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tome 1, Chapitre 23 « Marley » tome 1, Chapitre 23

Plusieurs mois ont passé depuis la discussion entre Ryan et moi. Dès le lendemain nous avons fait part de ces idées au reste du groupe et tout le monde a approuvé. Alice et Lucius ; les experts du combat à mains nues ont pris en charge l’entraînement. Ryan et moi avons supervisé la construction des cabanes aériennes et des ponts suspendus. Will a entraîné le groupe en matière de survie. Nous nous sommes servis des branches et de matériaux volés sur des chantiers pour fabriquer des arcs, des flèches, des poignards et toutes sortes d’armes blanches. Ensuite pour les plus agiles je me suis improvisée professeur de tir à l’arc. Nous avons pu nous nourrir avec le gibier de la forêt qui nous a également servi de cible d’entraînement. Nous avons construit un véritable petit village au cœur de cette forêt.

***

Le soleil se lève à peine et une brise légère souffle dans mes cheveux. Alice et moi sommes en patrouille autour du périmètre afin d’éviter toute intrusion dans le camp, nous marchons à travers les feuilles mortes et les pommes de pin.

— Nous pouvons être fières de nous, nous avons fait du bon travail, ces pauvres gens sont maintenant capables de se battre contre les Bellãtriens, mais il va falloir penser à rentrer chez nous, dit Alice tout en souriant.

— Tu as des idées ? Je lui demande.

— Utiliser les laissez-passer et faire croire que nous rentrons en Gallia avec un chargement d’esclave.

— Après le chaos que nous avons mis sur Kilmoon ? Non c’est impossible nous serions pris à coup sûr. Il faut trouver autre chose.

Alice et moi réfléchissons un moment, mais j’ai déjà une petite idée derrière la tête et je me risque à lui en parler.

— Alice, nous savons qu’Anderson s’est implanté sur ce territoire, mais nous savons aussi par mon père que le roi n’est pas un homme mauvais et qu’il n’a pas le choix.

— Marley, cette lettre date maintenant de plusieurs mois, tu ne crois pas que ton père a pu se tromper ?

— Il faut que nous rencontrions ce roi, et je pensais qu’avec tout l’argent que nous avons volé aux Bellãtriens ces derniers mois nous pourrions prendre notre billet retour.

— Tu es complètement folle ! Tu veux faire confiance à un homme qui fait affaire avec les Bellãtriens !

—Non je n’ai aucune confiance en ce roi, je fais confiance à mon père.

Après un moment d’hésitation, Alice me sourit à nouveau, passe son bras autour de mes épaules et dépose un baiser sur ma joue.

— Très bien, nous irons. Mais si jamais ils nous attrapent, ne dis pas que je ne t’ai pas prévenu.

— Aie confiance en moi.

***

Une semaine plus tard, nous sommes, Alice Lucius Ryan et moi devant le palais du roi affublé en Mina et Rose Valentino. Nous avons laissé Will avec le reste du groupe pour veiller sur eux. Nous nous approchons, Alice au bras de Lucius et moi à celui de mon frère, jusqu'à la grille, un vieux majordome portant les couleurs d’Iridia nous fait signe de nous arrêter.

— Bonjour mesdames, que puis-je faire pour votre service ?

— Mina et Rose Valentino, nous sommes envoyés par le président Anderson afin de nous entretenir avec votre roi.

Un vieil homme aux tempes dégarnies et au dos courbé nous fait signe de le suivre, nous emboîtons le pas au vieux serviteur qui nous conduit au bureau du roi. Nous traversons un parc misérable qui n’est pas du tout entretenu , les roses et autres fleurs sont fanées, l’eau des fontaines est complètement verte, les haies sont en perdition et le palais qui se dresse devant nous est entouré de lierre et présente des fissures sur une grande partie de sa façade.

— Je suis vraiment navré, mesdames, mais le palais n’est plus aussi beau qu’autrefois.

— Que s’est-il passé ici ? demande Ryan

— Oh vous savez notre bon roi préfère donner son argent au pauvre peuple et laisser son château un peu vétuste.

