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tome 1, Chapitre 27 « Au Cœur du Château de Ad » tome 1, Chapitre 27

Le lendemain, il se rendit à la mine, ainsi que le lui avait ordonné Borya. Déjà là, les bras croisés sur son torse, il tendit soudain une main en direction d'un point en contrebas.

— À la fin de l'hiver, au cours de la débâcle, un énorme roc a dévalé la vallée et s'est engagé dans le lit de la rivière que tu vois en bas. Personne n'a réussi à le déplacer, encore moins à la briser. Ce sera donc ta tache. Débarrasse nous en avant le coucher du soleil et je t'introduirai auprès de Dame Sirin.

— Attention, tu n'auras pour seul outil que cette masse, ajouta-t-il, comme il glissa dans sa main un minuscule marteau, dont la pointe enfoncée aurait à peine entamé le moindre caillou.

— Hé bien ! qu'attends-tu ? Que le soleil se couche ! lui aboya Borya.

Mais Vuk avait déjà tourné les talons et descendait le long du sentier escarpé qui le conduirait au fond du gouffre. Parfois, son pied glissait et des débris dévalait alors la pente raide. Si des hauteurs la chose demeurait d'une taille raisonnable, à mesure qu'il s'approchait, il lui semblait que le rocher grandissait. Arrivé au bord de la rivière, il découvrit un immense roc, aussi haut que deux hommes, dont la masse emplissait presque dans son entièreté le lit de la rivière, ne laissant s'échapper qu'un minuscule filet d'eau. Engagé sur la berge, devenue marécageuse, il sauta aussitôt dans l'eau vive, manquant de peu de se fracasser contre le morceau de falaise.

— N'oublie pas ! je viendrai vérifier dès que le soleil se sera couché, lui avait crié Borya, alors qu'il tentait de ne point se rompre le cou pendant sa descente.

Face au rocher, il en caressa longuement la surface lisse, avant de donner un premier coup de marteau, en même temps qu'il le frappait de son pied acéré, lui arrachant un éclat plus gros encore que son poing. Acharné, il le frappa ainsi jusqu'à ce que le soleil fût si haut, qu'il lui fallut se terrer sous le couvert des arbres. