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tome 1, Chapitre 32 « Un pas après l'autre » tome 1, Chapitre 32

Note de l'auteure :⚠️Les chapitres de Manon sont difficiles à lire : phrases courtes, informelles avec un vocabulaire peu enrichi et les actions très décrites. Le personnage voit le monde différemment des autres personnes, les émotions/sentiments lui sont étrangers. Merci de prendre en compte ces informations durant votre lecture.

Jeudi 6 janvier 2022 – Manon

– Manon, où vas-tu ?

– Voir Letty.

Le froncement de sourcils de Sue ne m’échappe pas. Je sais qu’elle n’accepte pas que j’aie donné ce prénom au lionceau, mais il ne pouvait porter aucun autre nom pour moi. Je quitte la maison. La lionne et son petit sont retournés dans l’enclos avec les autres. C’est là-bas que je me dirige.

Aujourd’hui, ça fait un mois que mon père a été enterré, mais ça me semble pourtant si loin. La vie en Ouganda semble s’écouler différemment. Depuis que j’ai pris la décision de revenir, je passe mes journées auprès du lionceau. Tenshi m’a dit que ce n’était pas prudent, mais il ne peut rien m’arriver avec Letty. Charlie m’a également mise en garde lorsque je l’ai eu au téléphone. Selon elle je me raccroche trop à Letty au point d’en oublier la réalité. Je sais qu’au fond elle a raison, mais je ne peux pas l’abandonner encore une fois.

Charlie a tout de même noté des progrès sur mon état. C’est vrai que je me sens différente. Le monde qui m’entoure semble s’être éclairci et je le comprends mieux. Même si certains jours sont plus sombres que d’autres. Parfois je me réveille en pleine nuit avec cette douleur à la poitrine qui m’empêche de respirer. Charlie m’a parlé d’une « phase de semi-dépression » et que c’était le résultat d’une grande difficulté à accepter leur mort. Elle a tort, je sais qu’ils le sont et qu’ils ne reviendront jamais, par ma faute. Mon vocabulaire s’est également développé. Est-ce là un signe que je pourrais un jour guérir ? Charlie pense que oui, mais moi je n’en suis pas aussi sûre.

Depuis que je suis revenue ici tout est différent. Je remarque les changements qui s’opèrent en moi, mais je remarque aussi ce creux dans ma poitrine qui ne peut être comblé. C’est comme si quelque chose aurait dû être là avec moi, mais que finalement seul le vide m’accompagne. Ce vide était comblé lorsque je passais du temps avec le lionceau, à présent ce n’est plus le cas. Malgré mes progrès, des choses continuent d’échapper à ma compréhension.

Je soupire en arrivant devant l’enclos. Je passe la première puis la deuxième porte. Le mâle dominant fixe ses yeux sur moi. J’avale difficilement ma salive, mes mains deviennent moites et ma respiration s’accélère. Il s’approche lentement de moi. Je devrais quitter l’enclos, mais je ne veux pas, j’ai besoin de voir Letty. Je regarde autour de moi jusqu’à ce que ses yeux bleus rencontrent les miens. Le mâle dominant est presque à ma hauteur quand Letty arrive et s’interpose entre nous. Les deux lions s’observent longuement, puis le chef finit par me laisser seule avec le lionceau. Je souris en caressant sa tête.

Je m’assois contre le grillage et Letty s’allonge près de moi en laissant sa tête reposer sur mes cuisses. Je passe ma main dans sa fourrure. Ses yeux bleus me fixent, je sens mon cœur se relâcher et je soupire.

– Beaucoup de choses ont changé depuis que je t’ai aidé à naître. J’ai arrêté les courses de rues. J’essaye de faire des efforts avec Sue, mais au fond rien ne change réellement. Ce vide ne me quitte plus depuis mon retour ici. Qu’est-ce qui a changé ? Que signifie ce vide ? Tu le sais toi ?

Letty ronronne en guise de réponse. Je me laisse esquisser un léger sourire, mais il s’en va aussi vite qu’il est apparu.

– Que dois-je faire, Letty ?

Je cherche une réponse dans ses yeux, quelque chose à quoi me raccrocher.

– J’ai vu le regard de Sue ce matin. Elle ne sait pas quoi faire de moi. Suis-je un poids pour elle ? Mais que suis-je censé faire ? Partir ? Comment le pourrais-je ? Je ne peux pas t’abandonner encore une fois, ma Letty.

Son faible rugissement me serre le cœur.

– Tu arriverais à vivre sans moi ?

