Améthyste pétrissait la pâte avec ardeur. Ce jour-là, Esmée devait venir la voir. Cela faisait au moins un an qu’elles n’avaient pas passé un moment ensemble, depuis qu’Esmée avait quitté le Vallon de la Forêt Vermeille pour commencer sa mission dans la ville d’Absolom. Elle sourit en repensant à leurs derniers jours à l’Académie : Esmée avait toujours eu un lien profond avec la technomagie. Absolom était le meilleur endroit pour exercer cet art hybride.
Quant à Améthyste, elle était restée derrière, à l’Académie, jusqu’à ce qu’elle découvre son vrai talent : celui de guérir. Elle vivait depuis dans le petit village de Sombremur non loin de l’Académie, où elle offrait ses services aux villageois, aux voyageurs et au Refuge.
L’odeur sucrée de la pâte à gâteau embaumait la pièce. Elle la versa prestement dans un joli plat en forme de licorne et la plaça dans le four. Elle remua les braises pour les faire repartir, afin que le four à bois atteigne la bonne température.
Puis elle parcourut les différentes pièces de sa petite maison pour vérifier que tout était prêt : la petite chambre d’ami avait été préparé pour accueillir Esmée et Syl. Son regard tomba sur les paniers qu’elle avait préparés pour leurs compagnons et une bouffée de nostalgie la figea sur place.
Le souvenir du jour où elle avait accompagné son amie au Refuge surgit, aussi clair et vivace que si cela s’était passé la veille. Esmée était repartie avec Nyx, son chat-fée. Être témoin de cet instant avait fait renaître son espoir d’avoir un jour un familier à elle. C’était une époque où elle tentait année après année le rituel de Lien sans jamais abandonner. C’était une époque pleine de rêves.
Mais cet espoir avait été tellement déçu : certains ensorceleurs ne pouvaient jamais être liés à un familier ; ils avaient beau faire, le rituel ne fonctionnait jamais. Et elle était de ceux-là.
Elle avait finalement abandonné et elle avait broyé du noir pendant longtemps. Esmée était encore présente à cette époque, mais elle ne semblait pas parvenir à la faire sortir de cet abîme de noirceur dans laquelle elle était tombée. Elle était devenue aigrie et jalouse ; elle s’en prenait à sa meilleure amie. Esmée fut d’une patience exemplaire. Mais elles se séparèrent fâchées.
Mais ça aussi, c’était du passé. Après tout, sa vie lui plaisait et elle côtoyait beaucoup de familiers au refuge où elle aidait à les soigner. Toute sa joie revenue, satisfaite de l’état de sa maison, elle retourna dans la cuisine pour vérifier que la pâte cuisait bien.
Soudain, la mélodie de la sonnette retentit : elle se précipita dans le salon et ouvrit la porte d’un petit geste de la main. Derrière, Esmée attendait en souriant. Elle se précipita pour prendre Améthyste dans ses bras et la serra très fort. La jeune femme ferma les yeux et se laissa envahir par la chaleur de l’étreinte de son amie. Puis Syl entra, et après lui, leurs trois familiers qui envahirent la pièce comme s’ils étaient chez eux. Nyx, le chat-fée, s’envola et se posa sur une étagère de sa bibliothèque pour observer les livres. Flocon entra d’une démarche altière, renifla chaque coussin, en choisit un et s’installa immédiatement dessus. Xen, le chat feu follet, fila entre les meubles pour explorer la pièce.
- Bonjour Améthyste, fit Syl de sa voix douce.
Il s’approcha d’elle et l’embrassa légèrement sur les cheveux.
- Bonjour Syl, répondit-elle.
Les bagages qui attendaient sur le palier de la porte flottèrent à quelques centimètres du sol et s’engouffrèrent par la porte ouverte de la chambre.
Esmée ferma les yeux et renifla.
- Mmmmm ! Cela sent merveilleusement bon.
La jeune guérisseuse rougit devant le compliment.
- Installez-vous. Je vais vous apporter à boire.
Soudain elle remarqua que Syl portait quelque chose dans ses bras. Alors qu’elle fixait le petit amas de couvertures noires, sans trop savoir pourquoi, il bougea et une petite tête féline, au curieux poils fuchsia et noir, apparut.
- Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle, en tendant la main.
- C’est un chat-fée que nous avons sauvé à Absolom, expliqua Esmée, soudain au côté de son époux.
Améthyste s’approcha encore pour regarder l’animal de plus près. Elle paraissait fascinée par la petite chose. Il était minuscule, et ses ailes paraissaient fanées et fripées.
- Malheureusement, je crois qu’il a une malformation ou une maladie. Malgré tous nos soins, son état ne s’améliore pas vraiment. Nous pensions le déposer au Refuge. Peut-être pourront-ils faire quelque chose pour lui.
Soudain la jeune femme prit conscience que les trois autres familiers s’étaient rapprochés et la regardaient intensément.
- Comment s’appelle-t-il ?
- Il refuse de nous dire son nom.
- Je peux le prendre ?
Syl hocha la tête. Améthyste enfonça ses mains dans le paquet de couverture et ramena la créature tremblante doucement vers elle. Elle la souleva un moment pour la regarder dans les yeux : ils étaient d’une jolie couleur violette. A cet instant, le chat-fée se détendit visiblement ; ses ailes battirent légèrement et il lui donna un coup de langue sur le nez. Sur son front, une marque noire apparut brusquement. Esmée et Syl écarquillèrent les yeux. La marque flotta quelques secondes puis disparut, comme si elle était absorbée dans son corps.
Améthyste, ne comprenant pas ce qui s’était passé, regarda ses amis avec inquiétude.
- C’est extraordinaire, fit Esmée en posant une main sur son bras. Tu viens de te lier avec lui. C’est ton familier, maintenant.
- Alors c’est ce qu’on ressent pendant un rituel ? murmura-t-elle, émerveillée
Elle rit.
- Elle s’appelle Xylia, fit-elle en la serrant contre elle.
Le petit animal ronronna tellement fort que tous l’entendirent.
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