Je le repousse gentiment et lui tends la main pour qu’il vienne s’asseoir près de moi, puis je l’embrasse sur la joue et commence à jouer avec ses cheveux.
— Alors, qu’est-ce que ça fait d’avoir dix-sept ans ? me demande-t-il.
— Rien de plus que d’en avoir seize, toujours la même chose, mon père pleure et affiche la même mine morbide que le reste du temps, mon frère ne parle pas de la journée et moi je dois gérer la maison seule.
— Marley je ne parle pas de ça…
— Alors, ne me parle plus de mon anniversaire !
Mais il me tend déjà un petit paquet rouge.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ouvre et tu verras.
Je déballe le paquet, à l’intérieur se trouve un petit écrin en velours noir. Quand je l’ouvre, je découvre une magnifique bague en argent.
— Elle est magnifique… Logan tu n’aurais jamais dû.
— Je voulais un bijou aussi beau que toi.
— Merci Logan,
Je le prends dans mes bras et le serre de telle façon qu’il est obligé de me repousser pour continuer de respirer.
— Regarde à l’intérieur. Me dit-il, arborant son merveilleux sourire.
Je m’attarde sur la face interne du bijou et je remarque la gravure ; « Je t’aime »… C’est la première fois qu’il me le dit.
— Je ne savais pas si tu apprécierais.
— Moi aussi je t’aime, gros bêta…
Je dépose un baiser sur ses lèvres entre-ouvertes. Je passe ensuite le bijou à mon doigt et nous nous allongeons dans l’herbe fraîche. Je repense alors à notre première rencontre : nous avions tous les deux dix ans, ses parents et lui venaient d’être transférés dans notre quartier. L’école avait commencé depuis plusieurs mois déjà, je me souviens qu’il est entré dans la classe avec ses habits du dimanche ; il portait un petit pantalon bleu marine en toile épaisse, une chemise blanche et une cravate noire. Ses cheveux étaient soigneusement coiffés sur le côté et il avait un cartable flambant neuf. Sur le moment, personne n’a compris pourquoi un garçon si bien mis avait atterri dans le pire quartier de Marsilla, mais nous avons appris par la suite que son père était un pur traditionaliste et qu’il était venu se réfugier ici pour échapper à la pendaison. Les jours sont passés et nous sommes devenus amis, j’allais faire mes devoirs chez lui par moment, car nos pères s’entendaient à merveille. Mais un jour, son père a été battu à mort pour s’être opposé à un casque noir qui voulait abuser de sa femme, nous avions douze ans. Après ce drame, il n’est plus jamais retourné à l’école ; il devait travailler à l’usine pour aider sa mère. Puis après la mort de ma chère mère, nous avons commencé à nous revoir, surtout dans la forêt et dans les grottes. Je ne savais pas que lui aussi braconnait pour la survie de sa famille. Il m’a appris beaucoup de choses pour améliorer ma chasse et au fil des mois nous sommes tombés amoureux et nous nous sommes juré de toujours veiller l’un sur l’autre.
— Marley…
Le son de sa voix me ramène au présent.
— Tu crois que l’on s’aimera toujours ?
— Logan… Je suis à toi maintenant, ici et à jamais.
Nos lèvres se rencontrent à nouveau. C’est si bon de se sentir aimée d’une personne. Cet amour si simple si pur me ferait presque tourner la tête et oublier la dureté de cette vie de servitude. Nous restons ainsi pendant une bonne quinzaine de minutes puis il est temps de se remettre en chasse. Logan est expert dans l’art de manier les couteaux et c’est lui qui m’a appris à manier mon épée bien que je sois encore très mauvaise. Nous marchons dans le sous-bois discrètement depuis quelques minutes quand devant nous se dresse une magnifique biche au pelage doré, elle n’a pas peur et ne semble pas avoir remarqué notre présence.
— À toi l’honneur, dis-je.
— C’est ton anniversaire…
— Ensemble à trois. Un…Deux…trois !
Je décoche une flèche alors que Logan lance son couteau, les deux armes mortelles viennent se loger toutes deux dans le coeur de l’animal, celui-ci s’écroule sur l’instant. Tout est tellement plus simple dans la forêt, personne ne nous empêche de nous exprimer, personne ne nous veut du mal, j’aimerais pouvoir y vivre, mais mon père refuse de quitter la ville et de vivre comme des hors-la-loi. Je regarde l’animal que nous venons de braconner, il est vraiment très gros et nous ne pouvons pas prendre le risque de nous faire remarquer.
— Nous ne pouvons pas rentrer en ville avec cette biche, les casques noirs vont forcément avoir des soupçons.
— Je propose qu’on en mange un peu, de la bonne viande pour fêter dignement tes dix-sept ans, puis on découpe les morceaux qui nous intéressent pour les ramener chez nous.
Nous ouvrons le poitrail de l’animal et arrachons son cœur encore fumant. Nous le faisons cuire sur le feu, puis comme le veut la tradition ancestrale des chasseurs de la région, nous mangeons chacun une moitié du cœur, c’est un délice. Nous prenons les morceaux qui nous intéressent en prenant soin de cacher la carcasse au cas où les casques noirs viendraient faire un tour par ici. Puis nous retournons en ville, car le soleil commence à s’élever haut dans le ciel et j’ai peur que mon père ne s’inquiète de mon absence prolongée.
