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tome 1, Chapitre 24 « La boule à neige » tome 1, Chapitre 24

Jeudi 18 novembre 2021 – Makoto

Le réveil sonne et je l’éteins rageusement. Nous sommes arrivés il y a plus de quinze jours et tous les matins je dois me réveiller aux aurores pour faire les tâches qui m’incombent. Je me lève, m’habiller, puis je descends dans la cuisine. Les conversations s’arrêtent quand j’entre dans la pièce, puis reprennent de plus belle sans faire attention à moi. Je suis à bout de nerfs, je ne pensais pas que la situation pourrait être pire qu’à mon départ, mais je m’étais trompé. Je ne suis plus que l’ombre d’un inconnu, je n’existe plus. Je suis que le défouloir de Tenshi Hashimoto et son humble serviteur. Je m’assois à la table en priant pour que ma belle-mère arrive rapidement, au moins elle continue de tout faire pour rendre mon quotidien plus supportable. C’est gentil de sa part, mais ça ne résoudra pas le problème. Je fais grincer ma fourchette sur l’assiette, ce matin c’est un petit déjeuner avec des œufs et du bacon, sûrement pour faire plaisir à Manon.

– L’assiette n’a pas intérêt à être rayée, Makoto. Tiens-toi bien, je ne t’ai pas élevé ainsi.

Comme toujours, son ton est très brusque, il me parle avec tellement de haine. Le pire c’est que j’ai beau y réfléchir, je n’ai pas la moindre idée d’où pourrait provenir toute sa colère à mon encontre.

– Tu ne m’as pas élevé.

– Que viens-tu de dire ?

J’ose le regarder droit dans les yeux, mais je le vois bomber le torse et me prendre de haut. Je sais que j’ai déjà perdu cette bataille, comme toutes les autres. À cet instant, j’aimerais lui planter ma fourchette dans la gorge, mais je ne le ferais pas, parce que je suis un lâche et que j’ai l’espoir qu’un jour notre relation s’améliore.

Des pas s’approchent et je me tourne vers l’entrée de la cuisine, plein d’espoir, mais ce n’est pas Sue. Je me lève sans même avoir mangé deux bouchées, je passe à côté de Manon sans la regarder et sors de la maison en claquant la porte. J’espère au fond de moi qu’elle va sortir et me rejoindre pour me demander si je vais bien. Sauf qu’il s’agit de Manon… Est-ce qu’au moins elle m’a vu passer à côté d’elle ? Est-ce qu’elle a fait attention à moi ?

Je regrette d’être revenu ici pour elle. Depuis que nous sommes arrivés, je n’ai eu droit à aucun regard, à aucune parole. Je n’ai ma place nulle part. Ma famille m’ignore, Manon m’ignore. A-t-elle seulement conscience de ce qu’elle me fait ? Non, bien sûr. À part elle-même, Manon ne se soucie de rien d’autre. Je frappe l’arbre à côté de moi de toutes mes forces. Plus les heures passent et plus la colère se transforme en haine. Je ne sais plus quoi faire, je ne sais plus comment me comporter. Dois-je rester ici et espérer que Manon se souvienne de ma présence ? Rester ici et espérer que mon père et ma sœur me considèrent comme un membre de leur famille ? Ces mêmes questions ne cessent de tourner en boucle dans ma tête. Je suis prisonnier et ne sais pas comment m’échapper.

Je monte sur mon quad dans un profond soupire et rejoins le magasin. Je tourne la pancarte qui indique « ouvert », puis je vais prendre un carton dans la réserve et me mets à remplir les rayons. Cette tâche permet de me vider l’esprit et de me laisser un peu de répit. La cloche du magasin retentit, je lève la tête pour saluer le client, mais c’est Manon qui passe la porte et mon sourire chaleureux se fane. Je ressens un grand poids sur mes épaules, je plonge petit à petit dans une eau noire et sans fond. Je sais ce qui va arriver si je ne quitte pas l’Afrique, pourtant quelque chose me retient. Quelqu’un me retient. Manon choisit ce moment pour s’approcher de moi et me dire bonjour. Je devrais en être ravie et impressionné, mais je n’ai ni la force ni l’envie de faire des efforts. Je pense avoir suffisamment donné de ma personne pour elle, et qu’est-ce que j’ai eu en retour ? Je me le demande. Alors je décide de faire comme si Manon n’était pas là, je veux qu’elle sache ce que ça fait de se sentir ignorer par son entourage. C’est peut-être cruel, mais je ne supporte plus d’être le dindon de la farce. Elle doit comprendre que nous ne sommes pas tous hermétiques à notre environnement, à notre famille, à nos sentiments et à nos émotions. Je pose la boule à neige avec force sur l’étagère, elle se brise et m’entaille la paume.

