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tome 1, Chapitre 5 « Dans les Geôles de Severnoy » tome 1, Chapitre 5

Surpris, il tourna la tête et découvrit un pauvre hère perché assis sur une cornière taillée dans les pierres. Hirsute, ses cheveux lui donnaient des airs de fou et sa barbe semblait ne pas avoir connu de peigne depuis bien des années.

— Hélas, ces pauvres gens ne peuvent se défendre contre celle qui les accable ainsi. Alors, chaque fois, qu’elle ôte un des leurs, un malheureux leur sert de bouc émissaire. Toi, en la matière, mon garçon. Avec de la chance, ils t’expulseront, ou alors ils te passeront la corde au cou, si tu refuses leur condition.

— Et quelle est-elle, messire ?

— Seulement tuer Sirin, la femme-oiseau, sorcière de son état. Comme tu le devines, tous ceux qui ont tenté de l’affronter sont morts, dévorés par ce monstre.

Songeur, Vuk contemplait la foule endeuillée qui hurlait sa douleur.

— Avons-nous le temps ? Je souhaiterais que tu me parles d’elle.

— De Sirin et de sa progéniture maudite ? Pourquoi pas, puisqu’ils te proposeront de livrer un duel contre elle, en échange de la vie sauve.

La main serrée autour de sa bourse, Vuk écouta avec attention le récit du vieil homme, sans jamais l’interrompre : comment à chaque changement de saison la terreur et la désolation s’abattaient sur leur village. Comment furent vaincus les volontaires et les mercenaires partis les combattre. Comment il fut décidé qu’aux prisonniers on leur offrirait, en échange de leur liberté, de les affronter. Lorsqu’il eut fini, il fixa un long moment Vuk, pensif.

— Une chose étrange s’est produite néanmoins. Par trois fois, au cours des dix dernières années, elle n’a pas attaqué.

À ces mots, le cœur de Vuk se figea. Fort heureusement, la geôle était si sombre que l’homme n’en remarqua rien.

— Quand cela s’était-il passé ? le questionna, s’efforçant de dissimuler le trouble qui l’agitait.

Dans la pénombre, la figure du vieil homme parut se ratatiner, puis s’enfla.

— Ah, soupira-t-il. La première fois, c’était il y a dix ans, le village de Severnoy, comme nous tous dans la vallée, célébrait dans l’angoisse le premier jour de l’hiver. Les heures passaient, chacune d’elles semblait mesurer une éternité. Tous, nous nous terrions dans nos caves, nos souterrains, dans l’attente de sa venue. Pourtant, jamais elle n’est arrivée. Cependant, nous ne nous réjouissions point, car nous savions qu’elle reviendrait au printemps suivant, pour attaquer le village de Vostochnoy. Ainsi en fut-il. La deuxième fois, ce fut il y a cinq ans, à l’entrée de la saison rouge. Hélas, si elle avait épargné pour cette année le village de Zapadnoy elle s’en revint à l’hiver et fracassa le moulin du village de Severnoy. Enfin, ce fut cette année, au début de l’été, elle n’est pas venue, ici, dans notre village de Yuzhnoy, jusqu’à l’attaque de cette nuit. Mais cela n’était jamais encore arrivé, toujours attendait-elle la saison suivante.

— Quelqu’un ou quelque chose aura donc provoqué son courroux ? souffla à mi-voix Vuk, dont le cœur se raidissait de consomption.

— Sans doute, voyageur. L’on raconte qu’elle est entrée dans une grande colère, car sa fille Gamayun serait tombée amoureuse d’un mortel. Depuis, tous les soirs depuis le commencement de la saison, nous apercevons le ciel une ombre tournoyé. Même quand nous ne la voyons pas, nous savons qu’elle est là, à cause du bruit des fers qui l’entravent.

À ces mots, Vuk frissonna, il avait encore en mémoire les paroles terribles de Sirin, puisque tel était son nom, à l’adresse de sa fille, Gamayun.

Une passion interdite, songea en son for intérieur Vuk, que la culpabilité rongeait désormais.

— Une bien triste histoire, murmura-t-il, compatissant.

— Oui, jeune voyageur. Voyez, Sirin aura changé en corbeaux ses fils et, maintenant, elle aura passé des chaînes autour du cou de sa fille pour l’empêcher de retrouver son amour. Si vous tendez l’oreille ce soir, dès que l’obscurité sera complète vous pourrez entendre le tintement de ses fers lorsqu’elle survole la plaine.

D’un hochement de tête, Vuk le remercia puis ouvrit sa besace, d’où il sortit quelques tranches de poisson séché. Le bras tendu, il s’approcha de la corniche où était assis son compagnon.

— Tenez, lui proposa-t-il. J’en aurai bien assez pour moi.

— Merci, mon garçon. Tu es quelqu’un de bon et généreux, le remercia-t-il avant de dévorer sa part. Tu ne mérites pas un sort aussi funeste.

La figure tournée vers le soupirail, Vuk grignotait sa tranche de poisson. Dehors, la foule s’était depuis longtemps dispersée et le soleil étirait ses derniers rayons. Son repas achevé, il se laissa glisser le long de la muraille. Les paupières closes, il s’imprégnait de la rumeur des lieux, de son atmosphère austère, de l’obscurité amère. Soudain, un bruit de pas résonna, suivi du grincement de la porte qui ne s’ouvre que sous l’effort.

— La soupe ! les gars ! aboya une voix avinée, comme un garde pénétrait dans le cachot avec un chaudron empli de gruau.

La figure grêlée par la vérole, un homme leur tend à chacun une écuelle, dans laquelle il déverse une énorme louchée, puis s’en va sans mot dire. Silencieux, chacun attaque son bol de soupe. Épaisse et sans goût, elle collait à leur cuillère, tombant avec un bruit mou lorsqu’elle s’en détachait.

— Et vous ? Pourquoi êtes ici ? s’enquit soudain Vuk, le visage toujours tourné vers le soupirail. Le soleil s’était éclipsé.

Encore présente, seule la lune paradait dans le ciel.

— Moi ? s’étonna-t-il. L’un comme l’autre, nous dirons que j’ai commis beaucoup de bêtises. Rien de véritablement répréhensible, seulement… il arrive que l’on ne vous pardonne plus et c’est ainsi que je deviens un résident régulier de ce cachot. C’est pour cela qu’ils ne me proposeront pas, comme à toi, ce choix impossible entre une mort rapide et un sort tout aussi prévisible.

Songeur, Vuk contemple la voûte qui, peu à peu, s’illumine tandis que dans les chaumières déjà les lumières scintillent.

— Ne va-t-elle pas revenir ce soir ? s’enquiert-il.

— Qui peut le dire à présent ? Néanmoins, la peur n’est jamais bonne conseillère, elle trouble l’esprit et fige le cœur. Demain, ils viendront et te tireront du cachot. Le juge de paix sera là, de même que Skomorokh. Assemblé, tout le village sera là également, et tu devras faire ton choix.

— Alors il en sera, murmura Vuk.


Texte publié par Diogene, 1er avril 2022 à 13h37
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