— Vous semblez attaché à votre monarque.

— Oui madame, j’ai vu naître notre bon roi, je lui ai appris à être juste et droit envers son peuple, je lui ai appris que la seule façon de se faire aimer de ses sujets est de les aimer aussi. Et ça il l’a fort bien compris, mais vous savez les problèmes viennent des autres pays comme votre Gallia !

— Comment savez-vous que nous sommes Gallien ?

— Madame votre accent ne trompe pas.

Le vieil homme s’arrête et se rapproche de moi. Je n’aurais peut-être pas dû lui poser cette question.

— Vous êtes Gallien tous les quatre, mais vous n’êtes pas comme ces nobles que je vois sans cesse défiler ici pour s’entretenir avec mon roi. Vous n’avez pas la même odeur… Eux sentent le parfum à outrance ainsi que les poudres, vous vous sentez la forêt, vous venez des bois de Klivelord.

— Je vous demande pardon, monsieur ? dit Lucius d’un air offusqué.

Ryan repousse alors le vieil homme, mais Alice s’interpose.

— Monsieur, ce que notre garde du corps veut dire c’est qu’il est impoli d’insulter des femmes de notre rang.

— Je n’aime pas les gens de Lutz, ils sont puants et n’ont aucun sens moral, je préfère cent fois les petites gens qui se battent pour la liberté de leur pays, mais votre pays est malade il a un cancer incurable, un cancer qui s’appelle Bellãtrien, et cette maladie se propage jusqu’en Iridia, le seul remède est la Louve noire.

Nous nous regardons perplexes tous les quatre, mais si ce vieil homme dit vrai alors nous n’avons rien à craindre.

— Je préférerais ouvrir les portes de ce château à Marley Corvinus plutôt qu’au président Anderson.

Je me rapproche du vieil homme, Alice a compris mon stratagème et cela ne lui plaît pas, elle tente de me retenir par le bras, mais je pense que l’on peut avoir confiance en cet homme.

— Vous avez dit sentir l’odeur de la forêt sur nous ? Et si nous avions menti sur notre rang pour tromper les casques noirs.

— Personne ne peut les tromper sauf Marley Corvinus et ses amis.

— Bien et à votre avis où se trouve Marley Corvinus ?

— Madame personne ne le sait, nous avons eu vent d’une rumeur qui dit qu’elle aurait sauvé la vie de beaucoup de gens sur Kilmoon il y a quelques mois, mais nous n’en savons pas plus. Sauf le fait qu’elle possède un don magnifique.

— Lequel ?

— Elle se change en une louve noire d’après les « on dit »…

Je prends alors la main du vieil homme et le conduit dans la chapelle qui se trouve juste en face de nous. Les autres me suivent en comprenant ce que je suis en train de faire.

— Monsieur, vous voulez que le président Anderson quitte vos terres ?

— C’est mon vœu le plus cher, madame.

Je m’écarte un peu de lui, ferme les yeux et me focalise sur mon corps de louve. En quelques secondes mon corps se déchire pour libérer la louve noire. Le vieil homme tombe par terre sur son derrière, il n’en croit pas ses yeux.

— Vous êtes les résistants Gallien !

Maintenant que le vieil homme a tout compris je reprends forme humaine. Un silence s’installe pendant quelques secondes. Ai-je bien fait de dévoiler notre identité ? Que va-t-il se passer maintenant ?

—Venez suivez-moi, mon roi sera enchanté de vous rencontrer.

Nous entrons dans le château. Les lieux sont sombres et seuls des bougies éclairent le grand hall d’entrée, il fait un froid de canard et nous pouvons sentir le vent s’engouffrer en courant d’air dans la grande demeure. Les tapisseries aux murs sont décollées, et il est possible de voir la marque jaunâtre d’anciennes peintures autrefois accrochées aux murs.

— Le bureau de Sa Majesté se trouve au premier étage, attention aux marches, certaines sont complètement pourries.

