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tome 1, Chapitre 2 « Nuit d'Automne » tome 1, Chapitre 2

De sa cachette, il n’apercevait que leurs ombres projetées sur le tronc d’un vieux chêne. Longtemps, il demeura immobile, jusqu’à ce que, ainsi qu’elle le lui avait ordonné, les voix se fussent tues. Lorsqu’il en ressortit, elles avaient disparu. Dans le ciel, une lune solitaire dardait son regard aveugle sur la forêt. La coupe pressée contre lui, il se hâta de rentrer, le cœur serré. Arrivé devant la chaumière, il souffla la lampe ; il n’eut point fallu que ses parents se réveillassent. La porte entrebâillée, il la refermait déjà, poussant de ses dernières forces le lourd verrou de fer qui la barricadait. Accablé par le froid, il se dépêcha de ranger les objets, puis se coucha. Le lendemain, il ne souffla mot de son aventure nocturne et œuvra comme si de rien n’était ; il avait toujours à l’esprit les paroles de la petite fille. Derrière une brique descellée, qu’il avait découverte sous l’âtre, il avait dissimulé la plume noire qu’elle lui avait confiée, ainsi que la pierre d’hiver qu’il avait trouvé au fond du pot.

Depuis lors, chaque soir, il allumait la lampe, ne déposant chaque fois qu’une goutte d’huile dans le réservoir. Hélas, il en allait de tous ces soirs, sitôt enflammée, sitôt elle s’éteignait, alors il se glissait dans sa couche le cœur lourd. Ainsi défilèrent les jours, les semaines, les mois. Les saisons se succédèrent et les années passèrent. Or il advint, qu’une nuit d’automne rougissant, la flamme demeura et il en conçut un grand soulagement, cependant qu’il savait qu’il devrait se montrer patient. L’obscurité s’en venait à tomber de plus en plus tôt, pourtant il ne montra aucune précipitation et se coucha bien vite, comme le lui avaient ordonné ses parents. Étendu dans son lit, les paupières closes, il n’en demeurait pas moins aux aguets, à l’affût des ronflements de son père, des soupirs de sa mère. Et, tandis que les ténèbres envahissaient peu à peu le ciel, ils dérivaient, corps prisonniers des bras de Morphéel. Sûr qu’ils ne se réveilleraient pas, Vuk ralluma la vieille lampe et, ainsi qu’il en avait été des années auparavant, il revêtit une large pelisse de laine, chaussa ses bottes et, pourvu de sa lampe, il sortit, avant de s’enfoncer dans la forêt songeuse.

Presque dépouillés de leurs feuilles, les arbres ressemblaient aux épouvantails qu’il apercevait sur le chemin qui le menait au marché, quand il lui fallait vendre les fruits de leur récolte. Par instant, il croyait les entendre tinter, cependant que le vent sinuait dans leurs cimes, faisant frémir leurs ramures dénudées. Éclairé de la minuscule flamme de sa lampe, il se dirigea en direction de l’Erèbe, là où il l’avait surprise, il y avait de cela tant d’années. Sous ses pieds les feuilles mouillées glissaient, se déchiraient, expiraient. Arrivé non loin de la rivière, dont il entendait couler le flot tranquille, il s’arrêta et s’assit contre le talus qui bordait la rive. La tête tournée vers le ciel, il contempla le croissant de lune, dont l’œil blafard observait avec paresse la forêt assoupie. Autour d’elle, des étoiles scintillaient, innombrables, brossé de cette large traînée blanche qui balafrait le zodiaque. Entre ses mains, la lueur n’avait rien perdu de son ardeur et il en fut soulagé. Néanmoins, nul bruit qui aurait pu trahir sa présence ne parvenait à ses sens et il s’en inquiétait. Cependant qu’il remontait le talus, ses yeux tombèrent tout à coup sur une paire d’ailes couleur de vif-argent. La main tendue vers elle, ses doigts l’effleuraient presque, lorsqu’une voix ténue jaillit de l’onde :

— N’y touche pas ou alors il m’en cuira.

Cette voix, il l’aurait reconnue entre toutes, malgré des accents désormais changeants. Les ailes luisaient doucement sous les rayons de la lune, lui renvoyant les chatoiements des astres errants. Silencieux, il s’était reculé, puis redressé. Au milieu de la rivière, une silhouette au regard d’airain le fixait ; elle aussi avait grandi. Nue, l’eau ne lui arrivait plus qu’à mi-cuisse, cependant que sa chevelure dissimulait les prémisses d’une métamorphose.

— Ainsi donc, tu es revenu ? murmura-t-elle.

Les mains croisées sur sa poitrine, elle semblait vouloir esquiver son regard.

— Pourquoi ? ajouta-t-elle, un accent de tristesse dans la voix.

— Parce que je voulais te revoir.

Un voile sombre obombra son regard, tandis qu’elle baissait la tête, comme pour ne plus le voir.

— Cela est vrai, pourtant il me faut partir déjà.

Le vent s’était soudainement levé et emportait avec lui une nuée de feuilles mortes qui tombèrent alors dans la rivière.Du bout des doigts, elle s’en saisit d’une et l’enflamma. Puis, jaillie des flots, elle s’approcha de lui ; de son corps s’exhalait un parfum de mousse et de bois pourri.

— Est-ce que tu reviendras ? l’interrogea-t-il, comme elle lui glissait quelque chose au creux de la paume.

Silencieuse, elle lui avait rendu son regard, tandis qu’elle retirait sa main.

— Je ne sais pas, souffla-t-elle.

Mais alors qu’elle prononçait ses mots, une présence noire obscurcit soudain la lune et son cortège d’étoiles. Vive elle arracha l’une des plumes des ailes qu’elle avait revêtues, puis lui avait ordonné de terrer dans la souche creuse, qui l’avait accueilli autrefois. À peine s’y était-il réfugié, avec quelques difficultés, car il avait grandi depuis, que la terre trembla.

— Il est bien tard ma fille, gronda la chose. Pourquoi n’es-tu point encore rentrée ?

— Les feuilles sont tombées et m’ont emprisonné ; il m’a fallu les brûler, mère.

— Tombées dis-tu ? Cela passe pour cette fois, mais cela ne se reproduise pas.

— Non, mère.

Depuis le tronc creux, il n’avait pas bougé d’un pouce. Quand les voix se furent tues, il hissa sa figure hors du trou, il surprit alors l’éclat de ses ailes couleur de vif-argent, cependant qu’elle disparaissait dans le ciel. Devant elle s’élançait une formidable silhouette, dont la tête était ceinte d’un diadème taillé dans un métal semblable à l’obsidienne. Entre ses doigts, il tenait sa plume, ainsi que la pierre qu’elle lui avait glissée auparavant, une pierre couleur rouge sang. Posée au milieu des feuilles mortes, la lampe n’avait cessé de brûler. L’ayant ramassée, il se hâta de rentrer.

L’obscurité était encore complète lorsqu’il arriva devant la chaumière. La porte entrouverte, il écoutait les respirations profondes de ses parents. Soulagé, il repoussa le panneau et courut en direction de l’âtre, sous laquelle il dissimula la plume, de même que la pierre d’automne, qu’elle lui avait confiée. Il ignorait quand il le reverrait, néanmoins c’est le cœur empli de joie qu’il se coucha ; la lampe serait le messager, il le savait. Ainsi la nuit refermait sur lui ses rets, comme le temps le faisait tout autant. Les jours, les semaines, les mois, comme autant d’années et de saisons se succédèrent.


Texte publié par Diogene, 11 mars 2022 à 21h43
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