Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 9 « Chapitre 9 - Etat d'urgence » tome 1, Chapitre 9

Luce laissa les mots retomber et s’imprégner dans son esprit.

Jusque là, elle avait fait en sorte de ne pas y penser plus que ça.

Vincent, c’était Vincent.

Un mec taciturne au regard souvent insondable, à l’humour parfois caustique, mais qui ne reculerait devant rien pour défendre les gens auxquels il tient. L’amitié, la fraternité même, qui le lie à Lou en était la preuve la plus flagrante.

C’était celui qui l’avait sauvé, celui qui veillait sur elle et qui semblait la capter le mieux, malgré cette distance qu’il maintenait toujours.

Mais leur petite session lui avait ouvert les yeux sur quelque chose qu’elle ne pouvait plus ignorer.

Et la première chose qu’elle se demandait, c’est ce qu’elle pouvait faire pour lui faciliter la vie…

Parce que honnêtement, ça l’emmerderait de ne plus pouvoir le compter dans la liste restreinte de ses personnes de confiance.

Certains diront que deux mois, ce n’était pas une durée suffisante pour confier aveuglément sa vie à quelqu’un, et ils auraient raison. Elle n’aurait jamais fait ça non plus…

Avant de voir la mort de près, deux fois.

Avant de se rendre compte d’à quel point elle était seule.

Avant de jeter un œil derrière le rideau.

Lou et Vincent avaient toujours été directs et honnêtes avec elle sur le merdier qui planait sur elle. Il lui manquait encore plein de choses à comprendre, mais elle savait qu’il lui suffisait de demander pour avoir une réponse.

Tout était fait à son rythme, et elle ne savait pas comment faire pour rendre la bienveillance dont ils faisaient preuve envers elle.

Mouais, en même temps, le monde est fichu si tu te fais choper…

Elle avait envie de gifler la voix qui remontait à la surface pour noircir le tableau.

Parce qu’objectivement, la meilleure manière pour être peinard, c'était de l’enfermer à double tour pour perpét’.

Ou de la tuer directement.

Plus d’emmerdes et de complications, non ?

Et pourtant, ils ont fait le choix de la laisser aller au boulot, d’habiter son appartement… de juste vivre sa vie, en fait.

Alors si elle pouvait faire quoique ce soit pour leur faciliter la tâche…

Elle inspira, et prit son courage à demain pour se placer devant lui, et le Vincent dans les yeux.

- Je sais… et je sais pas en même temps. Pour moi, tu es juste toi. Tu es celui à qui je dois la vie, je te rappelle.

Le jeune homme soupira d’un air presque dépité. Il aurait dû s’attendre à ce genre de réplique…

- Je te vois ce que tu vas dire, que t’es quand même dangereux, que je dois toujours être sur mes gardes, na na na…

- C’est juste la vérité, en fait. Il faut que tu le saches. J’ai eu beau boire une dose juste avant qu’on commence, le quart d’heure d’entraînement me fait réagir comme une bête!

- Tu ne m’as pas touchée, Vincent! Je ne dis pas que c’est rien, que c’est pas difficile à faire…. parce que j’en sais rien, au final. Mais tu m’as pas attaquée. Ne rends pas la situation plus grave qu’elle n’est…

Elle leva les yeux aux ciels, ses propres épaules s’affaissant d’un air découragé.

-Je suis mal placée pour te critiquer là-dessus, mais passons…De toute façon, on va pas pouvoir s’éviter tout le temps. On est dans la même galère, et honnêtement, ça me rendrait triste.

Vincent écarquilla les yeux, et jaugea la sincérité de la jeune femme. Elle était sérieuse, entre ses yeux baissés, sa manière de cligner des paupières comme pour chasser l’émotion et la manière dont elle torturait les manches trop longues de son pull.

Il ne savait pas quoi penser de tout ça, et s'il y a une chose avec laquelle il avait du mal, c'était bien ça.

Cette attention. Cette sollicitude.

Il la recherchait et la fuyait en même temps. Et il ne savait surtout pas comment y répondre.

-Je…

Il devait dire quelque chose, il le sentait.

Mais quoi? La vérité? Un truc de circonstance?

