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saison 1, Chapitre 8 « Hallucination - Part II » saison 1, Chapitre 8

L’idée de remettre les pieds dans le salon de thé, ne lui avait jamais effleuré l’esprit. Franchissant les portes de l’enseigne, avec beaucoup de précautions, Eliah suivit le maître des lieux.

Pour admirer les brimborions, elle se stoppa au milieu de l’allée. Par peur de provoquer le désordre, elle ne bougea pas d’un iota, attendant sagement qu’on lui dicte quoi faire. Cela n’empêcha pas la demoiselle de reluquer le beau ténébreux — toujours dos à elle — qui déballait les courses de son sac. En plus d’être affreusement sexy, l’homme possédait de bon goût concernant la décoration. Cet endroit était pittoresque, loin des gros clichés que ce soit en matière de salon de thé « chic » ou des pâtisseries « excentrique », on pouvait même y discerner quelque chose de mystérieux, subtil, gardant une atmosphère pure pour les personnes en quête de sérénité.

— Je te saurais gré de faire attention où tu marches, je ne souhaite pas une nouvelle catastrophe dans mon boudoir.

Eliah se retourna, dévisageant son interlocuteur. Elle ne savait pas si elle devait être hébétée par le fait qu'il se souvenait d'elle ou du vocabulaire qu'il employait, incohérent avec son style digne d'un bad boy.

Ce terme lui collait bien à la peau : un cargo noir, entré dans sa petite paire de bottines et un t-shirt légèrement ample, un col en V, sous sa veste en cuir. Qui donc s'habillait de la sorte alors que l'hiver arrivait à grands pas ?! Ce n’était pas pour lui déplaire - Eliah avait toujours eu un faible pour ce type de gars - mais lui...

— Oui, je suis le dirigeant et j'ai énormément galéré à retirer la tâche de thé sur ma chemise de boulot, déclara-t-il.

Son sourire narquois confirma les doutes d’Eliah, la mettant légèrement dans l'embarras.

— Ahahah... merde... lâcha-t-elle, un petit rire nerveux.

Se grattant la joue, elle ajouta :

– Je pensais que vous... Tu ne te souviendrais pas de moi.

— Difficile d'oublier une personne atteinte d'hétérochromie. C'est assez rare d'en croiser, surtout quand la couleur des deux yeux est bien distincte et c'est assez déroutant que ces deux derniers soient aussi clairs.

Le franc-parler du ténébreux troubla Eliah — complexant déjà assez sur cette particularité qu'elle partageait avec son jumeau.

— Il n'y a aucune honte à avoir. Ça te confère un charme authentique, répliqua l'interlocuteur conscient de la chose. Enfin, arrêtons-nous-en-là, il y a des estomacs à nourrir.

D'un petit clin d'œil, le bel homme invita Eliah à le suivre vers le comptoir, désignant la seule table placer dans la pièce voisine - ouverte au public, où il était possible d'acheter du thé en vrac.

— Tu peux t'installer là-bas, c'est plus tranquille. Vu qu'on est encore fermé, les gens ne nous verront pas.

Eliah hocha la tête et s'exécuta.

Alors que l'apollon disparaissait dans les coulisses, Eliah posa un coude sur la table, sa main portant sa cervelle lourdement remplie d'interrogations : qu'elle était la probabilité qu'ils se rencontrent à nouveau — trois jours de suite ? Quelles étaient les chances pour qu'ils se retrouvent là, ici maintenant ? Qui donc acceptait de déjeuner et discuter avec un inconnu, alors que la minute d'avant elle faisait une syncope ? Il n'y avait aucune logique dans cette continuité hasardeuse. La voilà en proie à une grande agitation.

Elle se rassurait comme elle pouvait, voyant carrément une opportunité s'offrir à elle : elle était en compagnie d'un gentleman doté d'un sex-appeal et qui manifestement se débrouillait bien dans la vie. Qui était-il ? Que faisait-il en dehors de son travail ? Passant en revue, les trois derniers jours, il pilotait une moto - une grosse cylindrée - suggérant que c'était une personne très active dans la vie.

La demoiselle secoua la main dans le vide pour chasser les mauvaises pensées qui surgissaient dans son esprit dépravé ; peut-être était-il en couple ou avait une préférence pour ses homologues. Puis, c'était assez malsain de sa part de commencer à se faire des films et de le visualiser comme un simple objet de convoitise : c'était un être humain avec des sentiments.

