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tome 1, Chapitre 29 « Le Royaume d'Iria » tome 1, Chapitre 29

La main tendue vers le plateau, la pièce en avait à peine effleuré la surface, qu'une vive lumière en jaillît. Aveuglé, Vuk demeura ainsi plusieurs minutes dans l'obscurité, jusqu'à ce qu'enfin il recouvrât la vue. En face de lui, assis sur l'un des fauteuils de racines tressés, un jeune homme roux, un peu plus âgé que Vuk, le fixait tout sourire.

— Bienvenue à Iria, Vuk, le salua-t-il. Et ne t'inquiète pas de notre marâtre. Elle ignora l'existence de ce lieu, aussi longtemps qu'elle n'aura pas renoué ses liens avec la terre, sa mère.

Étonné, Vuk tendit une main vers lui, mais ne rencontra que le vide.

— Hé oui, ce n'est là que mon esprit, mon corps ne renaîtra qu'à la fin de l'été. Vois-tu, seule la mort pouvait m'apporter la délivrance. Enterré auprès de ma grand-mère, avec la pierre d'Osenniy, je me régénère. Toutefois, je sais que ton temps est compté.

— En effet, Ptitsa. Sirin m'a ordonné de défricher les lieux en trois jours et trois nuits, car le jardinier qui en avait la charge a disparu il y a peu.

— Disparu ! éclata-t-il de rire. Il n'y en a jamais eu de jardinier ici. Cet arbre, ainsi que les bosquets qui l'entourent, était notre royaume pour ma sœur et mes frères. Hélas, après que nous ayons été châtiés, plus personne ne fut là pour l'entretenir et la corruption qui siège en son cœur aura fait le reste. Toutefois, n'aie crainte, désormais que tu m'as éveillé, son maléfice va cesser d'opérer et dans trois jours tout aura séché. Craques-y une allumette et tout sera achevé. Encore une chose ! ainsi que Kalina te l'a confié, mère a volé les souvenirs de notre sœur, afin que plus jamais elle ne revienne se baigner dans cette rivière où tu l'as surpris cette nuit ; je me rappellerai toujours comme elle tempêta à son retour. Le lendemain matin, je remarquais alors qu'elle n'avait plus son œil de verre ; il ne fait aucun doute qu'elle les a scellés à l'intérieur. Par jeu, j'en avais confectionné un aussi semblable que le sien ; si parfait que je l'ai trompé plus d'une fois. Par précaution, je l'avais caché dans un coffret que je dissimulais dans le nid d'un pic-vert, creusé dans un vieux cerisier, planté non loin du potager dans le village.

À ces mots, Vuk pâlit.

— Hélas, Ptitsa, je crains qu'il ne soit réduit à l'état de petit bois, pire de cendre, car je l'ai abattu il y a plusieurs semaines de cela.

Mais à sa grande surprise, Ptitsa éclata d'un rire tonitruant.

— De cendre ou de petit bois. Cela n'arrivera pas, ou si cela se produit, ce ne sera pas avant plusieurs mois. Il y a trop de permissions à demander avant que ne soit exécuté le moindre ordre. Cette nuit, mère sera absente. Faufile-toi donc jusqu'au village et rapporte-le moi.

Le soir venu, alors que les étoiles illuminaient peu à peu le ciel, Vuk prit son envol en direction de Vostochnoy. Silencieux, il planait au-dessus d'un hameau vierge de toute présence. Ainsi que l'avait prédit Ptitsa, personne ne s'était encore préoccupé du vieux cerisier, dont des champignons attaquaient déjà la souche. Posé au pied du muret, adossé au fût, il reprit forme humaine, puis fouilla à tâtons le tronc pourri. La main plongée dans un large trou, ses doigts heurtèrent soudain un objet dur. À la lueur de la lune, il reconnut aussitôt la boîte dont Ptitsa lui avait fait la description. Soulagé, glissé dans sa chemise, il revêtit de nouveau ses habits d'oiseleur et reprit le chemin des cieux, avant de s'enfoncer dans le labyrinthe épineux, où l'attendait Ptitsa. Toujours assis dans son fauteuil en bois tressé. Au-dessus de sa tête, au travers de la cime, les étoiles scintillaient comme autant de lucioles solitaires.

— Repose-toi, Vuk, murmura son compagnon, comme il se pelotonnait dans l'un des sièges.

