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tome 1, Chapitre 39 « Les Catacombes de Vostochnoy » tome 1, Chapitre 39

Épaisses, les murailles de terre étouffaient le moindre bruit, le moindre écho, ni marche ni respiration, rien; seulement un son, brut, mat ; le son du silence. Par moments, il s’arrêtait, alors de sa paume, il couvrait sa lampe, puis écoutait. Immobile dans les ténèbres, il fermait alors les yeux, pour s’imprégner de cette nouvelle réalité, puis reprenait sa marche dans l’obscurité, son fanal à hauteur de son visage.

Combien de temps erra-t-il ainsi dans l’obscurité ? Une nuit ? Une journée ? Une éternité ?

En ce lieu, le temps avait perdu toute signification ; il paraissait avoir cessé d’exister. Soudain, une bouffée d’air s’engouffra ; méphitique, un souffle de mort, les lourdes vapeurs soufrées le prirent à la gorge. À genoux pour tenter de retrouver un peu de l’air frais, sa main heurta tout à coup une surface rugueuse, d’où se détachèrent quelques moellons. Sa lampe portée à hauteur de la paroi, il découvrit un mur arrangé de briques et de silex. Soulagé, son souffle recouvré, il tâtonna quelques instants à quatre pattes à la recherche de quelques filets d’air qui signalerait un passage, en vain. Dépité, il plaqua un morceau de tissu contre sa bouche, puis s’en retourna en direction des sources de pestilence. À mesure qu’il s’enfonçait dans la galerie, les émanations fétides devenaient de plus en plus épaisses, presque poisseuses, quand il aperçut soudain un trait de lumière en provenance du plafond. Soulagé, il distinguait à présent la silhouette d’une marche taillée dans la pierre. Élevé, le faible lumignon de sa lampe éclairait les contours d’une trappe qu’il devinait lourde. Cependant, il n’éprouva aucune peine à la soulever, tandis qu’il se hissait dans la pièce ; sa lanterne posée sur un sol poussiéreux.

Debout dans une salle minuscule, percée de quelques fenêtres toutes condamnées, il retint de justesse un cri d’épouvante, quand il découvrit le cadavre décapité, une croix enfoncée dans la poitrine, d’un officiant. Gisant sur le sol, à quelques pas de là, sa tête renversée le contemplait de ses orbites vides. Agenouillé, il s’en empara. Placé au creux de sa paume, il considéra un long moment sa face ricanante d’homme mort, puis il la posa à côté de son corps, avant de refermer la trappe par laquelle il s’en était venu. L’oreille tendue, il écoutait les bruits étouffés du dehors qui lui parvenaient. Par les embrasures des planches mal fixées, une lumière sale voyait flotter d’innombrables brins de poussières. Par jeu, comme pour se donner du courage, il glissa sa main entre le mur et le vitrail cassé, tandis que sur la paroi naissaient alors des choses : des oiseaux, des sorcières, des chimères ; ses doigts retombèrent.

— Gamayun, murmura-t-il, comme il poussait le panneau d’une porte entrouverte, le cœur serré.

De l’autre côté, il découvrit une salle immense ; certainement un lieu où les gens se recueillaient s’il en croyait l’autel et les chaises renversées. Cependant, il n’eut pas fait quelques pas, qu’il se figea. En face de lui, sinistre, il apercevait la silhouette d’un tertre, amoncellement d’os desséchés, que quelques maigres puits de lumière éclaboussaient. Sa lanterne à la main, il s’en approcha. Jetés à la hâte, ils portaient tous de profondes traces de sillons, quand d’autres étaient brisés en morceaux, comme pour en extraire la moelle.

Était-ce le lieu où Sirin et sa fille dévoraient ses proies avant de les abandonner ? À moins que ce ne fussent les restes des malheureux qui se seront tués à la tâche, que la sorcière aura ensuite engloutis ?

Péniblement, il s’arracha à la morbide fascination, puis se mit en quête d’un escalier qui mènerait aux coursives. Du regard, il en suivit une jusqu’à un diverticule, au fond duquel il apercevait un vitrail condamné. Contournant l’ossuaire, il s’enfonça alors dans la pénombre, retenant son souffle quand ses pas soulevaient un nuage de poussière. Prenant garde à ne point trébucher sur les morts, ou les restes d’un gisant, il se dirigea vers un passage, dont il entrevoyait la silhouette plongée dans l’obscurité épaisse. Arrivé à sa hauteur, il découvrit une porte à demi arrachée, fracassée à coups de hache, qu’il enjamba avant de s’engager dans les degrés.