Eliah se flagella encore de longues minutes.

Elle ne niait pas que ce dernier lui plaisait et c'était l'une des raisons qu'elle l'avait suivi les yeux fermés. Elle n'entrevoyait aucune autre explication.

Bayant aux corneilles, la fatigue ne tarda pas à poindre, mais Eliah se força à rester éveiller. La journée d’hier ne lui avait pas permis de dormir convenablement.

Avec un soupçon d’espoir, elle vérifia son smartphone, mais aucune notification ne s’affichait sur son écran. Aucun message provenant de sa part, confirmant qu'il lui boudait toujours de son côté. Quel petit con.

Enfouissant son visage dans ses mains, elle préférait récuser ses torts — plus facile de faire l’autruche. Pour avancer dans la vie et épauler son frère, elle s’interdisait de montrer une quelconque faille et quémander de l’aide aux parents, revenant à admettre sa défaite. Puis, l’idée qu’autrui l’assimile comme une fille à papa et maman –bien qu'ils leur eussent acheté l'appartement pour éviter tout souci financier – la confortait dans ses idées.

L’unique regret de ses parents, c’est que leur second enfant n’ait pas souhaité et cherché à poursuivre ses études, même après son renvoi du lycée - la peur de ne pas la voir s’épanouir.

Un petit frisson effleura son épiderme, l’obligeant à rentrer la tête dans les épaules et retirer ses mains de son minois, frictionnant maladroitement les bras dans l’espoir de se réchauffer.

La température avait drastiquement chuté, une météo plus opaque s’illustrait à l’extérieur, annonçant des perturbations imminentes. Le temps qu’averses et orages surviennent, un vent violent fit irruption dans le magasin, faisant trembler meubles et babioles sur son passage — elle aussi, par la même occasion.

Quelque chose clochait, et ce de façon très ostentatoire. Ce changement d’atmosphère instillait l’effroi dans tout son être. Le sol vibrant dans la boutique, sous des bruits de pas lourds et métalliques, renforçait ce sentiment. Elle aurait souhaité appeler le beau gérant, mais elle ne connaissait même pas son prénom — et était de toute manière, incapable de prononcer un mot, trop tétanisé après avoir réalisé à qui elle avait affaire.

Si son cerveau restait actif, son corps lui ne répondait toujours pas. Clouée sur sa chaise, des perles d'eau commençant à jaillir de ses yeux et à glisser le long de ses joues, elle attendait avec effroi son « agresseur ».

La première fois, il n'était qu'une silhouette informe, enveloppé d'une fumée noirâtre, se dévoilant timidement aux yeux de sa proie à chaque fois qu'elle le voyait dans ses cauchemars. Ce dernier, resta à l’encadrement de la porte, muet, esquissant un sourire – carnassier si l’on s’attardait à observer à travers les coutures couvrant sa bouche : il semblait possédé de longs crocs et incisif.

Le monstre se contentait de la dévorer de ses yeux, volutes et magnétiques.

Immobilisée sur sa chaise, les poings serrés, le courage n’émergeait toujours pas. Sa mâchoire se crispait de plus en plus, entravant son désir de crier à l'aide. Eliah ignorait la raison de ces attaques, encore plus de ces visites impromptues en plein milieu de la journée. Ses interrogations obstruaient davantage tout mouvement, mais aussi toute réflexion sensée. Néanmoins, elle parvenait à tourner sa tête vers l'individu, perpétuellement impressionnée par son physique hors-norme.

Qu'était-il ? Un monstre ? Une chimère ? Un fantôme ? Un démon ? Dieu peut-être, qui était présent pour lui infliger le châtiment divin. Qui que ce soit et peu importe le motif, Eliah ne possédait plus la force requise pour fuir son adversaire.

Pourtant, à l’instant où ce dernier pénétra dans la pièce, le premier réflexe de la jeune femme fut d'agripper ses mains sur l’extrémité de la table, lui octroyant une nouvelle énergie — nécessaire pour bouger et possiblement se sauver d'ici. Alors qu'il s'avançait dangereusement dans sa direction, Eliah poussa aussitôt la bordure de la table, mais n'eut pas l'effet escompté. Au contraire, c'est elle qui recula avec le siège qui bascula et chuta en arrière - la demoiselle réussit à faire un roulé-boulé pour amortir le choc.