Son nouveau rugissement me pousse à penser que Charlie à raison : je me raccroche trop aux souvenirs que j’ai d’elle, mais elle n’est plus là, le lion ne la remplacera pas. Je ne peux pas rester là, je ne peux pas continuer ainsi. Je dois aller de l’avant, comme Charlie me l’a si souvent répété ces derniers temps.

À l’approche de la maison, je prends mon téléphone et fais défiler les contacts. Mon regard se pose sur le nom de Makoto. Mon cœur se serre et je sens les larmes venir. Nous ne nous sommes pas parlé depuis l’enterrement. Je soupire et m’apprête à ranger mon téléphone dans ma poche quand je reçois une notification. Je m’assois sur les marches du perron et ouvre l’email.

De : keyes.frank@nasa.fr

À : manon.anderson@gmail.com

Objet : Norman Anderson

Bonjour Manon,

Je te présente mes sincères condoléances. Je me présente, Frank Keyes, j’étais un collègue astronaute de ton père. Je suis désolé pour ce qui est arrivé, je sais combien ça doit être dur pour toi.

Je m’excuse de t’envoyer un email après tout ce temps. J’ai essayé d’appeler à la résidence de Norman en espérant t’y joindre, mais personne n’a répondu. Il n’y avait personne non plus quand j’ai sonné. J’ai donc pensé que tu étais partie.

Les affaires personnelles de ton père ont été rassemblées dans des cartons, je comptais te les rendre. Dis-moi où et quand les déposer et je le ferais.

Je t’envoie également une photo de l’équipe qui a été prise avant que ton père ne parte, ils ont tenu à ce que je te la fasse parvenir pour te montrer leurs soutiens, mais surtout pour te dire à quel point ton père a compté pour eux. Il a accompli de grandes choses ici, même si tu n’en as pas forcément conscience. Il restera à jamais dans nos mémoires et dans nos cœurs.

Prends bien soin de toi, Manon. Tu étais ce qui comptait le plus pour ton père. Il nous parlait très souvent de toi, tu étais sa plus grande fierté. Il t’aimait.

Bien cordialement,

Frank Keyes

Les larmes coulent le long de mes joues alors que je clique sur la photo en pièce jointe. Je remarque instantanément mon père. Il est au centre de l’image, ses bras sont autour des épaules d’autres personnes. Ils sont tous si proches. Leurs sourires me serrent le cœur.

– Manon ! Manon, que se passe-t-il ? me demande Sue en s’approchant.

Je lui donne mon téléphone. Je lis l’email, puis cliquer sur la photo. Elle me regarde et pose sa main sur ma tête avant de s’assoir à côté de moi, les larmes aux yeux.

– Que dois-je faire ?

– Qu’as-tu envie de faire, Manon ?

– Je veux récupérer les affaires de papa.

Je sèche mes larmes avant de reprendre.

– Je veux rentrer en Floride.

– Alors, rentre. Seule toi peux savoir ce dont tu as besoin, Manon. Il est temps que tu vives ta vie comme tu l’entends, que tu fasses ce que bon te semble sans personne pour t’obliger à quoique ce soit. Sache que peu importe ce que tu décides, je serais toujours fière de toi et de t’avoir comme fille. Tu pourras toujours venir me parler quand tu en auras besoin et tu pourrais nous rendre visite aussi souvent que tu le voudrais.

– Merci maman.

C’est la première fois en plus de quatorze ans que je l’appelle ainsi. Il est temps que je tourne la page et que j’arrête de lui en vouloir à ce point, car je suis autant responsable qu’elle.

– Ma chérie !

Elle me serre fort dans ses bras et je me laisse faire. Ce contact calme les battements de mon cœur et je laisse échapper un profond soupire. Je ferme les yeux le temps de cette étreinte avec ma mère.

Je m’éloigne de Sue et reprends mon téléphone. Je réserve le vol de demain matin pour la Floride. À présent, je ne peux plus faire marche arrière. Je dois affronter les choses, je dois arrêter de tout refouler. C’est le seul moyen de rendre mon père fier de moi.

– Tu devrais prévenir Makoto, il pourrait venir te récupérer à l’aéroport.

– Je ne lui ai pas parlé depuis…

– Je sais, ma chérie, mais tu vas y arriver parce que tu es forte ! Tu l’appelleras après manger, il est encore tôt pour lui.

Je hoche la tête, elle a raison. Je me lève et suis ma mère à l’intérieur. Sur le seuil, je regarde une dernière fois le paysage devant moi avant de refermer la porte, déterminée.


Texte publié par Aihle S. Baye, 16 février 2023 à 12h34
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