Le jeune homme endormi, Ptitsa se leva, arracha l'une de ses plumes, puis en frappa le front de Vuk. Satisfait, il dénoua la chaînette qui entourait le coffret. Au fond, posé sur un écrin de velours, une sphère de la couleur tombée du ciel le fixait.

— Qu'avez-vous donc commis, mère ? soupira-t-il, cependant qu'il œuvrait.

Lorsque Vuk rouvrit les yeux, les étoiles dansaient toujours dans le firmament, Ptitsa était assis dans son fauteuil, le regard dirigé vers l'échiquier semblait n'avoir jamais bougé.

— Combien de temps ai-je dormi ? balbutia-t-il, les paupières encore lourdes.

— Bien assez, Vuk. Bien assez... Maintenant, prends cette plume.

Posée sur le plateau, la plume avec laquelle il lui avait frappé le front ce tantôt, luisait d'une flamme orangée.

— Rends-toi au centre du labyrinthe et creuse un trou dans lequel tu l'enterreras. Quand tu auras fini, reviens me voir.

Avec délicatesse, Vuk s'en saisit. Flottant au-dessus de sa paume, un léger picotement envahissait peu à peu sa main, comme si elle devenait de feu.

— Dépêche-toi. Le jour se lève bientôt et je dois encore t'instruire de la suite.

Un instant plus tard, Vuk émergeait du lassis de racines et de lianes, puis se dirigea vers le centre du jardin, cependant que la végétation semblait s'écarter à son passage. Figuré par une colonne, au sommet de laquelle une dame oiseau dansait, il excava un trou à ses pieds, puis y déposa la plume avant de le refermer et de s'en retourner au cœur de l'arbre creux.

— Merci, Vuk. Maintenant que le sortilège opère, je ne pourrai perpétuer encore longtemps cette image. Aussi, écoute-moi avec toute ton attention.

À mesure qu'il parlait, Ptitsa perdait de plus en plus de sa substance. Évanescent, il ne maintenait plus qu'à grand-peine son apparence.

— Au revoir, Vuk.

Sur l'échiquier, le cavalier n'était plus qu'une inerte pièce de bois sculpté, Ptitsa, l'Oiseau de feu avait disparu.

— Merci, Ptitsa, souffla Vuk tandis qu'il s'en retournait vers la surface.

Lorsqu'il émergea, les premiers rayons de l'aube embrasaient l'horizon. Tout autour de lui, les plantes avaient séché, consumées de l'intérieur. Il lui semblait qu'une simple brise aurait pu les balayer ; entre ses doigts, la branche d'une épine-vinette se désagrégea.

— Alors, mon garçon. T'es-tu acquitté de ta tâche ? grinça la voix de Sirin, soudain apparue sur le balcon.

Encore en bas des marches, il en escalada les degrés, puis s'adressa à la femme-oiseau :

— Ainsi que vous me l'avez ordonné Dame Sirin. J'ai défriché le jardin dans son entièreté.

Derrière lui, le vent s'était levé et emportait avec lui la jungle desséchée.

— Je dois avouer, tu as fait du bon travail. Va-t'en donc à la cuisine que l'on t'y serve un bon repas, tu le mérites. Ensuite, tu t'en iras trouver Nemanja, il aura une autre tâche pour toi.

Précédé de Jagoda, Vuk s'enfonça dans les entrailles de la forteresse. Sur les murs nus, il aperçut des marques, comme en auraient laissé des tableaux que l'on aurait retirées. Égale, Jagoda passait devant sans même les voir. Curieux, Vuk s'abstint néanmoins de lui en toucher le moindre mot.

Était-ce sa physionomie peu avenante, qui l'amenait à se conduire ainsi à son égard ? Ou bien, était-ce l'expression d'une réticence, dont l'origine lui échappait ?

— Prenez garde à votre tête ! Les plafonds sont bas par ici, lui recommanda-t-elle, comme elle s'engageait dans un escalier étroit et bas, cependant que leur parvenaient les effluves de plats prometteurs.

Toutefois, Vuk doutait que la domesticité eût droit aux mêmes égards.

— Plamen ! Ludmila ! Dame Sirin souhaiterait que vous prépariez de quoi déjeuner pour ce jeune homme, cria Jagoda, en bas des marches.

Dans la cuisine, deux silhouettes obèses s'affairaient autour d'une table chargée de victuailles.


Texte publié par Diogene, 15 octobre 2022 à 20h19
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