— Mais comment a-t-il pu en arriver là ? demande Alice concernée.

— Il a fallu choisir entre donner à manger au peuple ou sauver ces murs, dit une voix derrière nous.

Le roi se trouve en bas des marches, près d’une vieille bibliothèque. Nous nous inclinons légèrement devant ce monarque ; c’est un homme d’un âge mûr, sa longue barbe brune est soigneusement brossée, il porte une longue robe de chambre côtelée et ses mains tremblent.

— Majesté laissez-moi vous présenter Marley Corvinus et ses amis, je leur ai mentionné que vous étiez un grand admirateur de leur cause, ai-je bien fait votre majesté ?

— Oui mon vieil ami, tu as très bien fait, dit le roi vers son serviteur. (Puis il se tourne vers nous) J’ai attendu durant des mois votre visite et vous voilà enfin devant moi, comme si mes prières avaient été entendues.

Nous le regardons incrédule, mais celui-ci ne bouge pas, il se contente de nous sourire.

— Venez, prenez place dans la bibliothèque, nous serons mieux installés pour discuter.

Nous entrons alors dans cette pièce poussiéreuse, une grosse cheminée s’impose en pleins milieux de cette bibliothèque, des centaines d’ouvrages de toutes les époques sont rangés sur les étagères noyées de poussière et les tapisseries aux murs ont toutes perdu de leurs couleurs.

— C’est ici que je passe le plus clair de mon temps ces temps-ci, dit le vieux monarque.

— Majesté je suppose que si vous savez qui nous sommes, et pourquoi nous sommes ici.

— Oui, je le sais, c’est vous qui avez libéré l’un des camps sur Kilmoon et qui l’avez incendié. J’imagine que vous êtes venus me demander de vous aider à repartir en Gallia.

— Oui, c’est exact. Majesté nous avons récupéré de nombreuses richesses aux casques noirs depuis quelques mois et nous souhaiterions vous en faire cadeau afin de vous aider.

— Votre proposition est des plus intéressantes, Mademoiselle Corvinus, et je vous avoue que je déteste votre président au plus haut point. Il vient dans mon pays comme dans un pays conquis et je n’aime pas ses manières...

— Mais…

— Mais je dois être sûr que vous m’aiderez à expulser ces casques noirs. Vous devez me promettre de venir en aide à mon peuple si jamais les Bellãtriens refusaient de partir.

— C’est évident votre majesté.

Pendant notre entretien, un jeune serviteur au teint de perle entre dans la pièce et nous interrompt.

— Majesté, le maréchal est là pour vous.

— Il est un peu en avance, tant mieux. Dis-lui que j’arrive. Mesdames veuillez m’excuser un instant, je ne serais pas long.

Nous regardons le roi quitter la pièce en compagnie de son serviteur qui referme les portes de la bibliothèque sur nous.

— Je trouve ça étrange.

Tout le monde se tourne vers mon frère qui n’avait pas dit un mot depuis notre arrivée, personne ne comprend sa réaction.

— Oui je trouve ça étrange. Il n’a pas été surpris de notre visite, comme s’il savait que nous allions venir un jour ou l’autre. Il sait ce que nous voulons lui proposer et il l’accepte sans problème alors qu’il a le pistolet d’Anderson sur la tempe. Je ne trouve pas ça normal du tout.

— Ryan je comprends que tu sois suspicieux, mais le roi est de notre côté, il veut rendre la liberté à son pays tout comme nous. Tu l’as entendu parler non ? dit Lucius d’un ton froid.

— Je dis juste que ce n’est pas normal ce qui se passe, le majordome est comme par hasard un grand admirateur de ma sœur, et puis quand il nous conduit à son roi ce dernier ne vous présente pas comme les sœurs Valentino, mais comme les résistants Gallien comme si tout était normal, comme si vos têtes n’étaient pas mises à prix, et puis comme par hasard un maréchal de l’armée noire lui rend visite aujourd’hui et il nous enferme dans la bibliothèque. Vous ne trouvez pas que quelque chose cloche ?