Persuadée que son bourreau allait se ruer sur elle pour la tuer, elle se pelotonna – mais rien de tel ne se déroula. Quelques secondes après, elle se redressa péniblement, des douleurs dans le dos et dans le bas à la suite de sa chute et fit face non au monstre, mais au gérant du salon de thé.

De nouveau, il s’était mis à sa hauteur, la scrute plus suspicieux que jamais.

– Putain de merde, voilà que je rêve en plein jour. Faut surtout pas que mon frangin apprenne ça - je le vois déjà venir avec son petit air de vainqueur : « tu vois j’avais raison » ? C'est bien ma veine. J'ai l'air de quoi maintenant ? Je vais finir par passer pour une grosse hystérique, alors que j'ai juste des problèmes de sommeil. Devant un beau mec en plus. Tout va bien, hein. Ce n'est pas ce que tu crois, déblatéra Eliah - dans un monologue quasi inaudible pour son interlocuteur, l'empêchant d'en placer une. Mes problèmes remontent à loin. Depuis toute petite, j'ai fait juste des parasomnies, mais c'est la première fois que je fais du somnambulisme. Je ne sais même pas pourquoi je te dis ça, alors qu’on ne se connaît même pas. Qui parle de ses problèmes à un inconnu ? Puis tu dois t'en foutre, c'est compréhensible. Je comprendrai si tu veux partir. Mais pourquoi tu partirais, c'est ton magasin et je ne suis qu'un parasite...

Certes surpris par cette situation cocasse, le ténébreux ne moufta pas pour autant, se contentant de poser ses mains sur les épaules d'Eliah pour acquérir son attention. Chose faite, la demoiselle se tut, un air ahuri sur le minois.

— On se tait et on respire, dit-il fermement.

— On se tait et on respire, répéta-t-elle.

— Pas un mot, rétorqua-t-il.

Secouant la tête de haut en bas, Eliah inspira grandement et souffla, ce à plusieurs reprises, observant « le bad boy ». En plus de son bridge, elle distingua un autre piercing sur ce divin visage : il portait un labret - l'obligeant à contempler le pourtour de ses lèvres, tout bonnement délicieuses. Consciente qu'elle passait du coq à l'âne, il lui était tout bonnement impossible de passer outre, elle se délectait secrètement de ce moment fâcheux.

Après ce petit exercice respiratoire embarrassant, Eliah figée sur place se voyait de nouveaux invités à s'asseoir lorsque le gérant remit sur pied la chaise. Le remerciement timidement, elle s'installa et analysa le moindre fait et geste de l'hôte d'accueil qui repartait dans la pièce voisine, mais restait dans son champ de vision, récupérant seulement des petits bols et couverts posés sur le comptoir - le tout avec dextérité.

— Ce n'est pas grand-chose. Heureusement que j'étais parti m'acheter deux trois courses pour la maison, sinon tu aurais eu le droit à une bonne dose de sucre.

Le menu du jour était effectivement simple, mais visuellement très appétissant que même l'estomac d’Eliah tenait à en informer l'intéressé. Dans la coupelle en bois : du riz, des haricots rouges saupoudrés d'épices tels que de l'ail, de l'échalote ou encore des poivrons rouges. La fumée qui se dégageait du plat se divulguait dans ses narines, pouvant noter l'ajout de thym ou de laurier.

— Merci, répondit la demoiselle - empruntant la cuillère qu'on lui présentait.

Par politesse, elle attendit que son voisin termine le service et se pose à son tour.

— Bon appétit, dit-elle - commençant à boire le verre d'eau.

— Pas de commentaire sur mes fesses, commenta l'autre amusé.

Avalant de travers sa dernière gorgée, Eliah toussa, se frappant la poitrine puis s'essuya les lèvres, mais si ses joues s'empourpraient, la cause était tout autre.

— Malheureusement pour toi, j'ai une très bonne mémoire, ajouta-t-il - vraisemblablement diverti par le tumulte qu'il provoquait chez son invité.

— J'ai le pressentiment que cette histoire va me hanter jusqu'à la fin de mes jours, pesta Eliah - plongeant enfin la cuillère dans la nourriture.

