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tome 1, Chapitre 19 « Miami » tome 1, Chapitre 19

Note de l'auteure :⚠️Les chapitres de Manon sont difficiles à lire : phrases courtes, informelles avec un vocabulaire peu enrichi et les actions très décrites. Le personnage voit le monde différemment des autres personnes, les émotions/sentiments lui sont étrangers. Merci de prendre en compte ces informations durant votre lecture.

Samedi 2 octobre 2021 – Manon

La nuit est tombée. Mon père et Sue sont partis dormir. La maison est silencieuse. Je quitte la chambre sur la pointe des pieds. Je rejoins la cuisine sans faire de bruit. Makoto s’y trouve déjà. Il mange un fruit. Il met de la nourriture dans un sac à dos. Je prends deux gobelets dans un placard. Je les remplis de jus de fruits. J’en pose un à cause de Makoto. Il me remercie en s’inclinant vers moi. Nous buvons en silence.

Je vais me brosser les dents dans la salle de bain. Je vérifie que j'ai tout ce qu'il faut dans le sac à dos. Des vêtements. Des affaires de toilette. Le chargeur du téléphone. Le carnet. Le portefeuille. Je quitte la chambre. Je passe devant la pièce des chiens. Je les entends gratter derrière la porte. Jupiter aboie doucement. Je m’arrête. Je bloque ma respiration. Je ne bouge plus. J’attends. Aucune porte ne s’ouvre. J’avance lentement.

Je soupire lorsque j’arrive dans le hall. Je mets des chaussures. Makoto m’attend. Il regarde l’heure sur son téléphone. Il me fait un signe de tête. Nous devons partir. Il ouvre la porte d’entrée sans faire de bruit. Nous sortons dans la nuit noire. Nous marchons jusqu’à l’arrêt de bus dans le silence. Je vois Makoto regarder derrière nous. Pense-t-il que mon père nous ait entendus ? Il accélère le pas. Je le suis. Mon cœur se met à battre plus vite. Mes joues s’étirent vers le haut. Mes yeux sont grands ouverts. Je sens quelque chose courir dans mon corps. Comme si une force invisible me poussait vers l’avant. Je sens le regard de Makoto vers moi. Je tourne la tête dans sa direction. Lui aussi a les yeux grands ouverts. Ses joues sont rosées. Ses lèvres s’étirent vers ses oreilles. Je vois le début de ses dents blanches. Que nous arrive-t-il ?

Nous arrivons à l’arrêt de bus. Je m’assois sur le banc. Makoto attend debout. Plusieurs minutes plus tard, le bus arrive. Nous montons dedans. Nous nous installons dans le fond. J’enlève le sac à dos de mes épaules. Makoto fait de même. Lorsque nous quittons la zone résidentielle, nous soupirons. Le bus s’engage alors sur l’un des axes principaux. La circulation y est faible à cette heure.

– Tu es sûr qu’on aura accès à ta voiture ?

– Oui.

– J’espère, sinon on aura plus qu’à faire demi-tour.

Je ne réponds pas. Je sais où est ma voiture. J’ai envoyé un message à Éric mardi soir. Je lui ai dit que j’avais besoin de ma Dodge aujourd’hui. Il m’a confirmé hier soir où elle était.

Le bus passe devant l’hôpital. Je regarde le bâtiment blanc. Je sors le téléphone du sac à dos. Je clique sur le contact de Charlie. Je lui rédige un message pour la prévenir. Lui dire que je n’irais pas à la thérapie de groupe. Ni à notre séance. Je lui indique que je me trouve avec Makoto. Mon père contactera Charlie s’il se rend compte que je ne suis plus là. Elle saura quoi lui dire. Elle sait toujours quoi dire.

J’envoie le message. Je verrouille le téléphone. Je le remets dans le sac à dos. Le trajet se poursuit. Nous descendons à l’arrêt près du garage. Makoto me suit. Je fais le tour du bâtiment pour rejoindre le hangar. J’ouvre la porte métallique. Je n’allume pas la lumière. Il ne faut pas alerter la police qui patrouille. Je marche à travers les voitures bâchées. Éric m’a donné l’emplacement de ma voiture. Makoto ne sait pas où marcher. Je prends la manche de sa veste en cuir. Il me laisse le guider sans rien dire. Nous arrivons devant ma voiture. Mes lèvres s’étirent. J’enlève le drap qui la recouvre. Ma main glisse sur la carrosserie. Je m’avance jusqu’à la roue avant gauche. Je passe la main sur le pneu. Mes doigts touchent les clés. Je déverrouille la voiture. J’ouvre la portière. Je m’installe derrière le volant. J’allume le moteur. Mes lèvres s’étirent encore plus. Mon cœur bat plus vite. Ma poitrine se gonfle.

Makoto monte à côté de moi. Je démarre. J’avance lentement. Je m’arrête devant la porte du hangar. Je descends l’ouvrir. Puis je sors la voiture avant de refermer la porte du bâtiment. Je m’engage sur la route en direction de Miami. Je pianote sur la surface tactile du tableau de bord. Je suspends mon geste. Je me tourne vers Makoto.

