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tome 1, Chapitre 14 « Les Enfants d'Alkonost » tome 1, Chapitre 14

Lorsqu'ils eurent franchi les remparts, Vuk s'arrêta un instant. Il se souvenait de cette nuit d'hiver, où il l'avait vu pour la première fois : une silhouette étrange qui sillonnait la voûte céleste, rendue luminescente par la lueur blafarde d'une lune presque absente. Aujourd'hui qu'il levait la tête vers le ciel, il n'apercevait qu'un mur blanc de neige tourbillonnante. Une main posée l'épaule, Domovoï l'enjoignait à poursuivre. Trois semaines s'étaient écoulées depuis que l'automne l'avait cédé à l'hiver. Bientôt, Zapadnoy ne fut plus qu'un point minuscule à l'horizon, puis disparut. De temps à autre, Vuk interrogeait Domovoï au sujet des autres villages, de Sirin, de ses enfants et alors, tandis qu'il pansait ses blessures, guérissait ses os ou ses articulations douloureuses, il lui narrait les histoires, dont il avait quelques connaissances. Ainsi passaient les jours, puis les semaines, lorsqu'enfin, au détour d'une crête, ils aperçurent les silhouettes familières d'habitations.

— Severnoy ? demanda Vuk, comme il pointait un index en direction de la bourgade.

D'un hochement de tête, Domovoï acquiesça soulagé, car plus d'un mois leur avait été nécessaire pour traverser la contrée. Arrivés devant l'un des portes d'octroi, quelqu'un s'enquit de leur qualité, après quoi on leur indiqua l'auberge où ils pourraient souper et veiller. Vuk l'avait remercié puis, accompagné de Domovoï, ils avaient cheminé en direction d'une grande bâtisse dressée sur la place centrale du village. Des enfants jouaient insouciants, certains se lançaient des boules façonnées dans la neige, quand d'autres les roulaient pour les faire grossir et les transformer en bonshommes ou en bonnesfemmes. Plus loin des garçons et des filles, plus âgées, s'élançaient sur des luges fabriquées dans de l'écorce de bouleau. Soudain, ils s'arrêtèrent, une femme taillait dans un bloc de glace l'image d'un oiseau dont la tête regardait vers le ciel. Trop occupée à manier sa pointe de métal, elle ne les remarqua que lorsqu'elle suspendit son geste, troquant son instrument contre un couteau à bois.

— Oh ! s'exclama-t-elle. Je ne vous avais pas remarqué. De plus, vous n'êtes pas originaire de la région je ne vous ai jamais encore croisé.

— En effet, madame, répondit Domovoï, comme il se présentait ainsi que Vuk. Pourrai-je savoir ce que vous sculptez ?

— Mais bien sûr. Il n'y a aucune curiosité mal placée. Je termine le portrait de notre gardien : Alkonost, dont nous célébrerons demain la venue.

— Pourquoi la venue ? l'interrogea, surpris, Vuk. Je croyais que les enfants de Sirin ne se préoccupaient pas du sort des humains.

— Pas lui ! rétorqua-t-elle sèchement, avant de se radoucir.

Son couteau à la main, elle le reposa. À la lueur des torches qui s'allumaient çà et là, la sculpture 'en paraissait que plus majestueuse encore.

— Pardon, se reprit-elle. Seulement, il n'y a que lui qui a accepté de nous protéger contre sa mère. Ni Stratim ni Ptitsa ne sont jamais opposés elle.

Vuk comme Domovoï gardaient le silence.

— Nous n'avons pas choisi que chaque année le premier de nos entre-nés fût offert en sacrifice à Sirin. Ce sont nos ancêtres qui l'ont fait, pas nous.

Émue, ses mains se tordaient, tandis qu'elle retenait les larmes qui lui montaient aux yeux.

— Votre enfant est le premier des entre-nés, n'est-ce pas, murmura Vuk.

— Oui, acquiesça-t-elle. Bien sûr, il y a un prix à payer pour chacun d'entre nous, mais il est minime en regard de la vie à peine éclose d'un nouveau-né. Demain aura lieu la cérémonie au cours de laquelle nous verserons notre tribut à Alkonost, afin qu'il assure encore une fois notre protection.

— Pardonnez-nous encore, s'excusa Domovoï. Nous avons ajouté de la peine à la vôtre.

Mais elle secoua la tête.

— Vous êtes étrangers, vous ne pourriez en avoir la moindre connaissance.

— Nous n'allons plus vous importuner, il serait dommage de laisser votre œuvre inachevée.

— Mais une œuvre l'est toujours, jeune homme, lui rétorqua-t-elle malicieuse.

Étonné, Vuk soutint un instant son regard, tandis qu'elle reportait son attention sur sa sculpture. Mais Domovoï l'attira et ils reprirent leur marche au travers du village, en direction de l'auberge dont ils apercevaient la façade illuminée. Attablés, ils dînèrent d'un plat de pelminis, accompagnés d'une soupe de choux bouillis. Ils déclinèrent l'invitation à une partie de cartes, puis se couchèrent. Emporté par la fatigue, Vuk ne tarda pas à sombrer, malgré les pensées innombrables qui se bousculaient dans son esprit. À côté de lui, Domovoï le veilla quelques instants, puis s'endormit à son tour. Demain serait un nouveau jour et, s'il en avait tout saisi, alors Alkonost descendrait au village. Avant de se glisser dans sa couche, il avait jeté un coup dans le ciel. L'oreille tendue, il n'avait pas perçu le cliquetis, hélas si familier, des fers de Gamayun. En revanche, il avait aperçu une tache étrange qui avait éclipsé, une fraction de temps, la lune. Le lendemain matin, ce fut la clameur des villageois et le bruit de tambours que l'on frappait qui les réveilla. Penchés par la fenêtre, ils découvrirent une immense procession qui sinuait toute au travers du village, appelant chacun à se rendre au temple de Krov.

Leur déjeuner achevé, ils sortirent, puis se mêlèrent à la foule des jeunes gens qui ne participaient pas à la cérémonie. Devant le temple, la sculpture d'un oiseau en adoration brillait de mille feux.

— Brana s'est surpassée encore cette année, se murmurait-il dans l'assemblée. Vous vous rappelez l'an dernier.

Peu attentif aux rumeurs et aux conversations qui se partageait, Vuk, accompagné de Domovoï tentèrent de se rapprocher de la procession. Arrivés dans les premiers rangs, ils se faufilèrent jusqu'à un vieux sapin où s'était réfugié un groupe d'adolescents. L'un d'eux remarqua le pendentif que portait Vuk et s'approcha.

— Bonjour, lança-t-il. Je ne vous ai jamais vu encore, mais votre médaillon m'intrigue.

Étonné, Vuk se tourna en direction du jeune homme qui l'interpellait ainsi. Plus petit que lui, il paraissait néanmoins avoir le même âge.

— Votre oiseau ressemble à s'y méprendre à Alkonost, pourtant...

Sa phrase suspendue, il semblait tout à la fois pensif et craintif.

— Les yeux sans doute, ajouta-t-il d'un ton dubitatif, alors qu'une rumeur enflait soudain dans l'assemblée, comme des cris de joie jaillissaient des poitrines.


Texte publié par Diogene, 12 juillet 2022 à 20h26
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