Qu’est-ce que Lou lui conseillerait, hein?

Il le savait très bien.

- Merci de… de dire ça, vraiment. Et… Et j’apprécie aussi ta compagnie. Mais je ne sais pas comment faire pour…

Purée, il détestait vraiment quand il cherchait ses mots comme ça. Encore une fois, il n’y avait que Lou qui arrivait à le faire douter comme ça et bafouiller comme un ado.

Jusqu’à ce qu’elle débarque, tout du moins.

Ils étaient pas comme culs et chemise pour rien !

La place qu’elle avait pris dans sa vie lui faisait tourner la tête. De simple cible lointaine à surveiller depuis qu’il avait rejoint les Sentinelles, elle était devenue une partie de son quotidien, quelqu’un vibrant d’émotions avec ses doutes et sa lumière.

Et il ne s’en remettrait pas si quelque chose lui arrivait par sa faute à lui.

Luce s’éloigna de quelques pas pour remettre ses chaussures, et pour laisser le temps à son interlocuteur de se rassembler.

Elle ne l’avait jamais vraiment vu perdre ses moyens, et elle n’osait pas insister ou creuser plus…

Ils se connaissaient tout en ne se connaissant pas, et elle n’avait jamais été très douée pour réconforter les gens, et…

-Je te promets de ne pas m’évanouir dans les airs. Et d’essayer de te dire quand c’est…. quand c’est trop. On a pas trente-six solutions. Je suis le seul qui peut te protéger efficacement, à cause de…

Et la manière résignée avec laquelle il désigna ses yeux, qui reprenaient peu à peu une couleur normale, fendit le cœur de Luce.

-Merci… Et si je peux faire quoique ce soit pour rendre… tout ça… plus facile…

A peine étaient-ils sortis de la salle d’entraînement qu’une vieille sonnerie retentit, faisant froncer Vincent des sourcils en sortant son antiquité de téléphone.

-Mika?

-Là…. dans cinq…. minutes. Deux blessés.

-Ok.

Luce restait interdite deux pas derrière lui, et l’expression qu’elle avait lue sur son visage ne lui plaisait absolument pas. Elle se retint de demander ce qu’il se passait quand sa voix grave résonna dans l’open-space.

-L’expédition du Sacré Cœur revient avec deux blessés. Je suis responsable de la défense du QG jusqu’à nouvel ordre.

Des murmures étonnés parcouraient la salle durant quelques secondes, l’incertitude imprégnée dans les visages, avant qu’il poursuive sa harangue.

- J’ai besoin que l’infirmerie soit opérationnelle dans trois minutes, et d’une équipe de trois ou quatre pour assurer la sécurité des blessés.

L’équipe d’une dizaine de personnes se mit en marche, abandonnant les tâches de tri et d’étiquetage de matériel pour se diriger vers la pièce sécurisée qui se trouvait au milieu de la rangée de cinq, alors que deux hommes s’approchaient de Vincent qui s’avançait déjà vers une autre pièce, Luce sur ses talons.

- Volontaire pour assurer la sécurité de l’entrée.

- Pareil.

Vincent hocha la tête en les remerciant, et se tourna vers le reste du personnel qui rassemblait déjà le matériel dans l’infirmerie.

- Gwen, est-ce que tu veux bien te joindre à nous? Tes compétences en combat pourraient nous être précieuses.

La jeune femme interpellé releva la tête d’un air presque craintif, et pointa un doigt vers son propre visage.

- Moi? Sé… sérieux?

- Tu es bien meilleure que tu ne le penses: on va avoir besoin de quelqu’un qui sait se battre au corps-à-corps.

Les yeux toujours écarquillés de surprise mais un air plus confiant sur le visage, Gwen acquiesça, rejoignant les deux autres combattants dans la salle d’équipement qui jouxtait la salle d’entraînement.

Luce, toujours immobile et silencieuse, se sentait sonnée à la fois par la nouvelle et par l’aura d’autorité émanant de Vincent. Elle avait vu les regards de travers qui lui étaient jetés depuis qu’ils avaient mis un pied dans cette partie du QG. Et visiblement, le fait de l’avoir au commande ne plaisait pas à tout le monde, si elle se fiait à la méfiance et la crainte qu’elle avait ressenti en voyant passer près d’elle les deux jeunes femmes qui chapeautaient à présent l’infirmerie.