– L’adresse.

Je le laisse entrer les coordonnées. Le GPS calcule l’itinéraire. Le temps de trajet est de deux heures et quarante-cinq minutes.

– Heureusement que l’hôtel ouvre tôt. On pourra se reposer un peu avant d’aller à l’audition.

Je hoche la tête. Devant moi la route est vide. Mon pied appuie sur la pédale d’accélérateur. La vitesse nous propulse légèrement contre les sièges. Un coin de ma bouche s’étire. Mon cœur bat plus vite.

– Ça te dérange si je mets de la musique ? Je ne suis pas adepte du silence.

Ma salive reste bloquée dans ma gorge. Mes yeux me piquent. Ma tête rentre dans mes épaules.

– Excuse-moi, je ne voulais pas te faire un reproche.

Je ne réponds pas. Je pianote sur la surface tactile pour accéder aux paramètres de la voiture. Makoto se connecte au Bluetooth avec son téléphone. De la musique se diffuse à travers les haut-parleurs. Je ne comprends pas l’utilité de la musique. Mais je le laisse faire.

Les minutes passent. Makoto tape sa main sur son genou. Je crois que c’est en rapport avec la musique. À quoi ça lui sert d’en écouter ? Je hausse les épaules. Je me concentre sur la route. Je mets mon clignotant pour doubler un camion.

– Ta mère…

– Sue.

J’ai répondu brusquement. Quelque chose grogne dans ma poitrine. Sue n’est plus ma mère. Elle l’a été à une époque. Avant tout ça.

– Sue, reprend-il, m’a expliqué ta maladie…s’il y a des choses que tu ne comprends pas, tu peux me poser des questions. J’essayerais de t’aider au mieux.

Mes mains sont serrées autour du volant. Mon sang ne passe plus. Elle lui a dit. Pourquoi lui a-t-elle expliqué ? Elle n’avait pas à le faire. Ça ne la concerne plus. Elle n’a pas à décider pour moi.

– Manon ?

Je ne réagis pas. Je ne veux pas parler. Je me reconcentre sur la route. Les quelques voitures que nous croisons nous font des appels de phare. Je lâche la pédale d’accélérateur. Je rétrograde. Je ralentis jusqu’à atteindre la vitesse recommandée.

– Pourquoi ralentis-tu autant ?

– La police.

Je pointe du temps le prochain carrefour. La police est garée dans une ruelle. Elle est sombre. Les véhicules y sont presque invisibles. Mais la voiture ne s’est pas assez reculée. Les lumières des lampadaires se reflètent dans la carrosserie blanche.

– Impressionnant ! Je ne l’avais pas vu.

– Les voitures en face. Elles m’ont fait des appels de phares.

– Même avec les appels de phares, je ne pense pas que je les aurais vus.

– La lumière des lampadaires se reflète dans le blanc de la voiture.

– Il faut savoir où regarder !

– Oui.

Nous passons devant les policiers. Je continue le trajet sans dépasser la limitation de vitesse. Je ne connais pas la fréquence des patrouilles dans cette partie de la Floride.

Deux heures et quarante-cinq minutes plus tard, je me gare sur le parking de l’hôtel. Je coupe le contact. J’étire mes bras devant moi. Je soupire. Je regarde Makoto. Il dort. Sa poitrine se soulève lentement. Je pose ma main sur son épaule. Je le secoue. Il ne réagit pas. Je recommence. Mais rien.

– Makoto ?

Dois-je le laisser là ? Non. Je détache ma ceinture. Je me redresse sur le siège. Je me mets à genou dessus. Je me rapproche de Makoto. Je pose mes mains sur ses épaules. Je le secoue. Sa tête bascule d’avant en arrière. Elle se tape contre l’appuie-tête.

– Makoto.

Il se réveille brusquement. Il pose sa main sur ma hanche. Il ouvre grands ses yeux. Il me regarde. Ma salive reste bloquée dans ma gorge. Mon cœur s’arrête un instant avant de battre rapidement. Mon visage se met à chauffer. Je me recule.

– Nous sommes arrivés.

Je descends de la voiture. J’ouvre le coffre pour prendre le sac à dos. Makoto me rejoint. Il prend le sien sans rien dire. Nous rejoignons le hall de l’hôtel. Un homme se trouve derrière le comptoir. Makoto échange avec lui. Il prend la clé qu’on lui tend. Il revient vers moi. La chambre est au premier étage du bâtiment. Makoto ouvre la porte. Il va tirer les rideaux pour faire entrer la lumière. La chambre est petite. Mais il y a un espace salon. Je pose le sac au pied du lit.

– J’avais demandé une chambre avec deux lits séparés…je vais retourner voir le réceptionniste.

– Je dormirai par terre.

Makoto se tourne vers moi. Ses sourcils se rapprochent l’un de l’autre. Les muscles de son visage se contractent.

– Certainement pas ! Je vais demander une autre chambre.

– Non. Ce n’est qu’une nuit.

Je lui tourne le dos. J’entre dans la salle de bain. Je croise mon reflet dans le miroir. Je me regarde. Devrais-je ressentir quelque chose en me voyant ? Je ne sais pas. Je retourne dans la chambre. Makoto s’est allongé sur le lit.

