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Sitôt la porte close, Domovoï tourna la clé, puis ferma les volets avant de tirer les rideaux. La pièce plongée dans une presque obscurité, il se saisit de l’un des bougeoirs dont il ôta le lumignon pour la remplacer par une chandelle qu’il avait sortie de sa besace. Dès qu’elle eût pris feu, il la posa sur la table de chevet, puis s’assit sur le lit.

— À présent, nous pouvons discuter comme il nous plaira, Vuk. Si tu veux prendre place.

En face de lui, Vuk soutenait son regard taiseux.

— La lune, murmura-t-il.

Domovoï sourit.

— En effet, la lune. Comment l’as-tu découvert ?

À voix basse, Vuk l’entretint alors de sa promenade avec la fille de Nadia, la sculptrice, et de la bibliothèque dissimulée au fond de la forge, des livres qui y étaient rangés.

— Et vous-même maître Domovoï. Comment en avez-vous percé le secret ?

— Par les bas-reliefs gravés dans le temple. Il n’est nul mystère, quant au fait qu’ Alkonost gîte sur la lune. En revanche, nul ne clame haut et fort que ce dernier les surveille toutes les nuits, sauf les jours de lune nouvelle lorsque celle-ci est plongée dans la nuit. Trois jours pendant lesquels Alkonost demeure sourd et aveugle.

— Cependant, j’ignore ce qu’il leur demande en échange de sa protection, ajouta-t-il d’un ton sombre.

— Avez-vous remarqué comme la joie des villageois était empreinte de fausseté, surtout les adultes !

Certains le vénèrent, d’autres le remercient, mais la plupart le craignent.

Domovoï acquiesça.

— La nouvelle lune a lieu dans deux jours. Ce sera là notre seule occasion de leur parler, poursuivit-il.

Songeur, Vuk fixait son compagnon sans mot dire.

— Maître Domovoï, murmura-t-il après un long moment de silence. Quelle est cette magie ?

— J’attendais cette question, mon garçon, lui répondit-il dans un sourire forcé. C’est un don de Ptitsa. Au cours de ton sommeil, alors que ses forces déclinaient, il me narra son exil, ainsi que le devenir de ses frères, après que Sirin les eût punis parce qu’ils avaient désobéi. Il me mit surtout en garde contre son frère Alkonost et me confia donc ces bougies, qui ont le pouvoir de l’aveugler et de l’assourdir.

— Alors c’est un lieu similaire, imprégné de la même magie, que j’ai découvert, en me rendant dans cette bibliothèque. Demain, je m’en irai donner une prière à Alkonost afin de lui mander audience.

— Qu’as-tu à l’esprit Vuk ? Le convaincre de t’apporter son aide ?

— Nullement maître Domovoï. Quelqu’un comme Alkonost n’offre son aide qu’en échange d’une rétribution, à moins de lui montrer que je suis son égal sur son terrain.

Les lèvres pincées, Domovoï parut hésiter, puis se reprit :

— Nous sommes engagés dans une partie de ce jeu auquel je m’adonnais tout à l’heure. En participant au banquet, nous avons avancé un pion. À présent, c’est à notre adversaire de prendre sa décision.

Vuk hocha la tête, pensif. Puis, il s’empara de la chandelle posée sur le lit et l’alluma. Son visage, ainsi plongé dans la flamme, parut subitement vieilli.

— Gamayun, murmura-t-il comme il soufflait le présent de l’Oiseau de feu.

Étendus sur leurs couches respectives, ils devisèrent encore, puis Domovoï moucha la boougie et ils s’assoupirent. Le lendemain matin, ils découvrirent un village sur lequel s’était abattu un épais brouillard, donnant à ces habitants des allures de spectres errants. La cérémonie s’était achevée hier, désormais chacun vaquait. Les uns se rendaient à la rivière, d’autres dans les bois alentour pour y ramasser de quoi se chauffer. Dans la salle commune de l’auberge, la joie le cédait à l’apathie. Mines saturniennes, les gens attablés avaient le regard voilé, les yeux peinés. Devisant par instant de choses et d’autres, Domovoï et Vuk déjeunèrent en silence, avant de se retirer, non sans leur hôte pour sa générosité.