Elle avait toujours eu l’impression qu’il cherchait à se rendre invisible aux yeux des autres lors des rares interactions qu’elle avait pu observer entre Sentinelles.

Elle se souvint avoir ressenti un certain soulagement en voyant l’amitié qui le liait avec Lou, parce qu’autrement…

Vincent serait seul au monde.

Putain. Pourvu que Lou soit sain et sauf.

-Luce?

Elle secoua la tête brièvement, sa voix la rappelant au chaos organisé, chaque paire de mains affairée…Sauf la sienne.

Vincent contemplait depuis une bonne minute la meilleure des solutions la concernant. Il était tenté de l’enfermer dans la salle d’entraînement, mais il savait qu’elle le prendrait mal… à raison. Mais si les poursuivants des cinq mages venaient à les rattraper, il allait avoir du mal à gérer la sécurité de tous…

-Je vais aider à l’infirmerie. C’est plus sûr. Ramène-les sans encombre.

Elle devait se rendre à l’évidence et être raisonnable… Si ça dégénérait en bas…

L’agaçante sonnerie vintage retentit à nouveau, et Vincent se dirigea vers la porte qui menait à l’escalier après avoir posé une main rassurante sur le bras de Luce.

Elle se força à reculer pour rejoindre les autres Sentinelles qui s’affairaient à préparer les deux brancards, laissant de côté l’impuissance qui la rongeait.

Elle devait faire son possible pour faciliter le sauvetage des deux mages blessés et éviter d’autres complications, même si son ego devait en prendre un coup.

Elle salua d’un sourire les trois volontaires pour accompagner Vincent, revêtus d’armures légères et chacun avec ce qu’elle présumait être leurs armes de prédilection. Gwen lui rendit son sourire en serrant ses deux poings gantés d’un air motivé, et elle lui lança deux pouces en l’air. Elle vit la silhouette de Vincent disparaître à travers la porte blindée avec son équipe, et se retourna vers l’infirmerie, aidant à déplacer un brancard, en priant pour la sécurité de tous.

-Changement de plan. L’entrée principale n’est pas sûre, on les récupère par la seconde.

-Hein?

-Mickaël m’a dit qu’ils étaient tombés sur des vampires au Sacré-Coeur. D’ici à ce qu’ils aient fait une diversion…

-Ils sont passés par le passage souterrain? demanda Gwen d’un air inquiet.

Vincent hocha la tête en vérifiant que l’accès au sous-sol était libre et sûr.

-Si un de vous pouvait jeter un sort de protection sur la porte et la barricader…

Un des volontaires, armé d’un fleuret, acquiesça et entreprit de faire léviter le bureau d’accueil contre la lourde porte en bois qui marquait l’entrée.

- Sort de détection?

- Je m’en occupe, renchérit le dernier des volontaires en commençant à psalmodier. Pas d’énergie magique ou de présence, la voie est libre…, ajouta-t-il après un court instant.

-Merci. Je prends l’avant-garde, tu fermes la marche, Gwen.

-Ok.

Vincent ouvrit la lourde porte de sécurité et s’engouffra dans la cage d’escalier qui menait au parking souterrain, ainsi qu’à l’accès personnel des Sentinelles au réseau de catacombes qui court sous la métropole parisienne.

Vincent laissa pour la première fois un frisson lui parcourir l’échine: Il était arrivé quelque chose à Lou, pour que ce soit Mickaël qui le contacte.

Il se força à rester concentré sur le plus urgent: les mettre tous en sécurité, leur apporter les soins nécessaires, et poutrer la tronche à leurs ennemis.

Simple.

Efficace.

Le passage, éclairé par des néons fatigués, passait progressivement du béton à la pierre, l’atmosphère saturée d’humidité et l’écho de leur pas pour seule ambiance sonore.

Vincent affûta son ouïe et son odorat au maximum: il ne laisserait pas un seul vampire compromettre la sécurité du QG ou bouffer son seul ami.