– MAIS MERDE !

Je donne un coup de pied dans le carton avec toute la rage qui inonde mes veines. Je regarde l’état de ma main et jure. Je rejoins le comptoir de la caisse, je sais que Sue y a rangé une trousse de secours. Je l’ouvre et en extrait de ma main valide tout le nécessaire pour me soigner. J’espère que je n’aurais pas besoin de recoudre, car le faire de la main droite pour moi qui suit gaucher ne va pas être une tâche aisée.

Manon prend la compresse que je tiens dans la main et retire l’enveloppe qui la protège. Je la lui reprends avec force sans la remercier. Je ne veux pas de son aide, je n’ai besoin de personne, j’ai toujours réussi à me débrouiller tout seul, ce n’est pas maintenant que ça va changer. Je prends le désinfectant dans la trousse, mais je n’arrive pas à l’ouvrir. Manon me prend la bouteille de la main et s’apprête à l’ouvrir, mais je ne la laisse pas faire. Je la lui reprends et pour la première fois de la journée je la regarde droit dans les yeux.

– Je n’ai pas besoin de toi.

Ma voix est tranchante, pourtant Manon ne bouge pas. J’ouvre le désinfectant avec mes dents et en applique sur la compresse. Je la presse sur l’entaille et serre les dents face à la douleur. J’examine ensuite l’étendue des dégâts, puis prends une petite pince à épiler et tente de retirer les bouts de verre qui s’y trouvent. Ma main droite tremble sous la concentration, mon manque d’habileté me fait grimacer chaque fois que je rate un débris. J’aimerais que Manon s’en aille, je ne veux pas d’elle ici, je ne veux pas d’elle auprès de moi, sauf qu’elle ne bouge pas. La porte s’ouvre à nouveau, je ne lève pas la tête, mais devine rapidement qui vient d’entrer lorsque j’entends crier. Sue me rejoint et tire ma main blessée devant elle alors que je tenais un bout de verre.

– Putain !

– Est-ce que ça va ? Qu’est-ce qui s’est passé Makoto ?

– Mais laissez-moi tranquille ! Je peux me débrouiller seul, je l’ai toujours fait. Je n’ai pas besoin de vous, je ne veux pas de vous !

Je retire ma main de celle de Sue et me remets à extraire les morceaux de verre. Le regard noir et perçant de ma belle-mère me fait relever la tête. Elle a l’air en colère, mais sûrement pas plus que moi. Elle s’apprête à ouvrir la bouche et je l’en dissuade d’un regard.

Je désinfecte et examine une nouvelle fois la plaie. J’ai réussi à retirer tous les débris, malheureusement il me faut des points de suture. Je prends une aiguille et du fil, mais Sue m’arrête avant que je ne commence à me recoudre.

– Arrête !

Elle me regarde, totalement apeurée. Je me tourne vers Manon en espérant déceler dans ses yeux la même peur, mais elle n’a aucune réaction. Je pourrais m’ouvrir les veines, elle ne réagirait même pas. Je sais que ce n’est pas de sa faute si elle est malade, mais j’ai de moins en moins la force de le supporter. Pour la première fois depuis que nous sommes arrivés en Afrique, je comprends la décision de Norman. Je reprends l’aiguille et le fil des mains de Sue.

– Makoto ! Tu ne vas pas le faire toi-même !

– Et pourquoi pas ?

– Je vais t’emmener à l’hôpital.

– Non, je vais me recoudre, mettre un pansement et retourner travailler !

– Mais Makoto…

– Ce n’est pas la première fois que je fais ça, alors laisse-moi faire, putain !

Je n’ai jamais été aussi grossier envers ma belle-mère et je suis trop en colère pour m’en soucier. Elle se tait à contrecœur et me regarde faire avec attention. Je pique au bord de la blessure et je fais ressortir le fil de l’autre côté. Je répète ce geste tout le long de l’entaille. Je croise les points pour qu’ils tiennent mieux et une fois fini je coupe le fil avec des ciseaux. Je fais un nœud avec l’aide de mes dents et désinfecte encore une fois. Je vérifie ma suture avant de récupérer une compresse que je mets sur la blessure, puis je bande ma main. Sue et Manon m’observent, mais je les ignore en rangeant les affaires dans la trousse.


Texte publié par Aihle S. Baye, 12 février 2023 à 10h40
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