Les mains posées sur le garde-fou, face à la croisée d’ogives, il contemplait l’amas des squelettes inertes. À son sommet, quelqu'un avait placé un crâne, les orbites tournées vers la lumière. Baigné par la lueur blafarde du soleil matinal, il en paraissait plus lugubre encore. Du regard, Vuk balaya la voûte: des briques manquaient, des tuiles s'étaient envolées ; en contrebas, des vitraux cassés avaient été remplacés par des planches de bois pourri. De l’autre côté, il apercevait le colimaçon qui le conduirait au clocher. Arraché à sa contemplation morbide, il s’engagea sur le chemin. Sous ses pieds, les lames grinçaient, gémissaient, craquaient. Parfois, il se reculait, un trou béait alors dans le palier. En regard, la silhouette funeste de l’ossuaire ne cessait de l’interroger. Arrivé au pied de l’escalier, Vuk se retourna. Le crâne, toujours baigné de cette lueur blafarde, demeurait immobile, ses yeux vides fixant la lumière.

Que contemplait-il ainsi ?

En l’instant, il n’aurait pas été surpris de le découvrir se redresser et s’adresser à lui. Cependant, c’était là le crâne d’un homme mort, d’une femme peut-être, qui ne verrait jamais plus que les ténèbres. Maintenant adossé contre le mur du beffroi, quelques pierres ramassées, les paupières closes, il écoutait la rumeur : bruits du moulin qui écrase le grain, jurons d’un journalier, chant d’un moineau, gémissement des bourdons qui se balancent. Encore bas, le soleil éclairait à peine l’intérieur. Ainsi plongé dans une douce pénombre, oublieux de ses fascinations, il ne tarda pas à s’assoupir, bercé par le lent mouvement de balancier de la mécanique.

Cependant, l’astre se hissait de plus en plus haut et la température montait de même dans le clocher. Réveillé, Vuk se réfugia alors contre un pilier, dont la pierre présentait encore quelque fraîcheur, quand une ombre se dessina soudain sur le plafond. Recroquevillé, il aperçut un oiseau au plumage sale qui tentait de passer sous l’une des planches de l’abat-son. Maladroit, il titubait, tandis que son crâne heurtait le métal. Tout à coup, il chuta. La tête relevée dans sa direction, Vuk découvrit des prunelles laiteuses, des yeux aux orbites brûlées part le soleil.

— Marzanna, souffla-t-il.

Aveuglé, la corneille essayait de se redresser, tout en agitant en vain ses ailes déplumées. Toutefois, il ne pouvait se risquer à le capturer ainsi. Même affaibli, il était toujours en mesure de fuir. Une pierre entre les doigts, il la visa. Touché à la tête, l’animal, pris de panique, s’envola, puis heurta la lourde cloche qui se balançait en silence, avant de choir sur le parquet poussiéreux. Assuré de sa vulnérabilité, Vuk l’enveloppa aussitôt dans son chaperon, puis lui fendit le poitrail.

À l’intérieur, un cœur desséché palpitait, un cœur noir comme l’obsidienne ; le cœur de Sirin. Assis en tailleur, il avait sorti de sa bourse la fragile mécanique que lui avait confiée la veille Jagoda. À l’opposé des ventricules, une minuscule clé permettait d’en remonter le mécanisme. Le ressort tendu, il échangea alors les organes, avant de refermer la plaie avec quelques-uns des copeaux de métal qui jonchaient le sol. Les yeux grands ouverts, la corneille le fixait de ses prunelles mortes. Mal à l’aise, il passa une main sur ses paupières et les lui couvrit. Ainsi closes, il contempla un moment l'oiseau emmitouflé, puis la déposa à l’ombre des abat-sons. Le cœur noir rangé dans sa bourse, il s’engagea dans le colimaçon. Étouffés, la rumeur du dehors ne lui parvenait plus que par bribes, cependant qu’un silence pesant régnait dans le chœur et, tandis qu’il marchait dans la coursive, il ne pouvait détacher son regard de l’ossuaire avec de son crâne qui en ornait le sommet.


Texte publié par Diogene, 24 décembre 2022 à 22h08
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