Le sol changea bientôt sous leurs pieds, signe qu’ils étaient arrivés dans les catacombes. Il détestait venir ici, bien trop de recoins et surtout, un bazar sans nom pour se repérer en situation d’urgence.

Il marqua une pause, intimant le silence et s’avançant seul jusqu’au croisement quelques mètres plus loin.

L’odeur du sang et de brûlé lui attaqua les narines, et un lointain murmure lui parvint aux oreilles.

-Lâc…. pas…. On…. presq….

-Ils sont à 500 mètres, par là, dit-il en pointant du doigt le couloir de gauche.

Ses trois camarades le rejoignirent au pas de course mais il était déjà loin, la voix de Mickaël de plus en plus limpide à mesure qu’il se rapprochait. Ils ne semblaient pas suivis, mais les odeurs de chair grillée lui donnaient envie de vomir et parasitaient tous ses sens, lui demandant un effort supplémentaire pour rester vigilant.

Un nouveau carrefour apparut dans son champ de vision, et la silhouette courbée de Mickaël, clopinant, se dessina dans la lumière blafarde des néons.

Il sentit son souffle s'accélérer et la peur se saisir de son cerveau.

Le jeune mage, qui semblait être blessé aussi, portait la silhouette dégingandée de Lou du mieux qu’il pouvait sur son dos, inerte. Ses vêtements étaient en partie vaporisés et sa peau marbrée d’un mélange de rouge vif et et cloques maronnasses, alors qu’une plaie béante saignait dans son dos, inondant de rouge les lambeaux de sa chemise canadienne.

En un instant, Vincent était près de Mickaël, le soulageant de son précieux fardeau et le soutenant à son tour alors qu’il chancelait, le souffle court.

-Vin…cent…

-Garde tes forces. Les autres arrivent.

Vincent se força à se concentrer sur le fin filet d’air qu’il sentait dans son cou, signe qu’il y avait encore un semblant de vie dans l’enveloppe corporelle de son meilleur ami.

Des milliers de questions se bousculaient dans sa tête.

Où sont les autres? Trois mages manquaient à l’appel, dont le bras droit de Lou. Ses relations avec Paul avaient beau être mauvaises, il n’était pas idiot au point d'ignorer l'importance qu’il avait en tant que membre des Sentinelles, et il restait son supérieur si quelque chose arrivait à Lou, dans tous les cas. Il espérait vraiment que le pire n’était pas arrivé, et qu’ils avaient dû se séparer pour s’échapper de ce qui leur était tombé dessus.

Mais comment Lou avait-il bien pu finir dans cet état ?

La balafre criait attaque de vampire, mais des brûlures de cet intensité…

Au bout d’un temps qui lui a semblé interminable, la silhouette des trois autres âmes vivantes dans ce recoin de catacombes apparurent enfin, et Gwen tapa un sprint pour le rejoindre et prendre le relais pour soutenir Mickaël.

-Merci Gwen, mais il serait plus sage que tu restes les mains libres. On n'est pas encore en totale sécurité.

Il prit un moment pour organiser son plan et le partager aux autres, l’envie de les laisser en plan et de courir à toute allure au QG pour que Lou soit enfin pris en charge le dévorant de l’intérieur.

- Vigilance maximale. C’est pas parce qu’ils n’ont pas l’air d’avoir été suivis que c’est réellement le cas. J’ouvre la route et on accélère le rythme.

Trois hochements de tête lui répondirent, et ils retracèrent leur chemin au pas de course, la vue du couloir remontant vers leur base déclenchant un soupir de soulagement collectif.

-On lâche rien! s’exclama Gwen en montant les marches.

-Deux minutes…

Vincent se tourna vers un des mages et en un regard, fit comprendre ce qu’il attendait. Une incantation et un pouce en l’air plus tard, et la lourde porte blindée s’ouvrait sur le hall, l’entrée toujours barricadée, le silence presque pesant.

En bon pessimiste, Vincent ne pouvait pas s’empêcher de ne pas trouver ça normal… Mais visiblement, le sort était toujours actif et tout tenait bon.

