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tome 1, Chapitre 16 « La confrontation » tome 1, Chapitre 16

Dimanche 26 septembre 2021 – Makoto

Je contemple le plafond de la chambre en soupirant. Je prends un oreiller, le lance et le rattrape à bout de bras. J’essaye de faire passer le temps comme je peux, mais sans succès. J’ai l’impression que les minutes sont des heures. Je n’arrive pas à me concentrer sur quelque chose tellement je suis excité à l’approche du week-end prochain. Hier, les contacts d’Isaac de Miami m’ont envoyé un message pour m’annoncer que j’avais été retenu pour passer une audition de danse. J’ai attendu ce jour depuis que je suis parti de l’Afrique, maintenant qu’il arrive à grands pas, je n’arrive plus à me canaliser et à me concentrer sur quelque chose. Je pourrais sortir de la maison, prendre l’air, aller à la plage, mais la solitude commence à me peser. J’ai eu l’espoir que Manon retournerait faire une course de rue ce week-end, mais elle est sagement restée à la maison. J’aurais aimé revoir son visage et son regard s’animer de nouveau, malheureusement depuis notre escapade de la semaine dernière elle est redevenue la jeune femme hermétique à toute chose. Elle semble vide de toute humanité, c’est extrêmement déroutant et je peine à croire qu’il s’agissait de la même personne. Pourtant, son manque de réaction me fascine, j’ai le désir de la comprendre, d’apprendre à la connaître. Durant cette course, Manon a attisé la curiosité que j’avais toujours eue, mais qui s’est effacée à mesure que les années sont passées. Elle a fait renaître quelque chose en moi, quelque chose de puissant et qui me donne envie de tout faire pour atteindre mes rêves.

Le claquement d’une portière me tire de mes pensées. Je repose l’oreiller et me redresse jusqu’à la fenêtre. C’est Sue qui est rentrée avec les courses. Je me dépêche de rejoindre le hall, de mettre des chaussures et de l’aider à décharger. Je prends le sac des mains de ma belle-mère qui s’incline légèrement devant moi pour me remercier et tente un sourire qui n’atteint pas ses yeux. Je lui tourne le dos et soupire de la voir ainsi. Elle tombe petit à petit dans une profonde déprime et j’ai peur qu’elle ne s’en relève pas. J’aimerais pouvoir trouver les mots pour la rassurer, la réconforter, mais je ne suis que son beau-fils par alliance et je ne connais pas l’histoire de sa famille. Comment pourrais-je lui venir en aide ?

Je n’arrive toujours pas à cerner le comportement de Manon. Pourquoi se donne-t-elle autant de mal pour ignorer sa mère qu’elle n’a pas vue depuis des années ? Qu’elle soit en colère contre elle les premiers jours, je le conçois, mais nous sommes arrivés depuis un moment et rien n’a changé. Manon ne lui adresse la parole que lorsqu’elle y est véritablement obligée. Je sais que je ne suis pas le mieux placé pour lui faire la morale, car la relation que j’entretiens avec mon paternel n’est pas mieux, mais Sue est en train de dépérir.

Le problème ne s’arrête pas à Manon, même Norman ne fait guère d’effort pour accommoder son ex-femme, alors que c’est lui qui l’a fait venir. Je n’arrive plus à rester dans la même pièce qu’eux deux, ça devient trop tendu. J’ai l’impression qu’ils se rendent mutuellement responsables du comportement de Manon, les regards qu’ils s’échangent sont éloquents et ne font qu’accroître le malheur de ma belle-mère. J’ai bien remarqué que depuis que nous sommes là Norman en profite pour s’absenter de la maison. Il est rarement présent, il a certes un boulot prenant, mais je vois bien qu’il évite soigneusement Manon et Sue.

Je suis épuisé par cette situation. Je prends sur moi pour ne pas intervenir et dire ce que je pense, mais à force je ne vais plus en être capable. Je suis venu ici pour échapper à Tenshi et à l’Afrique, mais parfois j’en viendrais presque à regretter d’être partie de l’Ouganda.

Sue me rejoint dans la cuisine et nous rangeons les courses. J’attends qu’elle dise quelque chose, qu’elle entame la conversation comme elle le fait habituellement, mais elle reste murée dans le silence.

– Sue ?

Ma belle-mère ne semble pas m’avoir entendu. Son visage est fermé, elle est totalement déconnectée de la réalité.

– Sue ?

– Hm ?

