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tome 1, Chapitre 30 « Une rose pour une poignée de terre » tome 1, Chapitre 30

Note de l'auteure :⚠️Les chapitres de Manon sont difficiles à lire : phrases courtes, informelles avec un vocabulaire peu enrichi et les actions très décrites. Le personnage voit le monde différemment des autres personnes, les émotions/sentiments lui sont étrangers. Merci de prendre en compte ces informations durant votre lecture.

Lundi 6 décembre 2021 - Manon

– En ce jour, nous sommes réunis pour faire nos adieux à Norman Anderson. Il était un fils, un frère, un conjoint, un père, un coéquipier et un ami. Norman a vécu toute sa vie en chérissant chaque instant, il a fait de son rêve, son métier et il a rejoint le ciel en faisant ce qu’il aimait le plus. Nous n’oublierons jamais ce que l’astronaute Norman Anderson a accompli dans sa vie. Il laisse derrière lui une famille : sa fille Manon, ses parents, et tous ceux qu’il a pu côtoyer. Il laisse derrière lui une nation endeuillée, mais une nation qui ne l’oubliera jamais. Adieu, Norman, puisses-tu rejoindre les étoiles et briller au-dessus de nos têtes. Amen.

Le cercueil de mon père descend dans le trou creusé dans la terre. Mais ce n’est qu’un cercueil vide. Il ne reste plus rien de lui. Il a explosé en même temps que la fusée. Aucun corps n’a été retrouvé. Simplement de la chair calcinée et de la poussière.

Je regarde mon grand-père s’approcher du trou. Il prend une poignée de terre dans sa main. Il la tient au-dessus du cercueil. Il écarte lentement les doigts. Je regarde le filet de terre couler et tomber sur le cercueil. Ma grand-mère prend une rose blanche. Elle la lance sur le cercueil. Chaque membre de la famille de mon père qui est venu assister à l’enterrement fait la même chose. Tantôt une poignée de terre. Tantôt une rose blanche.

Des hommes prennent des pelles. Bientôt, le cercueil est entièrement recouvert de terre. Le prêtre s’avance pour retirer le drap qui masque la pierre tombale. Je regarde ma grand-mère s’avancer et toucher la tombe de son fils. Les larmes coulent sur ses joues. Elle tient un tissu dans sa main. Elle s’en recouvre la bouche pour étouffer ses pleurs. Mon grand-père la rejoint. Il pose sa main dans son dos. Il a les yeux rouges. Je reste en retrait. J’observe les membres de ma famille. Tous semblent affectés par la perte de mon père. Sue verse des larmes en silence. Makoto a la tête baissée. Ils se tiennent tous deux à côté de moi.

Deux hommes et un enfant s’approchent de nous. Makoto relève la tête.

– Joshua, le frère de mon père.

Je n’avais jamais prêté attention à leurs ressemblances. Leurs yeux sont identiques. Joshua a une barbe taillée comme celle de mon père. Les seules différences sont dans la couleur des cheveux. Ceux de mon oncle sont blancs alors que mon père les avait noirs. Joshua a également des rides plus prononcées dû à son âge plus avancé.

– Son mari, Oliver. Leur fils, Aylan.

Makoto leur serre la main. Sue les salue également en continuant de verser des larmes.

– Makoto. Je suis le beau-fils de Sue.

– Enchanté Makoto, je suis navré de faire ta connaissance dans ces circonstances. J’espère néanmoins que nous serons amenés à nous revoir.

Makoto acquiesce. Joshua pose sa main sur mon épaule. Je le regarde.

– Manon… Je suis sincèrement désolé, je sais combien Norman t’aimait.

Je ne réponds rien.

– Je suis désolée que tu aies à endurer ça une nouvelle fois.

Je serre les dents. Mes mains deviennent des poings. Je fixe mon oncle. Je bouillonne à l’intérieur. Je sens des bouts de verre s’enfoncer dans mon cœur. Mes yeux me piquent. Ma gorge se serre alors que je me retiens de laisser mes pensées traverser mes lèvres.

– Joshua…

Sue pose sa main sur son avant-bras. Il la regarde. Il me regarde. Elle l’entraîne plus loin. Il ouvre la bouche, mais la referme sans rien dire alors que je continue de le fixer.

– Manon, je suis vraiment désolé pour son comportement. Joshua ne se rend pas compte que ses paroles peuvent blesser. Sache que si tu as besoin, n’hésite pas à m’appeler ou à venir nous voir. Nous serions ravis de t’accueillir à New York.

Oliver me sourit faiblement avant de prendre la main de son fils et de rejoindre son mari.

Makoto se tourne vers moi. Je ne veux pas le regarder. Je ne veux pas qu’il ouvre la bouche. Je ne veux pas qu’il pose de questions. Car je sais ce qu’il me demandera. Je sais ce qu’il me dira. Je ne veux pas en parler. Je ne veux pas y penser.

– Mano…

– Bonjour.

Ma tante se tient devant nous empêchant Makoto de me parler.

– Mackenzie, la sœur de Joshua et de mon père.

