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tome 1, Chapitre 12 « La goutte d'eau » tome 1, Chapitre 12

Note de l'auteure :⚠️Les chapitres de Manon sont difficiles à lire : phrases courtes, informelles avec un vocabulaire peu enrichi et les actions très décrites. Le personnage voit le monde différemment des autres personnes, les émotions/sentiments lui sont étrangers. Merci de prendre en compte ces informations durant votre lecture.

Mardi 31 août 2021 - Manon

J’ouvre les yeux sur le plafond blanc de la chambre. Le réveil n’a pas encore sonné. Mais j’entends les chiens aboyer. Je tire la couverture. Je pose mes pieds sur le parquet froid. Je vais m’habiller avant de rejoindre la cuisine.

– Salut.

Je lève la tête sans répondre. Un garçon est assis à la table. Les chiens s’approchent de moi. Je gratte le sommet de leur tête. J’ouvre le placard. Je prends le sac de croquettes. Je remplis les gamelles. Je verse de l’eau dans les deux autres. Les chiens me regardent. Ils attendent l’autorisation. Je hoche la tête.

Je vais prendre un bol dans le placard. Je le remplis de céréales. Puis de lait. Je m’installe à la table. Le garçon me regarde. Je ne lève pas la tête vers lui. Je mange en silence.

J’entends des pas qui s’approchent.

– Salut Sue !

– Bonjour les enfants ! Vous allez bien ?

– Ça va et toi ?

– Très bien, merci Makoto !

Makoto ? Est-ce le garçon qui était au restaurant hier ? Je ne me rappelle pas. Qu’a dit mon père à son sujet ? Il est le fils du mari ? Je ne sais pas. Je ne perçois que des bouts de souvenirs. Sue s’installe à la table avec une tasse de café.

– Ton père est déjà parti au travail, il a été appelé en urgence. Je vais donc t’emmener à l’université.

Ma main s’arrête. Mes doigts se serrent autour de la cuillère. Ma mâchoire se contracte. Mon père n’est jamais appelé en urgence. Il est astronaute. Il a des horaires d’entraînements fixes. Est-il parti plus tôt pour ne pas me voir ? Mon cœur se serre. Mes yeux me piquent. Je me lève sans même finir le bol. Je quitte la cuisine sans rien dire. Je vais récupérer le sac à dos dans la chambre. Puis je vais mettre des chaussures. Je les entends parler depuis le hall. Mes yeux se posent sur les clés accrochées au mur. Je le prends. Je rejoins le garage. Je monte dans une Lexus UX rouge vif. C’est une voiture intéressante. Elle a de bonnes capacités. J’ouvre le portail à l’aide d’une télécommande. Je sors du garage. La porte d’entrée s’ouvre. Sue s’avance. Sa bouche s’ouvre. Je n’entends pas ce qu’elle dit. Je ne veux pas entendre. Je la fixe droit dans les yeux. Elle s’avance vers la voiture. Mais je prends la route avant qu’elle n’ait le temps d’ouvrir la portière.

Je me gare sur le parking de l’université. Je rejoins le hall principal. Les emplois du temps y sont affichés. J’ai un changement. Le cours de japonais est annulé. Celui d’astronomie est avancé. Et j’ai une heure d’activités créatives après la pause déjeuner. Je soupire. Je ne comprends pas pourquoi je dois aller à ce cours. Je n’arrive pas à faire ce qui est demandé. Je fais demi-tour pour rejoindre l’autre bout du campus. Un ballon ovale arrive à mes pieds.

– Mec, fais attention !

– Désolé !

Je lève la tête. Éric se tient devant moi. Il récupère le ballon.

– Salut Manon ! Ça va ? Excuse-le, il ne sait pas viser !

– Je t’ai entendu !

– Alors ça va ?

Je ne réponds pas. Je le regarde droit dans les yeux.

– Je sens que quelque chose ne va pas. Tu veux m’en parler ?

Je regarde derrière l’épaule d’Éric. Le garçon donne des coups de pied dans l’herbe en soupirant.

– Éric dépêche-toi !

– Attends !

– Envoie au moins la balle si tu veux continuer à draguer !