Ses yeux s'écarquillèrent lorsque les aliments entrèrent en contact avec sa langue et son palais. Elle ingéra aussitôt. Dans ce plat aussi banal soit-il, chaque ingrédient trouvait sa place en temps et en heure.

— C'est délicieux !

— C'est gentil, sourit humblement son interlocuteur.

Mangeant en toute tranquillité, Eliah rompu rapidement le silence, désireuse d'en savoir un peu plus sur ce bel inconnu.

— Maintenant que j'y pense, je ne connais même pas ton nom. Parce que bon, on ne se connaît ni d'Adam, ni d'Ève et je me retrouve à déjeuner avec toi, qui m'es parfaitement inconnu.

Laissant quelques secondes s'écouler, avant de poser ses coudes sur la table, le ténébreux approcha son menton vers ses mains jointes et s'éclaircit la voix.

— Je ne me suis pas posé la question, j'avoue ne pas trop mesurer la situation. Est-ce un mal ?

— Ce n’est pourtant pas anodin. Personne ne fait ça. À part dans la fiction. Dans la logique des choses, on serait partie chacun de notre côté.

— Et donc, se soucier de l'état de quelqu'un après qu'il s’est évanoui est incohérent avec la réalité ? demanda-t-il - un air espiègle sur le visage.

Ingurgitant une nouvelle bouchée, Eliah grogna et posa le couvert.

— Aaaah, ce n'est pas ce que je voulais dire. Enfin, peut-être un peu. Mais admets tout de même que ce n’est pas un truc qui arrive tous les jours.

Haussant les épaules, il répliqua :

— Tout ça me parait naturel.

Sceptique, Eliah se remit à manger, mais n'abandonna pas pour autant :

— Et sinon, c'est quoi ton petit nom ?

Le gérant ne répondit rien, continuant de manger comme si de rien n’était. À croire qu'il prenait un malin plaisir à torturer sa convive, ce qui avait le don à agacer la jeune femme emplie de curiosité. Terminant enfin son assiette, il ouvrit enfin la bouche.

— Stanley, dit-il goguenard. Mais tout le monde m'appelle Stan.

« Stanley ». Elle répéta silencieusement ce prénom dans la tête, contente de pouvoir enfin connaître l'identité de son sauveur. Et commença toute une myriade de questions : « Et quel âge-tu Stan ? Qu'est-ce que tu faisais auparavant ? Quels sont tes hobbies ? Et le plus important Stan, es-tu en couple ? » Et heureusement pour elle, elle ne pensa pas à voix haute. Cependant, Stan l'observait, les bras croisés, semblant attendre quelque chose en retour. Quelque peu honteuse, elle se gratta le côté du front, évitant un bref instant ses deux billes vertes. Bordel de merde, il était vraiment à tomber par terre. Elle se sentait comme une adolescente qui tombait en pâmoison devant une célébrité.

— Eliah. Avec un h.

— Eliah avec un h, répéta Stanley mi-amusé, mi-intéressé. Qu'est-ce qui ne va pas ?

La peur et la colère fusionnèrent, refermant automatiquement la coquille protégeant la perle à l'intérieur, appréhendant la suite.

Connaissant un tant soit peu la nature humaine, elle craignait des représailles en évoquant ne serait-ce quelques mots. À quel niveau de curiosité s'établissait cette question à la fois inoffensive et déplacée ?

Stanley s'adaptant à la situation, se cala confortablement, posant un coude sur la table, son avant-bras servant de support de tête - profitant du conflit interne de la jeune femme pour l'analyser. Les yeux vairons semblaient révéler l'ambivalence propre à l'être humain. S'abandonnant à quelques réflexions sur la nature de l'homme, le ténébreux tomba dans la contemplation, décelant un attrait magnétique et mystérieux chez son invité. Son frère possédait quelque chose de très similaire. Mettant de côté ces informations, une chose plus préoccupante le travaillait et il avait besoin d'en avoir le cœur net.

— Ce matin, tu disais avoir passé une mauvaise nuit. Ôte-moi d'un doute, dit-il - affaissant un peu plus sa tête dans le creux de sa main, plissant les yeux pour mieux entrevoir la personnalité d'Eliah. C'est quelque chose de récurrent, mais c'est la première fois que tu rencontres ce souci en pleine journée.