— Ryan, tu es vraiment paranoïaque, il ne faut pas voir le mal partout, je sais ce que tu as souffert dans les camps, mais ce n’est pas une raison pour déchaîner ta colère sur tout le monde, dit Lucius excédé.

Alors Ryan se tourne vers moi avec un air de supplication.

— Si, il y a bien une personne qui dois me croire c’est bien toi ma sœur ! Marley, tu ne vois pas que nous sommes tombés dans un piège qui est en train de se refermer sur nous à chaque seconde qui passe ! Bon sang! utilise ton sixième sens !

Je ne sais pas quoi penser, bien sûr que j’aime mon petit frère et que cela est bien trop facile, mais j’ai envie de croire qu’il reste des gens bons dans ce monde. Mais mon frère reste campé sur ses positions et se retourne vers Lucius.

—Tu crois tout savoir sous prétexte que ton père est dans le grand conseil de la résistance ? Mais tu ne sais rien de la souffrance ! Mon père a été abattu devant mes yeux et personne ne l’a secouru. Ils m’ont obligé à le regarder pourrir au soleil. Et quand les corbeaux ont eu fini de le becqueter, ils l’ont jeté dans une fosse commune et ont mis le feu à tous les cadavres. Mon père ne reposera jamais en paix, il n’aura jamais eu de cérémonie. J’ai vu des jeunes filles de treize ou quatorze ans se faire violer la nuit par des gardes complètement saouls, elles hurlaient, mais personne ne bougeait, personne n’avait le courage de se lever pour empêcher cela, personne, pas même moi ! Et pour finir, ils m’ont torturé le jour où ils ont compris que Marley et moi étions frère et sœur, ils voulaient que je leur dise où elle se trouvait, mais je n’ai jamais parlé ! Et tu crois que je suis juste paranoïaque et stressé ? Non ces mois de cauchemar m’ont appris à lire sur les visages des hommes et celui du roi n’est pas sincère. J’en suis sûr !

Torturé ? Il ne m’en a jamais parlé, pourquoi ne m’a-t-il rien dit à ce sujet-là ? Je ne peux m’empêcher de m’en vouloir, par ma faute mon frère a vu et vécu des horreurs qu’un jeune de son âge n’aurait jamais dû vivre. Mon frère a été détruit par ce camp et jamais il ne pourra se reconstruire… Je le sais à présent.

— Ryan. Je suis tellement désolé de les avoir laissés te faire tout ça.

Je l’embrasse sur le front, mais il se dégage instantanément.

— Il y a du mouvement dehors ! dit-il

Mes sens de loup se mettent en éveils et je perçois également le mouvement qu’il y a dehors.

— Alice, Ryan à raison il se passe quelque chose dehors.

Alice se lève du sofa et explose littéralement, elle se met à hurler, elle est dans un état de colère si intense que ses mains s’embrasent.

— Maintenant, vous allez vous calmer ! Il n’y a rien dehors ! Vous êtes paranoïaques tous les deux ! dit-elle en montrant la grande fenêtre derrière nous.

Mais une détonation résonne, le verre de la vitre se brise et Alice s’écroule au sol. Lucius plonge près d’elle pour lui soutenir la tête, Ryan et moi nous jetons aussi au sol pour nous mettre à l’abri des balles qui pleuvent à présent sur nous.

— Marley… je suis désolée…

Je me rapproche de mon amie qui se tient le côté gauche du ventre, elle saigne beaucoup.

— Quelle idiote, ça m’apprendra à ne pas t’écouter...

—Ne dis pas de bêtises, nous allons nous sortir de ce pétrin comme on le fait chaque fois. (Je me tourne vers mon frère qui tente de se rapprocher de la fenêtre) Ryan, combien de casques noirs ?

— Environ une vingtaine, ils ne sont pas nombreux, on peut y arriver !