Les autres garçons se mettent à rire. Les joues d’Éric deviennent rouges. Il détourne le regard de moi. Je n’ai pourtant rien dit. Pourquoi agissent-ils tous comme ça avec moi ? C’est parce que je suis un monstre ?

Il redonne le ballon. Il pose sa main sur mon bras. Je m’écarte de sa prise. Éric baisse la tête.

– Alors ?

– Sue est revenue.

– Putain de merde !

– Avec son beau-fils.

– Donc ton demi-frère.

Je hoche la tête.

– Pourquoi est-elle revenue ? C’est à cause de l’arrestation ? Ton père l’a appelé ?

Je ne réponds pas. Je ne peux pas. Une boule se forme dans ma gorge. Je n’arrive plus à parler. Éric presse sa main sur mon épaule. Je ne le regarde plus. Je regarde l’horizon.

– Je suis là si tu as besoin.

Je reprends mon chemin sans rien ajouter. Je connais Éric depuis longtemps. Nous avons fait notre scolarité ensemble. Il m’a connu avant l’incident. Il m’a connu avant mon alexithymie. Il m’a connu avec des émotions. Il m’a connu normal. Charlie me dit de lui parler. Elle pense que ça pourrait m’aider. Je ne sais pas comment. Je ne veux pas parler.

La sonnerie retentit. Je rejoins la salle de classe au troisième étage du bâtiment des sciences. Je m’installe à une place au fond. Je sors l’ordinateur du sac. Je l’allume. Les autres élèves s’installent. Nous attendons le professeur.

– Bonjour à tous ! Aujourd’hui, on va réviser vos planètes.

Durant une heure, le professeur nous fait réviser. Je ne participe pas. Sauf que je suis interrogée. Je reste silencieuse. Je connais pourtant toutes les réponses.

Il nous donne dix minutes de pauses. Je ne sors pas de la salle. J’attends sans bouger.

– Ça suffit, la pause est finie !

– On révise les étoiles maintenant, monsieur ?

– Non, j’ai des informations à vous transmettre. La direction et moi-même avons obtenu une visite guidée à Cap Canaveral.

– La NASA ?

– Le site de lancement ?

– Exactement ! La visite se fera sur une journée. Nous n’avons pas encore la date précise, mais ça devrait être d’ici deux ou trois semaines, voire peut-être plus. Je vous tiendrais au courant.

Les étudiants échangent entre eux. Leurs lèvres s’étirent vers le haut. Je vois leurs yeux briller. Le professeur frappe dans ses mains. Le cours reprend. Mais les élèves n’arrêtent pas de parler. Le professeur nous laisse partir quinze minutes plus tôt. Je range mes affaires. Les autres sont déjà tous sortis de la salle. Je m’avance jusqu’à la porte.

– Manon ?

Je me tourne vers le professeur.

– Je tiens à remercier ton père, sans lui, nous n’aurions jamais pu obtenir une visite sur le site.

Sans répondre. Je quitte la classe. Je sors dehors. Je marche jusqu’au bâtiment des arts. Je rejoins l’atelier. Je m’installe derrière un chevalet en soupirant. Je ne veux pas être ici. Cette option m’a été imposée par Charlie. Je ne sais jamais quoi faire dans ce cours. Je vois les autres étudiants prendre des pinceaux. Ils les plongent dans la peinture. Et ils font des traits sur la toile. Moi ma toile reste blanche.

Le cours a commencé depuis dix minutes. Le professeur arrive derrière moi.

– Tu ne dessines pas ?

Je ne réponds pas.

– Si l’exercice est trop compliqué pour toi, tu peux me dessiner ce que tu ressens.

Il s’éloigne. Je ne bouge pas. Je reste droite. Figée.

La sonnerie retentit. Les élèves se lèvent. Ils apportent leurs toiles au professeur. Je prends la mienne. Je m’approche du bureau. Je suis la dernière dans la classe. Je pose la toile sur le chevalet à côté du meuble.

– Manon, tu dois faire des efforts. Je t’ai demandé de me dessiner ce que tu ressentais. Or là, il n’y a rien. Je vais devoir te mettre zéro, je suis désolé.