Les poils d’Eliah se hérissaient, se sentant honteusement pris en flagrant délit.

Jaugeant l'expression et la posture de son interlocuteur, rien ne lui indiquait une quelconque malveillance de sa part et à voir plus loin que le bout de son nez, il s'était plutôt montré soucieux et respectueux. Jusqu'à là, aucun malaise - peut-être un peu de timidité dans l'air.

— Oui, répondit-elle - écoutant attentivement son instinct lui dire sciemment qu'elle pouvait se confier les yeux fermés. Par où commencer...?

Décidée à parler, elle ne s'imaginait pas un seul moment à quel point elle accaparait toute l'intention du beau Stan.

— Depuis toute petite, c'est comme ça, même si avec le temps mes troubles du sommeil se sont atténués. Ces derniers temps, c'est très chronophage.

— Des rêves récurrents. Ils se déroulent tous de la même façon, la situation diffère ou bien il n'y a aucun lien entre eux ?

— Ça reste plus ou moins la même chose, déclara la concerner - haussant les épaules. Ceci dit, je prends de plus en plus conscience lorsque je rêve, mais il est de plus en plus difficile de trouver une échappatoire. Mon esprit refuse obstinément de s'extirper de là.

Avide de connaître les frayeurs qui torturaient Eliah, Stanley se forçait à garder le silence distinguant les yeux hétérochromes perdre leur éclat, dévoré par les affres de la désolation. Voyant qu'elle parvenait à franchir les obstacles, ses pupilles s'orientant vers un chemin plus lumineux, une lueur de témérité traversait son regard.

— Voilà, rien d'extraordinaire, juste des problèmes lambda pour des personnes de ma catégorie, déclara-t-elle.

— Un être humain normalement constitué possède une horloge interne pondérée et ça m'a l'air loin d'être ton cas. C'est peut-être le moment de consulter...

— Un spécialiste, je sais, coupa Eliah - agacée. On croirait entendre mon frère. Il serait probable que, dans ma situation, il se pourrait que j'aie subi un traumatisme.

— Et il n'a pas tort, souligna Stan.

La contrariété prenant le dessus, Eliah serra les dents pour ne pas sortir de ses gonds - surtout quand le beau ténébreux l'observait avec un air désolé, mais un sourire en coin.

— Enfin, je ne peux pas prétendre qui à tort ou à raison, mais les problèmes ne surviennent jamais sans raison valable. Personne ne peut te forcer à quoi que ce soit, mais tu devrais peut-être y songer, surtout après t'être évanoui en pleine rue.

Remarquant qu'elle allait de nouveau objecter, Stan reprit la parole aussitôt :

– Je me demande quelle aurait été sa réaction, s'il avait été à ma place.

En guise de réponse, Eliah grommela, levant les yeux au ciel :

— On s'est déjà pris la tête hier pas besoin d'en rajouter une couche. Ceci dit, il faudrait que tu le rencontres. Chose compliquée, car il s'avère être un véritable casanier, donc bon. Et de toute manière, même si je te suis grandement reconnaissante pour ce qui s'est passé ce matin et pour ce repas, tu n'as pas à t'immiscer dans mes affaires.

— Quel caractère de cochon que voilà.

— Oui.

Courroucée par sa remarque, elle se renfrogna davantage lorsque le beau Stan riait de bon cœur.

— Désolé, ce n'est pas mon intention, mais c'est assez drôle de te découvrir. En quelques heures, tu m'as permis de voir des faciès assez incongrus. Ce n’est pas souvent que les êtres humains s'expriment avec autant de sincérité.

— Très drôle... J'étais partie pour apprendre à te connaître. Tu as carrément dévié la conversation sur autre chose !

Eliah se frappa le visage – des fois, elle devait ranger sa langue dans sa poche.

— C'est ce qu'on fait non ? Dis Stan en toute innocence - ne tiquant absolument pas sur le sous-entendu de la jeune femme.

— Mais on ne raconte pas ses problèmes dès la première rencontre.

Bouche bée, le ténébreux semblait résigner, mais il ne perdit pas la parole pour autant :

— Alors, comme ça, tu veux apprendre à me connaître, s'enorgueillit-il - un sourire plus que charmeur.