— Non Ryan nous ne pouvons les affronter, pas avec Alice blessée, s’écrie Lucius

Il n’est plus temps de parler, maintenant il faut agir, car les casques noirs se dirigent droit vers les fenêtres de cette maudite bibliothèque. Tout semble perdu, même avec nos armes nous n’aurons pas assez de munitions pour nous en sortir vivant. Mais nous devons tout de même tenter quelque chose. Je commence à me lever et bande mon arc quand la cheminée placée au centre de la pièce pivote pour laisser place à un escalier souterrain, et montant ces escaliers nous découvrons le vieux majordome. Il est mal en point et une vilaine entaille sanglante barre son visage.

— Vite ! Suivez-moi !

Lucius prend Alice dans ses bras et commence à suivre le vieil homme, mais Ryan le retient par le bras.

— Attends, regarde ce que ça nous a valu de lui faire confiance !

— Monsieur je comprends votre méfiance, mais je jure sur la vie de mes six enfants que jamais je ne vous ai trahis, j’ai même reçu une correction pour m’être opposé au roi.

— Tu lui as dit qui nous étions !

— Oui monsieur, mais il m’a mené en bateau, il s’est servi de moi en me faisant croire que lui aussi était de votre côté. En réalité, il a trahi sa propre nation, il a préféré les pots de vin à son pays… il nous a tous trahis.

Le temps presse ! Il faut faire un choix ! Faire confiance à cet homme ou rester ici et mourir sous les coups de feu des casques noirs. Les balles commencent à siffler au-dessus de nos têtes, nous devons nous dépêcher. En nous voyant tous suivre le vieil homme, mon frère n’a d’autre choix que de nous emboîter le pas. La cheminée se referme au-dessus de nous et nous descendons dans les profondeurs du château.

— Ce passage secret fut créé par l’arrière-grand-père de notre roi. Il servait à protéger les enfants du roi en cas de guerre. Mais jamais il n’a été utilisé sauf par ma famille et moi-même pour nous déplacer plus vite dans ce château. Le roi sait qu’il existe plusieurs passages secrets, mais il n’a jamais voulu savoir où ils se trouvaient.

— Nous sommes donc en sécurité ici ? je lui demande.

— Oui, mais nous serons encore plus en sécurité chez moi.

Le tunnel de terre est rudimentaire et sent l’humidité, mais nous commençons à penser que nous ne risquons plus rien ici, après quelques minutes nous apercevons enfin la lumière du jour…

— Attendez ! dit le vieil homme en nous intimant le geste de ne pas bouger. Le feu…

Le vieux majordome sort du tunnel en courant et en hurlant.

— Molly !

Nous le suivons Ryan et moi. En sortant de ce boyau de terre, la chaleur des flammes et des fumées nous coupe le souffle. Le vieil homme est affolé et regarde impuissant sa maison embrasée.

— Molly ! Mes enfants !

Il scrute chaque fenêtre en espérant ne pas voir sa femme à l’une d’elles. Deux jeunes gens d’environs treize ans arrivent en courant.

— Papa !

— Mes enfants ! Dieu soit loué vous n’avez rien ! Où est votre mère ?

— Encore à l’intérieur, elle n’a pas réussi à sortir Lucie de son berceau !

C’est alors que le vieil homme s’élance tête baissée vers sa maison en flamme. Mon frère et moi nous ruons sur lui pour l’empêcher d’entrer.

— Marley, vous n’avez pas le droit de m’en empêcher !

— Vos enfants ont besoin de vous ici et vous ne sortirez jamais de ce brasier ! Je vous ramènerais votre femme.

Mon corps de femme se déchire afin de retrouver mon corps de louve noire puis je pénètre dans la maison. Les flammes ont déjà envahi toutes les pièces du rez-de-chaussée et la chaleur est immense. Je monte au premier étage en espérant trouver la femme du majordome et l’enfant. Les flammes lèchent le plafond et chaque seconde des poches de gaz explosent au-dessus de ma tête. Je dois me presser si je ne veux pas perdre la vie dans cette fournaise. J’entre alors dans la salle de bain et miracle je trouve la vieille femme qui tient sa petite fille dans ses bras.