– J’ai fait ce que vous m’avez demandé.

– Non, ta toile est vierge. Je t’ai demandé d’exprimer ce que tu ressentais, tu n’as rien fait. Je considère ça comme un refus de travail.

– Je ne ressens rien.

– Tout le monde ressent quelque chose, Manon. Ce n’est pas une excuse recevable. Tu auras zéro, tant pis pour toi.

Je le regarde. Je ne comprends pas. J’ai fait ce qu’il m’a demandé. Pourquoi me met-il zéro ? Je ne peux pas dessiner ce que je ressens. Je ne ressens rien. Pourquoi il ne le comprend pas ? Je reste debout devant son bureau.

– Je ne reviendrais pas sur la note, Manon. Si tu n’es pas satisfaite, tu peux aller te plaindre à la directrice. Maintenant sort, j’ai un autre cours qui va commencer.

Les traits de son visage sont plus durs. J’entends les voix des étudiants qui approchent. Je tourne le dos au professeur. Je quitte l’atelier. Je rejoins le parking. Je monte dans la voiture. Je prends la route. Je ne sais pas où je vais. Je m’insère sur la route principale. Celle en périphérie de la mer. Je tourne à droite. La sortie m’emmène jusqu’au bord de la plage. Je gare la voiture le long d’un trottoir. Je coupe le contact. Je reste assise derrière le volant. Mes yeux regardent l’océan. Quelque chose grossit à l’intérieur de moi.

Mon estomac se contracte. Ma cage thoracique se serre. Je touche mes joues. Elles sont humides de larmes. Je m’essuie les yeux. Mais les larmes coulent toujours. Je n’arrive plus à voir devant moi. Ma main se place sur ma poitrine. J’essaye de l’ouvrir. Pour enlever ce qu’il y a l’intérieur. Je me penche en avant. Mon front repose sur le volant. Les larmes continuent de couler. Je ne comprends pas ce qui m’arrive.

Je dois sortir. Il faut que je sorte. La ceinture ne veut pas se décrocher. Je tire dessus. Elle ne veut pas s’enlever. Les larmes coulent. Je n’arrive plus à respirer. Il faut que je sorte. Il me faut de l’air. Je tire encore sur la ceinture. Elle se décroche. J’ouvre la portière. Je prends le sac à dos avec moi. Je descends de la voiture. Je marche en direction de la plage. Je n’arrive pas à respirer. Mes mains tremblent. Ma poitrine est comprimée. J’avance sur le sable. Je trébuche. Les larmes redoublent. Ma gorge émet des bruits aigus. Je ne les contrôle pas. Je ne contrôle rien. Je prends de grandes inspirations. Mais ça ne change rien. Je n’arrive pas à respirer. Vais-je mourir ? La mort ressemble à ça ?

Une main se pose sur mon épaule. Quelqu’un essaye de me remettre debout. Je repousse la personne. Je retombe sur le sable. Des bras m’encerclent. Une main me force à poser ma tête sur une épaule. J’essaye de résister. Mais je n’y arrive pas.

– Chut… ça va aller. Je suis là. Respire Manon, ça va aller. Tout va bien.

C’est une voix masculine. Je me concentre dessus. Elle est contrôlée. Ma respiration ralentit.

– Ça va aller. Respire calmement. Tout va bien.

J’ai déjà entendu cette voix. Elle a un accent prononcé. Mon corps se balance légèrement de droite à gauche. Mes paupières se ferment. Les larmes s’arrêtent. Je prends de grandes respirations. Ma cage thoracique se relâche. Mon estomac aussi. Je sens le vide habituel revenir. J’ouvre les yeux. Je regarde l’océan qui s’étend. Je me redresse.

– Laisse-moi t’aider.

L’homme se remet debout. Il me tend ses mains. Je ne les prends pas. Je me lève seule. J’enlève le sable de mes vêtements. Je lève la tête vers l’homme. Il passe sa main dans ses cheveux lisses.

– Ça va ?