Elle se penche vers moi et me prend dans ses bras. Je la laisse faire. À quoi bon résister ? Je ne suis plus qu’une coquille vide. Joshua avait raison. Je revis tout ça encore une fois. À la différence que cette fois-ci je suis conscience de ce qu’il se passe. J’ai beaucoup appris ces derniers mois, ce qui m’empêche de ne rien ressentir. J’ai conscience du vide dans mon cœur. J’ai conscience que plus jamais je ne le verrais, que plus jamais je ne lui parlerais. Mes dernières paroles à son égard ne cessent de me revenir en mémoire.

Ma tante finit par me lâcher. Elle se tourne vers Makoto. Elle le prend aussi dans ses bras.

– Je ne savais pas que notre Manon avait un petit ami. Je suis ravie de te rencontrer, même un jour si funeste que celui-ci.

– Je ne suis pas son petit ami.

– Pas encore, mais à la façon dont tu la regardes, ça ne serait tarder !

Les joues de Makoto deviennent rouges. Il passe sa main dans ses cheveux et se racle la gorge. Ma tante me regarde, mais je ne réagis pas.

– Mackenzie, arrête d’embêter ce jeune homme.

– Mon oncle, Daren.

Je parle mécaniquement. Makoto lui serre la main. Daren passe son bras autour des épaules de sa femme. Il soupire en me regardant.

– Toutes mes condoléances, Manon. Je ne doute pas de la souffrance que tu dois ressentir. C’est vraiment injuste ce qui est arrivé.

Je hoche la tête. Je n’ai pas la force de parler. Deux jeunes filles nous rejoignent en se tenant la main. Ma tante pose une main sur l’épaule de chacune d’elles.

– Whitney et Heather, mes cousines.

– Bonjour.

Les filles relèvent la tête et nous regardent à tour de rôle Makoto et moi.

– C’est ton copain ?

– Whitney !

– Il est beau !

– Heather !

Les filles se regardent et se sourient. Elles voient ensuite Sue à quelques pas de nous.

– Est-ce que nous pouvons aller voir tati Sue ?

– Oui, mais tenez-vous bien. Nous sommes à un enterrement, c’est un jour terrible aujourd’hui même si vous ne le comprenez pas bien.

– On le comprend ! On est triste pour Tonton Norman, mais il voudrait qu’on profite de la vie !

Les filles partent en sautillant.

– Nos filles sont trop matures, Daren.

Mackenzie s’appuie sur son mari en regardant ses enfants. Puis un jeune homme vient à notre rencontre. Je pousse un long soupire silencieux. Je veux partir. Je ne veux pas entendre ce que mon cousin a à me dire.

– Bonjour, Manon. Je t’adresse mes sincères condoléances pour ton défunt père. J’espère de tout cœur que tu surmonteras ce tragique accident et que tu seras être heureuse dans ta vie en la vivant pleinement.

– Maxwell, mon cousin.

Il regarde Makoto de haut en bas. Je vois la main de celui-ci se former en poing.

– Nous allons vous laisser.

Je hoche la tête.

– Je suis là si tu as besoin de quoique ce soit. Notre porte te sera toujours ouverte.

Ma tante veut poser sa main sur ma joue, mais je me recule. Elle me sourit faiblement en laissant retomber son bras. Avant de partir, mon oncle se tourne vers moi.

– Katelyn voulait que je te dise qu’elle est désolée de ne pas avoir pu venir. Elle m’a dit de te faire savoir qu’ils allaient organiser un festin dans leur tribu pour accompagner l’âme de Norman vers sa prochaine destination.

Je les regarde s’éloigner. Je soupire. Makoto se tient toujours à côté de moi.

– Tu as une grande famille.

Je serre les dents. Je ne veux pas faire la conversation, mais je prends sur moi. Je ne veux pas lui laisser l’occasion de me questionner sur la remarque de mon oncle, Joshua.

– Ce n’était que la famille de mon père. Ces parents sont là-bas.

Je lui montre du doigt Frances et Howard.

– À côté de ma mère se tiennent ses parents, Martha et Keith.

Je les regarde. Le frère de ma mère est venu aussi. Je n’ai pas vu Alexander depuis longtemps. Il est accompagné de sa femme Naïma. Je la reconnais à sa cicatrice qui lui zèbre le côté droit du visage. Elle a la peau typique des tribus indiennes. Leurs deux fils ne sont pas ici. Mike est prêtre à Austin et n’a pas pu se libérer de ses obligations. Preston vit au Mexique avec sa famille.

– Tes oncles Oliver et Joshua me semblent familiers.

– Oliver est un ancien danseur étoile. Il est maintenant chorégraphe et professeur.

Les yeux de Makoto s’ouvrent en grand et sa bouche forme un « o ».

– Et Joshua ?

– Styliste et photographe pour Victoria’s Secret.

Je me surprends à me souvenir aussi bien des professions de mes oncles. Les avoirs revenus me donnent l’impression qu’un brouillard s’est levé dans mon esprit. Comme si les informations les concernant m’étaient à nouveau accessibles.