Ils remontèrent en vitesse les escaliers jusqu’au second étage, et il n’avait jamais tapé le code aussi vite de sa vie, la lumière froide lui faisant froncer les sourcils.

- Brûlures et blessure profonde par probable griffure de vampire dans le dos ! cria-t-il en se ruant vers l’infirmerie. Inconscient et respire faiblement !

- Ici. Dépose-le sur le ventre mais avec la tête qui dépasse du brancard. On va avoir besoin de quelqu’un pour le re-bouger une fois la plaie soignée.

-Où est Lia? demanda une des infirmières de fortune tout en passant compresses et désinfectant.

Il secoua la tête d’un air triste et dépité.

-Mickaël est tombé dans les vapes avant de me dire quoi que ce soit. Les autres sont MIA pour le moment.

Il observa le second brancard accueillir le mage d’air, et il remarqua à nouveau les traces légères de brûlure qui ornaient ce qu’il voyait de sa peau.

La seule explication logique qui lui vint en tête lui retourna l’estomac.

Il avait essayé ce sort. Malgré toutes les discussions qu’ils avaient eu à ce sujet.

Vincent avait envie de tout défoncer et de partir loin, à la chasse aux connards qui ont poussé sa seule famille à risquer son existence, pour mieux pourrir la tronche à Lou après. Et pourtant, il n’arrivait pas à bouger d’un pouce, les yeux rivés sur les deux silhouettes sous oxygène, le cerveau anticipant les prochaines actions à prendre pour protéger les Sentinelles et cet endroit, et peut-être la ville et le monde, comme le voulait Lou.

Gwen s’approcha de lui et lui dit à voix basse.

-Aucun signalement de vampires ou de mages ennemis pour le moment, les gars ont pas perçu d’altération dans les barrières. Je reste en standby, elles savent bien mieux faire que moi, ajouta-t-elle avec un sourire bienveillant à ses collègues.

-Merci. Je…. je vous rejoins bientôt.

La jeune femme sembla hésiter un court instant avant de tapoter son bras d’un geste consolateur et de sortir de la pièce en effervescence.

Vincent inspira profondément, l’émotion menaçant de l'envahir.

Perdre Lou… Cette idée lui avait déjà traversé l’esprit, mais pas avec ce scénario.

C’était parce qu'il avait dit le truc du trop avec sa maladresse légendaire, ou laisser la bête prendre le dessus une fois de plus au point de commettre l’irréparable, ou parce qu’il devenait gênant pour les Sentinelles.

Il s’était préparé à tellement d’éventualités…. mais pas à celle qu’il meure, tout bêtement.

Et son monde pivotait sur son axe à toute vitesse, le poids de l’éventualité vaporisant toute volonté de continuer.

Un pression se fit sentir autour de son poignet droit, et il allait se dégager brusquement quand ses narines flairèrent l’odeur de Luce avant qu’il ne l'entende.

-Vincent. Viens avec moi.

Il se laissa entraîner hors de la pièce, ses yeux rivés au sol et son esprit hanté par l’image du dos meurtri de Lou et le bruit du moniteur cardiaque, et la suivit sans un mot.

Le bruit lourd de la porte qui se refermait lui fit enfin relever la tête, et il sentit les mains de Luce se poser sur ses épaules et le forcer à s’asseoir, le faisant glisser le long du mur.

Il remarqua enfin qu’ils étaient dans la chambre froide, et son cerveau semblait enfin émerger de sa spirale.

-Comment…

-Il fallait bien que je connaisse les codes pour chercher du matos, dit-elle simplement en un haussement d’épaule alors qu’elle s’agenouillait en face de lui, en posant ses mains sur ses chevilles.

Pas la peine de lui dire qu’elle avait lourdement insisté pour connaître au moins celui-là…

Vu que le nombre de personnes qui semblaient se soucier de Vincent se comptait a priori sur les doigts d’une main, elle voulait au moins pouvoir agir en cas d’urgence et le soutenir, même si ça semblait dérisoire.

Elle en avait marre d’être spectatrice. Malgré ses mains et son cœur tremblants d’inquiétude et de peur.

-Regarde-moi, Vincent.

Le dhampire fixa son regard ambré sur le visage de Luce.

