuaires, spectacle macabre sur lequel mon regard restait obstinément fixé :

– Hana… Ce ne sont pas les habitants d’Arkën Soa qui reposent sur ces piles, hein ?… Ce n’est pas possible,… les sorts qui entourent la ville auraient empêché ça, pas rai ? Pas vrai ? balbutiai-je, des accents tremblotants de folie dans la voie.

Celle-ci, qui s’était avancée à ma hauteur pendant ce temps, me répondit d’une voix grave, tout le désespoir du monde contenu dans ses intonations :

– … J’ai bien peur que si.

Je portai le poing à ma bouche et, une fois la sourdine mise en place, hurlai jusqu’à m’en rompre la voix, hurlai à en faire pâlir les banshee des légendes d’antan.

Une fois mes cordes vocales brisées, je me mis à pleurer. Des torrents de larmes dévalèrent sur mes joues alors que je me recroquevillais sur moi-même, suffoqué par le chagrin.

Bientôt mes hoquets et sanglots étouffés furent rejoints par les larmes silencieuses de ma rivale, laquelle s’était accroupi à mon niveau et m’avait pris dans ses bras sans mot dire, partageant ma peine en silence.

Ce fut dans cette positions que Fafnir et Reyja nous retrouvèrent, agrippés l’un à l’autre comme deux naufragés en pleine tempête :

– Qu’est-ce que vous faites à découvert ? s’énerva Reyja dès qu’elle arriva à notre hauteur. Ce n’est pas le moment de vous faire des câlins, bon sang ; il suffirait qu’un seul dragon vous repère et vous finissez en haut de ces pyramides !

Dragon. Elle avait dit le mot… dragon.

Quel dragon ?

Aussitôt, Fafnir pris ma défense :

– Arrête, Reyja, ils sont en état de choc. Ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient.

Je ne comprenais pas. Pourquoi… comment ? Elle parlait de dragons, mais… n’y avait-il pas des dragons, sur ces piles ? Le liquide vermeil qui s’écoulait du long de ces montagnes funèbres n’était-il pas mêlé d’or ?

La colère de la dragonne se recentra sur mon frère d’écailles :

– Et alors ? Lorsque ceux qui ont fait ça nous aurons trouvé, tu croix vraiment qu’ils accepteront de nous laisser partir parce qu’on ne « savait pas ce qu’on faisait » ? Qu’ils...

– Reyja.

Le timbre de voix de Hana la coupa dans son élan :

– … Je sais que tu t’inquiètes pour moi, pour nous, et tu as raison sur le fait qu’il était imprudent et insensé de nous mettre exposer au grand jour alors que tu nous avais expressément de rester cachés, mais…

La jeune fille s’arrêta, cherchant ses mots. Frustrée, elle lança un coup de pied dans un caillou, l’envoyant voler au loin.

Je profitai de cet instant pour poser une question qui me taraudait depuis que les deux dragonnacés s’étaient posés sur la terre brûlée du sol :

– Et… et les autres survivants ? Vous… vous en avez trouvé ? les implorai-je, bien que l’absence d’autres individus à leurs côtés ne m’offrent déjà la réponse à cette question.

Effectivement, mon frère d’écailles secoua lentement son énorme tête de droite à gauche, les yeux fermés.

Je clignais les miens pour retenir les nouvelles larmes affluant à mes paupières : j’avais déjà trop pleuré.

Apathique, je me laissai entraîner par mes compagnons d’infortune sous le couvert protecteur des arbres – si l’on pouvait encore appeler ça des arbres.

Mon regard s’accrocha aux ruines ensanglantées de la ville qui m’avait vu grandir.

Que nous restait-il ?


Texte publié par lacossarde, 20 août 2022 à 17h37
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