Je le regarde. Je le reconnais. Il était assis à la table de la cuisine ce matin. Comment s’appelle-t-il ? Je ne sais plus. Je ne m’en souviens pas. Mes yeux se posent sur son visage lisse. Sans imperfection. Puis je vois la cicatrice qui barre sa joue. Je détourne le regard. Je penche le haut de mon corps en avant. En signe de respect. Il fait de même.

Je remets le sac à dos sur mes épaules. Je tourne le dos au garçon. Je marche en direction de la voiture. J’entends des pas derrière moi. Je ne me retourne pas. Je déverrouille la voiture.

– Ça te dit d’aller manger ? Toi je ne sais pas, mais moi j’ai la dalle !

Je le regarde. Je réfléchis. Je hoche la tête. Ses lèvres s’étirent légèrement. Je monte dans la voiture. Je démarre. J’attends qu’il s’attache avant de prendre la route. Pourquoi ai-je accepté ? Je sens un creux dans mon estomac. Je dois le combler. La nourriture le comble. C’est pour ça que j’ai accepté.

– Quel est le meilleur endroit pour se régaler ici ?

Je prends la route sans lui répondre. Je me gare dix minutes plus tard devant une devanture jaune. Des fleurs sont placées derrière une baie vitrée. Je vois des livres. Les rideaux sont rassemblés par une accroche.

Je descends. Je me tourne vers le garçon. Il regarde le bâtiment. Ses sourcils se rapprochent. Ses lèvres sont serrées. J’entre dans le restaurant. Une clochette retentit. Le bruit des couverts résonne dans la pièce. De nombreuses personnes sont assises. Elles parlent entre elles.

La propriétaire des lieux arrive vers moi.

– Manon ! Comme ça me fait plaisir de te voir !

– Bonjour madame Walker.

– Je t’en prie appelle-moi Mona. Tu ne viens plus à la maison, tout va bien avec Éric ?

– Je suis privée de sortie.

– Je vois ça !

Elle émet un petit bruit aigu en regardant le garçon à côté de moi. Elle couvre sa bouche de sa main.

– Enchantée, je suis Mona !

– Bonjour. Moi c’est Makoto.

Mona étire ses lèvres en me regardant.

– À emporter ?

– Oui.

– Même commande que d’habitude ?

Je hoche simplement la tête.

– Je vous apporte ça.

J’attends. Puis Mona revient avec la commande.

– Tiens, bon appétit !

Je sors le téléphone du sac. J’ouvre l’application bancaire. Je pose le téléphone sur le socle que Mona me tend. Le paiement se fait instantanément. Je quitte le restaurant au son de la cloche. Je traverse la route. Je m’assois sur un banc. Face à la mer. Le garçon…non. Makoto s’assoit à côté de moi.

– Tu ne voulais pas manger à l’intérieur ?

– Non.

– Qu'est-ce que tu nous as pris ?

Je ne réponds pas. Il ouvre son sac. Il prend le sandwich.

– Un kebab ? Sérieusement ?

Je croque dans le mien. Makoto fait pareil. Je vois ses yeux briller.

– C’est délicieux ! Je n’en ai jamais mangé d’aussi bon !

Mona est la mère d’Éric. Elle tient le restaurant depuis longtemps. Elle fait les meilleurs kebabs de la ville. Et les meilleurs desserts. Je sais que ce sont les meilleurs. Même si aujourd’hui je ne sais plus ce que veut dire ce mot. Parfois je me souviens de ce que s’était d’apprécier la nourriture. Aujourd’hui c’est simplement de la nourriture. Je ne fais plus la différence entre le meilleur et le moins bon. Tout est devenu fade.

Je finis de manger avant Makoto. Je jette les déchets dans la poubelle. Je prends le sac à dos. Je me dirige vers la voiture.

– Eh !

Je ne me retourne pas. Je monte dans la voiture. Une alarme retentit sur le téléphone. Je l’éteins. J’allume le moteur. Makoto marche vers moi. Je m’insère sur la route avant qu’il arrive à ma hauteur.

Je m’arrête devant l’hôpital. Je rejoins le cabinet de Charlie. J’appuie sur le bouton pour signaler ma présence. Je m’assois sur une chaise. J’attends.


Texte publié par Aihle S. Baye, 29 janvier 2023 à 10h45
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