En revanche, Eliah se vit couper l'herbe sous les pieds et demeura silencieuse, se mordant la lèvre inférieure. Or, ce n'était pas le moment de fléchir, justement elle voyait l'opportunité de reprendre la main.

— C'est vrai. Je commence à me demander si c'est réellement le hasard ou bien le destin qui nous réunit aujourd'hui même, poussant ma curiosité à son paroxysme, dit-elle sur un ton solennel. Donc, afin de pouvoir résoudre ce mystère, je me dis que ce n'est pas déconnant de vouloir apprendre à te connaître.

Au tour de Stanley de tenir sa langue pendant un bref moment, évaluant l'état des choses de son point de vue, mais Eliah n'attendait pas de réponse immédiate, un peu effrayée à l'idée de se prendre un vent, alors elle préféra conclure de la meilleure des façons pour garder les rennes :

— Cela dit, il faut aussi que tu le veuilles, mais on va s'arrêter là pour aujourd'hui.

À peine, se prononça-t-elle, qu'une porte claqua contre le mur, annonçant probablement l'arrivée d'un employé :

— Stan ! Tu as vu les dernières nouvelles, s'écria un homme - probablement entré par l'accès du personnel, car la voix provenait vers le comptoir.

— En même pas un mois, les meurtres se sont intensifiés et pas n'importe lesquels. On frôle les cent pour cent ; pas loin d'une vingtaine de victimes mortes le corps broyé, comme si on les avait écrasés sous un rouleau compresseur. Pour l'instant, il n'y a aucun lien entre les victimes, ils supposent tout de même qu'on a affaire au même tueur, si ce n'est plusieurs qui marchent en bande, au vu de certaines heures de décès. Aucun doute, c'est bien notre démooooniaqueuh ...Tueur en série... Bonjour, ajouta le salarié d'une toute petite voix, cachant le journal derrière son dos, découvrant que son patron n'était pas seul.

Lâchant un rire nerveux, il recula de quelques pas, prétextant d'être arrivé en avance et s'excusa de la gêne occasionnée, mais Eliah se leva aussitôt.

— Mince, je n’ai pas vu l'heure ! rit-elle nerveusement.

Attrapant ses affaires, elle rajouta à l'égard de Stan :

— Pardon, d'avoir fait perdre ton temps, j'y vais de ce pas.

— Attends, je te raccompagne, s'empressa le principal intéressé - visiblement incommodé par la tournure des événements, lorsqu'il jeta un coup d'œil vers son employé. Je débarrasserais après, fini de préparer le reste des pâtisseries et d'ouvrir la caisse.

Sentant une main se poser dans son dos, Eliah braqua ses yeux sur le patron, puis sur son subordonné qui la salua de la main - tout aussi confus qu'elle.

Alors que Stanley la faisait déguerpir poliment de son boudoir, il se saisit - avec une grande délicatesse – le bras d’Eliah, avant qu’elles ne mettent les deux pieds dehors. Si la déception arborait son visage, il l'était tout autant, voire plus, mais il était préférable d'en rester là - pour l'instant.

— Tâche de rentrer chez toi et de te reposer. Vu ton état actuel, ne va pas travailler. Sous aucun prétexte. Prends rendez-vous chez le médecin, si besoin, et demande un arrêt de travail, morigéna-t-il.

Eliah resta interdite, observant, hagard le beau ténébreux. Celui-ci soupira, admettant qu'il n'était pas le mieux placé pour sermonner, mais invoqua un dernier argument :

— Étant donné que je suis témoin des faits et que mon intuition me dit que tu oublieras volontairement de prévenir ton frère, j'accepte que tu me mettes dans les personnes à appeler en cas d'urgence.

— Mais...

Stanley sollicita la jeune femme à sortir son téléphone, le déverrouiller et le lui prêter un instant.

Toujours troublée, Eliah accomplit la tâche, sans trop se poser de questions, même si son cerveau continuait à carburer - que dire de son cœur ?

— Voilà. Au moindre souci, n'hésite pas à m'envoyer un message.

Hochant la tête, Eliah se limita un bref « au revoir » se perdant dans le brouhaha de la rue bien animée en ce début d'après-midi.

S'éloignant de la boutique, elle ne pouvait s'empêcher de tourner la tête jusqu'au moment où le ténébreux disparaît de son champ de vision.


Texte publié par (In)Somnium, 22 mars 2022 à 17h16
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