– Tu prendras le lit, je dormirais par terre.

Je hausse les épaules. Peu importe. Je m’assois sur le fauteuil. Je regarde devant moi. Et j’attends que le temps passe.

– Tu sais que tu fais flipper à rester statique comme ça ?

Je ne réagis pas.

– Pourquoi est-ce que tu restes comme ça sans bouger ?

– J’attends.

– Tu attends quoi ?

– Que nous partions à l’audition.

– Mais c’est dans 2h, tu vas rester comme ça pendant 2h ?

– Oui

Makoto apparaît devant moi. Il s’assoit sur la table basse.

– Comment fais-tu ?

– Pour ?

– Rester assise sans bouger ? On dirait une statue.

– J’attends.

Il passe sa main dans ses cheveux sombre.

– On ne peut pas attendre comme ça. Au bout d’un moment tu ressens forcément un excès d’énergie, une pulsion qui te donne envie de bouger, de parler, de faire quelque chose !

– Non.

– Tu es vraiment bizarre.

– Je sais.

Je me lève. J’entends Makoto soupirer.

– Pardon Manon, je ne voulais pas dire que tu…

– Je sais.

Une heure passe. Makoto marche dans la chambre. Il tape des pieds. Il fait des bruits avec sa bouche. Moi je reste assise sans bouger.

– On va aller manger avant que l’audition commence. On visitera un peu la ville après, ça te va.

Je ne réponds pas. Je me lève. Je prends le sac à dos. Je le passe sur mes épaules. Nous quittons la chambre.

– Tu peux répondre, tu sais ? Dire « ok » ou « oui ça me va ». J’ai l’impression de parler dans le vide sinon…

– D’accord.

Ses lèvres s’étirent vers le haut. Je vois ses dents.

– Qu’est-ce que c’est ?

– De ?

– Ce que tu fais ?

Il me regarde sans comprendre.

– Tes lèvres. Elles s’étirent vers le haut. Je vois parfois tes dents. Est-ce une expression ?

– Je…

Je suis en bas des escaliers. Makoto est toujours en haut. Il a arrêté ses gestes. Il secoue rapidement la tête avant de me rejoindre. J’attends une réponse. Mais il ne m’en donne pas. Je lui tourne le dos. Je continue à marcher sans lui. Il me rattrape. Il me force à m’arrêter.

– Je…je suis surpris. Sue m’a expliqué, mais je n’avais pas vraiment réalisé. Ça me semble tellement banal ce genre de petite chose que je ne pense pas que c’est difficile pour toi qui es…

– Malade.

– Différente.

Je hausse les épaules.

– Pour te répondre, il s’agit d’un sourire. Tu peux sourire quand tu es joyeux, quand quelque chose te fait rire et plein d’autres choses. Il existe plusieurs sourires pour exprimer des émotions diverses. Comme les sourires forcés, gênés, chaleureux, taquins et tant d’autres.

– Merci.

– Avec plaisir !

Makoto me…sourit. Le mot me semble étranger. Mais je veux m’en servir. Je veux pouvoir l’utiliser. Le comprendre.

Nous marchons jusqu’à une crêperie. La réceptionniste nous installe à une table extérieure. Makoto est assis en face de moi. Il regarde la carte. Je regarde le paysage autour de moi. Il y a beaucoup de personnes. Certains sont à pied. D’autres avec des rollers. Ou un skate. Un groupe de jeune homme passe à côté de nous. Ils portent sous leur bras une planche de surf. J’avais une planche aussi. Il y a longtemps. C’était avant l’incident.

Makoto me tend la carte. Je ne la regarde pas.

– Tu n’aimes pas les crêpes ? Tu veux aller ailleurs ?

– Non.

– Alors tu sais déjà ce que tu vas prendre ?

– Non.

Il me regarde sans comprendre. Je soupire. Pourquoi les personnes veulent-elles toujours des réponses développées ?

– Je mange pour manger. La nourriture n’a pas de saveur pour moi.

– Tu n’aimes pas la nourriture ?

– Je ne sais pas ce qu’est « aimer ».

Sa bouche forme un « o ». Puis il baisse les yeux sur son assiette vide.

– Avant je mangeais souvent la même nourriture. D’autres étaient plus difficiles à manger. Le goût n’était pas…

– Bon.

Je hoche la tête. Je ne comprends pas le mot. Je suppose que c’était celui-là que je cherchais.

– Qu’est-ce qui a changé ?

– Tout.

– Pourquoi ne fais-tu plus la différence entre ce que tu aimes manger et ce que tu n’aimes pas manger ?

– Je suis tombée malade.

Makoto ouvre la bouche. Je ferme les yeux. Mon cœur se serre en attendant qu’il prononce les mots. Mais il ne dit rien. Je le regarde. Il me regarde. J’ouvre à mon tour la bouche. La serveuse arrive à ce moment. Makoto lui donne sa commande. Je prends la même chose.

La femme repart. Le silence revient.


Texte publié par Aihle S. Baye, 9 février 2023 à 11h10
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