Elle panique devant mon apparence alors je reprends forme humaine et la rassure.

— Molly, je suis Marley Corvinus, votre mari est avec vos deux grands en bas, je vais vous faire sortir de là. Faites-moi confiance.

Tout en reprenant mon apparence de louve pour me protéger de la chaleur, je guide Molly à travers les flammes. Mais la situation se gâte. Les explosions se font trop nombreuses et nous ne pouvons plus descendre au rez-de-chaussée qui est entièrement embrasé. Je suis assez grande et forte maintenant pour prendre un adulte sur mon dos alors je lui fais signe de grimper. Elle s’agrippe à mon pelage, se penche en avant pour protéger sa fille puis ferme les yeux, je prends mon élan et saute au travers de la vitre. Nous retombons sur le gazon brûlé, je me mets à galoper le plus vite possible pour les éloigner de l’incendie, quand tout à coup, la petite demeure explose. Enfin mise à l’abri, Molly descend de mon dos, les jambes toutes chancelantes. Le vieux majordome court vers elle et l’étreint tendrement.

— Merci Marley… dit-il les larmes aux yeux.

Je reprends forme humaine, mon frère sourit fièrement et me passe un bras par-dessus l’épaule.

—Tu vois grande sœur tu n’es pas qu’une tueuse de casques noirs.

Je serre mon petit frère dans mes bras, passe ma main sur son crâne dont les cheveux commencent tout juste à repousser. Et à la base de son cou, juste au-dessus des omoplates j’aperçois le code-barre, symbole indélébile de son cauchemar dans ce camp.

— Je te protégerais jusqu’au bout petit frère.

Je suis heureuse d’avoir réussi à sauver cette famille, le roi d’Iridia avait bien caché son jeu, et n’a jamais été du côté des Galliens, il a inventé tout ça afin de duper le vieux majordome, et quand il a compris que son serviteur l’avait percé à jour il a tenté de détruire sa vie.

— Marley…

Ma joie est soudain gâchée par une sensation amère dans le ventre, je me retourne vers Lucius qui est à genoux dans l’herbe et tient toujours Alice dans ses bras. Je m’approche d’eux et prends la main de ma meilleure amie. Elle me sourit faiblement et serre ma main.

— Tu as été très courageuse d’aller chercher cette femme.

— Oui, j’espérais que tu te joignes à moi, mais tu étais trop occupée à profiter des bras de ton amoureux.

J’essaye de la faire rire, car je vois bien le sang qui coule abondamment dans l’herbe et je sais pertinemment que sans médecin Alice a très peu de chances de survie.

— Je voulais venir, mais Lucius m’en a empêché, dit-elle en riant faiblement en souriant.

Mes yeux s’embuent de larmes tout comme ceux de Lucius. Nous savons tous qu’Alice va nous quitter et nous sommes tous impuissants face à cela.

— Marley, nous avons été les meilleures amies du monde, comme des sœurs, mais il arrive que nos chemins se séparent. Nous nous retrouverons, je te le promets. Mais toi tu ne dois pas partir tout de suite, tu dois conduire notre peuple à la victoire. Je crois en toi Marley Corvinus, et je sais que tu feras ce qui est juste pour redonner sa gloire d’antan à notre pays.

— Alice, je ne veux pas te perdre…

— Tu ne me perdras pas, je resterais dans ton cœur à tout jamais, et à chaque fois que tu te sentiras seule, tu n’auras qu’à penser à moi et la flamme de notre amitié te réchauffera le cœur.

Lucius et moi la regardons nous dire adieu, impuissant, et le cœur déchiré de douleur.

— Lucius, mon amour, veille sur Marley et Ryan, ils sont ta famille et vous devez rester soudés et forts pour vaincre les Bellãtriens.

