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Chapitre 5

Léopold

Malheureusement, le bonheur est de courte durée. Quand on rentre à l’appartement, Guy nous attend. Il a bu, et Barbara est repartie sur la route avec son camion. Pourtant, on a été discret : on est passé chez Clément déposer la tente et les sacs de couchage. Puis on a essayé de rentrer de façon décalée. Elle est revenue avant moi pendant que j’attendais dans l’escalier. Mais je n’étais pas serein. Elle n’envoyait pas le sms convenu. Quand je suis rentré, Guy la tirait par les cheveux en l’insultant. Elle pleurait en silence. J’ai vu dans ses yeux qu’elle ne voulait pas faire de bruit pour ne pas que je les entende et que je vienne l’aider. Peine perdue. J’ai crié à Guy d’arrêter, et il l’a lâchée. Elle est tombée par terre et il s’est jeté sur moi.

La suite est confuse. Je me souviens d’une immense douleur à la tête. Des cris d’Elo. De ses cheveux sur mon visage quand elle s’est mise sur moi pour me protéger. Quand j’ai émergé vraiment du brouillard dans lequel j’étais, j’étais allongé sur mon lit. Elo était en larmes, toute rouge et décoiffée à côté de moi. Ses yeux lançaient des éclairs : quelqu’un me faisait un bandage au niveau du nez.

- C’est cassé. Il vaudrait mieux aller à l’hôpital mais j’ai cru comprendre que ça n’était pas au programme. Il a peut-être un traumatisme crânien. Ne le laisse pas seul cette nuit et s’il vomit, c’est direction les urgences.

- Ok.

Quand Elo revient dans ma chambre quelques minutes plus tard, elle est seule. En fait, je crois que la dame, c’était la voisine infirmière qui vit à l’étage du dessous. Je lui tends la main et elle s’agenouille près du lit, en sanglotant dans mon tee-shirt. Je ne l’ai jamais vue craquer ainsi. Je dois être défiguré.

Je la serre contre moi, quitte à l’étouffer, du plus fort que je peux. Au bout d’un moment elle se calme, se redresse et me regarde.

- J’ai eu tellement peur. Il y avait du sang partout. Tu ne répondais pas. Tu ne bougeais plus.

- J’ai mal au crâne et j’ai l’impression d’avoir une patate à la place du nez. Mais sinon ça va. Je suis toujours en vie. Je vais bien.

- J’ai eu tellement peur, répète-t-elle.

Cette nuit-là, dans mon lit, Elo m’a soufflé d’une petite voix : promets-moi que tu partiras avec moi, promets-moi que tu ne partiras pas sans moi. Même si je ne suis pas là, tu reviendras me chercher. Promets-moi qu’on fera ça ensemble. Promets-le-moi.

Les jours d’après, elle me regarde comme du lait sur le feu. Elle s’interpose dès que Guy et moi nous croisons dans une même pièce. Elle est toujours devant moi. La nuit, dans mes bras, elle retrouve un visage et des épaules détendus qu’elle n’a plus jamais en journée. Je sens qu’elle prépare quelque chose.

Je découvre ce que c’est le 2 septembre. Elle fait sa rentrée en terminale arts appliqués avant que je ne fasse la mienne à la fac. Je veux lui faire une surprise et je vais l’attendre à la sortie. Quand elle me voit, elle sourit. Je lis un certain étonnement dans le regard de ses copains et copines. Je ne connais que Julie, elles sont amies depuis le collège. Je lui fais un signe de tête qu’elle me rend quand Elo se plante devant moi, les sourcils froncés.

- Surprise !

- Moi aussi je voulais te faire une surprise, mais tant pis, du coup tu vas venir avec moi.

Elle lance un regard entendu à Julie, fait un signe de la main aux autres, et m’entraîne derrière elle.

Après quelques minutes de marche, on se retrouve devant un magasin de téléphonie. Elo semble lutter intérieurement. Quand elle fait ça, c’est qu’elle va dire ou faire quelque chose d’important.

- Il faut qu’on se prépare. Dans deux mois, c’est ton anniversaire et il va te foutre dehors. Avant, on ne sait pas ce qu’il peut se passer. Nos deux portables, c’est les adultes qui paient les abonnements. Et ça peut s’arrêter à tout moment.

Je crois que je commence à voir où elle veut en venir.

- Et il est hors de question qu’à un moment donné je ne puisse pas te joindre. L’inverse doit être vrai aussi.

J’acquiesce. Je n’avais pas pensé à ça. Elle me sidère un peu.

- Donc là, on va acheter deux téléphones et des nouvelles cartes SIM. Le moins cher, mais ça sera nos nouveaux numéros. Tu ne le donnes qu’aux gens de confiance. Tu m’enregistres comme tu veux mais je veux apparaître comme la personne à contacter en cas d’urgence. Et ça devient notre nouveau moyen de communication.

J’acquiesce. Je suis éberlué. C’est sa première idée pour nous sauver. Je sens que ce ne sera pas la dernière.


Texte publié par Queen_E, 1er juin 2022 à 16h13
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