Elle relève légèrement la tête vers moi. J’affiche un sourire rassurant sur mon visage en m’approchant doucement d’elle. Je pose délicatement ma main sur son épaule et elle se met à pleurer. Sue s’écarte de moi, essuie ses joues et me renvoie un sourire rayonnant, mais je ne suis pas si dupe. Elle se remet tranquillement à ranger le reste des courses et je décide de la laisser un peu tranquille. Je serre doucement son épaule avant de quitter la cuisine pour aller mettre une tenue de sport.

Je sors courir pour me défouler et libérer toutes les tensions de mon corps. Je rentre à la maison tard, j’ai juste le temps de prendre ma douche avant que nous passions à table. Je rejoins la cuisine d’un pas traînant, je n’ai aucune envie d’assister à un énième repas en compagnie de toute la famille, je ne supporte plus le silence. Je n’ai pas la force de regarder qui que ce soit, ni même de faire la conversation.

Alors nous mangeons avec comme seul bruit ceux des couverts, je me retiens de taper mon poing sur la table et de piquer une crise. Je quitte finalement la table avant Manon et rejoins ma chambre dans pas lourd. Je m’allonge sur le lit et lance une vidéo sur mon ordinateur. Le temps passe, le film se termine et je décide d’aller prendre quelque chose à grignoter dans la cuisine. Je traverse le couloir sans prêter attention aux bruits environnants, jusqu’à ce que je surprenne un échange entre Sue et Norman. Je me tiens contre le mur et tends l’oreille.

– Je n’en peux plus Norman, il faut que je rentre en Afrique.

– Tu es prête à repartir et laisser ta fille dans cet état ?

– Mais quel état Norman ? Quel état ! Elle ne me parle pas, elle ne me regarde même pas !

– Elle est ta fille !

– Je ne la reconnais pas…

– À qui la faute ?

J’entends ma belle-mère étouffer un sanglot. Je ne bouge pas et continue d’écouter, le cœur battant.

– Tu m’as fait venir ici parce que tu avais besoin d’aide, sauf que je ne peux pas t’aider, je ne peux pas l’aider.

– Dis plutôt que tu ne veux pas l’aider !

– Comment oses-tu ? C’est ta fille aussi, Norman !

– Oui et moi je ne l’ai pas abandonné.

– Tu es injuste, ça…

– Moi injuste ? Tu t’es sauvée dès que tu en as eu l’occasion pour refaire ta vie en Afrique, tu as tiré un trait sur tout ce qui s’est passé ! Tu m’as laissé seul, seul avec Manon !

– Ça n’a rien à voir et tu le sais très bien !

Norman laisse échapper un petit rire qui me glace le sang. Je devrais retourner dans ma chambre, mais je ne peux pas m’y résoudre. Pour la première fois, les parents de Manon cessent de se murer dans le silence et je suis trop impliqué dans leur histoire pour tourner gentiment des talons, je veux comprendre ce qui se passe.

– Ça a tout à voir ! Tu as préféré fuir plutôt que faire face à la réalité !

La gifle que Sue donne à Norman raisonne dans toute la maison, des frissons me traversent de toute part. Je cesse de respirer jusqu’à ce que la voix de ma belle-mère reprenne :

– Manon a besoin d’aide, une aide qu’on ne peut pas lui apporter. Elle doit être prise en charge par des personnes compétentes.

– Tu veux l’envoyer dans un centre psychiatrique ? Elle n’est pas folle, Sue ! Elle est malade !

– Sa maladie est psychologie, il lui faut l’aide adaptée que seul un centre peut lui fournir.

– Te rends-tu compte de ce que tu es en train de dire ? On parle de notre fille, de NOTRE FILLE !

– C’est la seule solution.

– Non. Ça, c’est ta solution, celle de la facilité, celle qui te décharge de toutes responsabilités. Je t’en prie Sue, rentre en Afrique, je n’ai finalement pas besoin de toi ici et Manon non plus. On se débrouillera très bien sans toi, mais sache que jamais je ne l’abandonnerais comme tu sais si bien le faire !

Je serre les dents en attendant que le bruit d’une nouvelle claque résonne, mais seul le bruit des pas me parvient. Pris de panique, je me réfugie dans ma chambre. J’entends deux portes claquer à quelques secondes d’intervalle. Je reprends ma respiration en m’appuyant contre la porte de la chambre, l’esprit en ébullition.


Texte publié par Aihle S. Baye, 7 février 2023 à 16h02
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