— Tu vas tellement me manquer…

— Toi aussi tu vas me manquer Lucius, mais c’est ainsi, chacun son heure, la mienne est venue, nous nous retrouverons de l’autre côté, mais plus tard. Veillez les uns sur les autres…

Alice me regarde avec toute sa gentillesse puis Lucius l’embrasse une dernière fois et lui murmure un dernier « je t’aime ». Alice ferme les yeux et un sourire de paix se dessine sur son visage. Je regarde son corps perdre doucement la vie, je lui caresse les cheveux puis pose ma main sur la sienne.

— Mon amie, repose en paix. Veille sur nous de là-haut. Et surtout, attends-nous.

Puis je me mets à pleurer, mon cœur se serre comme le jour où j’ai perdu Logan. Cette même douleur, cette même rage, cette même colère. Mon frère me prend dans ses bras et me berce lentement comme l’a fait mon père lors de la mort de Logan.

***

Il nous faut toute la journée du lendemain pour construire au bord du fleuve le radeau qui permettra à Alice de rejoindre le monde des esprits. Molly m’a aidé toute l’après-midi à laver le corps d’Alice souillé par le sang, nous lui avons fait revêtir une magnifique robe de soie blanche et les enfants du couple lui ont confectionné une merveilleuse couronne de fleurs.

Le soleil se couche et comme le veut la coutume, nous avons allongé la belle Alice sur cette sépulture de bois, ses mains sont croisées sur un bouquet de fleurs des champs, elle semble si apaisée, son visage est détendu comme si elle était heureuse. Nous lui adressons un dernier hommage silencieux puis nous poussons l’embarcation pour que celle-ci soit emportée par le faible courant. Je me saisis de l’arc du vieil homme, et encoche une flèche que j’ai au préalable, enflammée. Je regarde l’embarcation s’éloigner de nous et quand celle-ci est assez loin, je décoche ma flèche qui se loge dans le radeau. En quelques minutes, nous ne voyons plus qu’une immense flamme flotter sur l’eau du fleuve. Nous regardons tristement le corps de notre amie partir en fumée, les flammes s’élèvent dans le ciel nocturne et au travers de la fumée je perçois une lueur blanche s’envoler vers les étoiles. Mon Alice repose en paix et veillera toujours sur nous à travers les années.

***

« Cher Peter,

Voilà un peu plus de dix mois que je suis partie et jamais tu n’as répondu à mes lettres. Nous sommes toujours en Iridia où rien ne s’est passé comme prévu. Nous avons retrouvé mon frère, mais mon père était déjà mort. Nous avons compris que le roi d’Iridia avait fait passer ses intérêts financiers et pactisé volontairement avec le président Anderson afin de nous tuer tous et malheureusement les casques noirs ont abattu Alice pendant une embuscade. Ma vie est tellement vide sans elle, mais au moins il me reste mon frère. Je pense sans arrêt à Lucius qui a perdu l’amour de sa vie. Il a changé depuis la mort de notre Alice, il ne parle plus sauf pour imaginer de nouvelles stratégies pour quitter ce pays. Je pense que nous sommes en train de le perdre petit à petit. Pour ma part, je tiens le coup, car il y a tellement de choses à penser dans cette forêt. Je ne peux pas te dire exactement où nous sommes, mais nous avons construit un véritable petit village au fil des mois et nous attendons l’opportunité pour quitter ce pays et revenir à la maison. C’est assez épuisant de jouer ce rôle de chef qui ne me va pas du tout ; nous devons faire des tours de garde, chasser le gibier, entraîner les jeunes. Nos journées sont chargées, mais il ne se passe pas un instant sans que je ne pense à toi. Tu as laissé une marque indélébile dans mon cœur. Quand nous rentrerons, nous achèverons ce que nous avons commencé et nous pourrons enfin vivre une vie paisible et libre.

J’espère que tout se passe bien en Gallia et que tu continues le combat.

Voilà la cinquième lettre que je t’envoie, sans réponse de ta part, mais je ne perds pas espoir.

Je te rejoindrais très vite. À très bientôt

M. »

Je fixe la petite lettre à la patte d’un faucon du voyage et lui chuchote sa destination avant de le laisser prendre son envol.


Texte publié par Chipper2907, 18 juillet 2022 à 11h50
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