Je baisse les yeux vers mes pieds. Une larme solitaire roule sur ma joue. Makoto la voit et l’essuie de sa main. Je ferme les yeux pour chasser les autres.

– Tu as le droit d’être triste, Manon. Tu as le droit d’avoir mal, de souffrir, d’avoir besoin de pleurer. Ton père est décédé, tu n’as pas à faire semblant d’aller bien. Laisse-toi aller, lâche prise.

– Je ne peux pas.

– Si tu le peux. Il faut que tu lâches prise, que tu acceptes tout ce que tu ressens. Même si c’est dur, même si ça fait mal, il faut que tu laisses tes émotions sortir.

Non. Je ne veux pas. Je ne peux pas revivre ça. Pas encore une fois.

– Je suis là, tu peux compter sur moi.

Je me mords la lèvre inférieure pour contrôler le tremblement de mon menton. Mon cœur devient soudain si lourd que ma poitrine n’arrive plus à le supporter. Je suffoque. J’essaye d’aspirer de grandes bouffées d’air, mais ça ne fait qu’augmenter le creux dans mon cœur. Makoto passe son bras autour de mes épaules. Il me force à poser ma tête contre son épaule. J’essaye de résister. Je ne peux pas me décharger des émotions que je ne comprends pas et qui s’accumulent en moi. Makoto dépose ses lèvres sur le sommet de ma tête en me serrant contre lui. Je ferme les yeux et les larmes coulent en silence sur mon visage. Je voudrais être capable de mettre des mots sur ce que je ressens, mais je n’y arrive pas et ça ne fait que renforcer cette oppression que je ressens dans ma poitrine.

Je reste dans les bras de Makoto jusqu’à ce que les larmes aient fini de couler. Puis il prend mon visage entre ses mains.

– Si tu ressens de nouveau le besoin de pleurer, il faut que tu le fasses. Ne te referme pas sur toi-même. Je serais là dès que tu en auras besoin, tu peux compter sur moi.

– Merci Makoto.

– Viens-là.

Il me serre dans ses bras. Je passe les miens dans son dos et je soupire. Pourquoi est-ce qu’auprès de lui tout semble différent ? Qu’auprès de lui j’ai l’impression que je peux affronter la situation.

– Manon, Makoto. Il est temps de partir.

Nous nous éloignons l’un de l’autre. Nous regardons Sue et nous la suivons en direction de la voiture, mais je m’arrête devant la tombe de mon père.

« Norman Anderson

30/12/1975 – 02/12/2021 »

Je ferme les yeux et je murmure :

– Pardonne-moi papa.

Je pose une main sur sa tombe. Puis je rejoins Makoto et Sue. Nous rentrons à la maison de mon père. Je tombe à genou devant la porte d’entrée. C’est trop dur. Les larmes se forment et coulent de nouveau.

– Manon…

Sue passe ses bras autour de moi. Tout mon corps se tend. Je ne veux pas qu’elle me touche. Je ne veux pas qu’elle m’aide. Je ne veux pas d’elle ici.

– Non.

– Manon…

– NON !

Je la repousse et me redresse.

– Manon…

– Ne me touche pas.

– Je t’en prie, Manon. Tu ne peux pas continuer à m’en vouloir comme ça, ça fait plus de dix ans.

– Quatorze ans, dix mois et seize jours.

– Tu ne peux pas continuer à m’en vouloir comme ça, il est temps que tu passes à autre chose.

Comment ose-t-elle ? Je m’approche. Sue recule de quelques pas.

– Comment oses-tu ? Sa mort ne te fait rien ?

– Ce n’est pas ce que je dis…il est simplement temps que tu passes à autre chose.

– COMMENT SUIS-JE CENSÉE FAIRE ? COMMENT ? EXPLIQUE-MOI !

– Manon…

– NON !

– Ça suffit Manon, c’est dur pour moi aussi !

– Comment oses-tu dire ça ?

– Arrête, Manon !

– Non, toi arrête ! Tu n’es même pas capable de savoir combien de temps c’est écoulé depuis sa mort ! ALORS QUE C’EST TOI QUI L’AS TUÉE !

Je pousse violemment Sue et sa tête heurte le mur. Je m’avance vers elle, mais des bras m’encerclent. Je ne peux plus bouger.

– Calme-toi, Manon !

– C’EST SA FAUTE !

– Calme-toi, arrête de te débattre !

– C’est sa faute !

– Calme-toi.

– C’est ma faute…

– Chuuuut...

– Ma faute…

Je me laisse glisser au sol. Les bras de Makoto ne me lâchent pas. Je regarde Sue et je me prends la tête dans mes mains.

– Je suis…désolée…

Sue s’agenouille en face de moi. Elle prend mes mains dans les siennes. Je ne la repousse pas. Elle a raison. Je dois arrêter de rejeter la faute sur elle. Je suis tout autant responsable. C’est ma faute…

Sue ramène ma tête contre sa poitrine, elle me serre dans ses bras et pour la première fois depuis plus de quatorze ans j’accepte son étreinte.


Texte publié par Aihle S. Baye, 15 février 2023 à 11h37
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