Avant de sortir du bois je me hisse sur la pointe des pieds et embrasse Logan une dernière fois, en passant mes bras autour de son cou. Il resserre son étreinte et me rend mon baiser, mais c’est un baiser plus dur, plus fougueux, il me plaque tout contre lui, comme s’il avait peur de ne plus jamais pouvoir m’embrasser. Je ne comprends pas, mais je le laisse faire tant j’aime ses baisers.
Quand je passe le pas de la porte, mon père m’attend les poings sur ses hanches.
— Où étais-tu ?
— Je cherchais de quoi vous nourrir toi et Ryan.
— C’est très généreux de ta part, mais tu sais qu’aujourd’hui nous devons aller ensemble sur la tombe de ta mère !
— Non, c’est terminé. Je ne veux plus aller au cimetière le jour de mon anniversaire, je ne veux plus te voir pleurer toute la journée, je ne veux plus voir mon frère dans ce mutisme, je veux aller de l’avant, je veux continuer de vivre avec les vivants et non avec les morts, maman est partie, elle ne reviendra jamais ! Et ça, il faut que tu l’acceptes !
— Marley !
— Non, papa ! Elle serait d’accord avec moi, et je le sais parce qu’elle me l’a dit avant de mourir ! Elle m’a demandé de veiller sur vous à sa place, mais je commence à en avoir plus qu’assez de vivre avec des zombies ! Alors, réagissez bon sang ! Maintenant si tu as fini j’aimerais faire cuire ce que j’ai ramené afin de fêter mon anniversaire !
Je sors les quatre gros morceaux de viande encore sanglants de ma besace, et les pose sur la table. Mon père a beau dire ce qu’il veut, être furieux contre moi pour la façon dont je lui ai parlé, quand je lui ramène de la viande il ne peut plus me sermonner. Il allume la vieille télé et tente de capter la chaîne des rebelles.
— Papa, tu ne devrais pas, s’ils s’aperçoivent que…
— Tais-toi maintenant ! Tu crois peut-être que tu es forte par ce que tu arrives à cacher ta peine et ta douleur ? Tu crois que je ne suis qu’un lâche qui n’arrive pas à faire le deuil de son épouse ? Mais qui crois-tu être ? Et qui crois-tu que je sois ? La mort de ta mère m’a détruit, c’est vrai, mais sache que je ne leur appartiendrais jamais ! Jusqu’au bout, je me battrais pour retrouver le monde tel qu’il était avant cette guerre, avant ce gouvernement, avant que ta mère me soit enlevée par leur faute !
Je veux ajouter quelque chose, mais je me ravise. Mon père a entièrement raison, j’ai beau lui trouver beaucoup de défauts, il est clair qu’il ne cessera jamais de croire en la liberté et à ma façon je fais la même chose que lui, en allant braconner dans la forêt je m’oppose moi aussi au régime totalitaire de ce pays. Quand il arrive enfin à capter la chaîne, nous constatons avec espoir qu’il y a eu des mouvements de rébellion dans les quartiers nord de Marsilla ainsi que dans certaines autres villes du Sud. Nous ne sommes jamais au courant de ce qu’il se passe dans les autres quartiers pour la simple et bonne raison que nous ne nous y aventurons guère. Les casques noirs sont aux portes des quartiers et veillent à ce que personne ne se rencontre ni échangent des informations ; chaque ville du Sud est divisée en quatre quartiers, le quartier Nord, l’Est, l’Ouest et le quartier Sud. Dans chaque ville ces quartiers symbolisent le rang social des gens qui y vivent, dans les quartiers Nord vivent les chefs de quartiers ; des Bellãtriens qui se prennent pour les maîtres des villes. Et plus on se rapproche du quartier Sud, plus la population y est pauvre. Le présentateur du flash info craint que le gouvernement ne fasse payer à tout le monde ce manque de discipline, il prend la parole et s’exprime d’une voix tremblante.
« Les mouvements de soulèvement sont de plus en plus fort dans le Nord de Marsilla, les Galliens des quartiers Est et Ouest se sont réunis afin de mettre à feu et à sang le quartier du chef de la ville. Comment va-t-on être punis pour cette vaine révolte ? Personne ne le sait encore, mais une chose est sûre, c’est que notre peuple va souffrir comme il n’a jamais souffert si nous ne faisons rien… Mes amis je dois rendre l’antenne, le gouvernement tente à nouveau de localiser notre chaîne, restez à l’écoute, et la prochaine fois cherchez aux alentours du canal 20. »
La chaîne se brouille, et plus rien. Je regarde mon père puis l’interroge.
— Tu en penses quoi toi ?
— Je pense que le gouvernement sent les choses lui échapper et qu’il va vite ajuster le tir, même si c’est au prix de nos vies. De toute façon, nous ne sommes rien pour eux.
— Tu crois qu’il faut se préparer à un affrontement ?
— Un affrontement non… plutôt à un massacre.
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