Elle avait visiblement pleuré, et le tremblement qu’il sentait à travers son jean à l’endroit où elle enserrait ses pieds lui disait tout ce qu’il avait à savoir de son état.

Bien sûr qu’elle l’avait vu, elle aussi.

Bien sûr qu’elle devait se ronger les sangs, elle aussi.

Il avait jusqu’à oublié la personne qu’il avait à protéger par-dessus tout.

Il la vit froncer les sourcils et l’émeraude de ses yeux prit une teinte un peu plus sombre.

-Va falloir que tu arrêtes, Vincent.

Il allait ouvrir la bouche mais elle le coupa, sa voix pourtant aussi forte qu’un murmure.

-Va falloir que tu arrêtes de t’interdire d’être humain.Tu as le droit d’être inquiet pour Lou, de prendre un moment pour gueuler ou pleurer. Et on va gérer la suite, après, et ensemble.

Il se figea et détourna le regard, en sachant pertinemment que le sien était vissé sur lui, comme pour bien faire rentrer le message dans son cerveau.

-Et me sors pas le coup de “je suis pas humain”. C’est de la merde, et tu le sais très bien. Et moi… moi, j’ai besoin que tu sois là aussi…

Il sentit la pression sur ses chevilles s’alléger puis disparaître, et entendit le frottement du jean sur le sol. Il rassembla ses jambes vers lui et se courba pour poser ses bras sur ses genoux, ses yeux trouvant la silhouette de Luce dans la même position, juste en face de lui.

Son visage enfoui dans ses bras et caché par sa masse de boucles ne dissimulait rien de l’émotion qui la traversait, et Vincent sentit une boule remonter le long de sa gorge à nouveau.

Il aurait tellement eu besoin de Lou, à cet instant. Pour dire le truc qui lui ferait déballer le tout ou calmer la vague.

Mais il était en train de se battre sûrement comme un lion pour revenir auprès d’eux, alors il pouvait bien essayer de se débrouiller seul…

Ou de prendre la main tendue.

Il se releva pour se rasseoir près de Luce, dont il percevait le souffle saccadé et les sanglots retenus, et lui tapota maladroitement la tête d’un geste qu’il espérait réconfortant.

-Je… je ferai toujours tout pour te protéger, tu sais…

Luce secoua la tête pour faire tomber sa main et fit pivoter sa tête sur le côté.

-Je sais, mais je m’en fiche en fait. Tu sais pourquoi?

La confusion de Vincent devait se lire sur son visage parce qu’elle enchaîna sans lui laisser réellement le temps de réfléchir.

-Parce que, ce que je veux moi, c’est que tout le monde survive. Et vous… vous êtes en mode “du moment que Luce elle survit, tout va bien”. Je suis sûre que l’autre idiot il a tenté quelque chose proche du suicide pour finir dans cet état !

Elle se mordit la lèvre inférieure, et essuya rageusement les larmes qui coulaient en frottant ses yeux sur ses bras croisés sur ses genoux.

-Vous… vous… En deux mois… vous… vous êtes devenus les personnes les plus essentielles de mon univers, et… Si…

Les mots se perdirent dans les sanglots, et Vincent sentit un picotement au coin de ses yeux pour la première fois depuis longtemps. Il posa sa main sur son dos un instant: il voulait juste qu’elle sente qu’il était là, tout cabossé et torturé qu’il était. Se sentir seul au monde, après tout, il connaissait bien… Et c’est pour ça qu’il avait tant peur de perdre Lou.

Il s’autorisa à ouvrir la porte à la tristesse et à la peur un moment, emprisonné dans cette chambre froide et partagé avec une des rares personnes qui avaient l’air de le comprendre, du moins jusqu’à un certain point.

-Merci Luce… et pardon…

Elle garda le silence, mais se redressa contre le mur pour laisser sa tête tomber sur l’épaule de Vincent, le temps d’une pause avant de devoir rester vent debout.


Texte publié par Mimisao, 6 avril 2024 à 17h03
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 9 « Chapitre 9 - Etat d'urgence » tome 1, Chapitre 9
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2631 histoires publiées
1182 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Ysomyne
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés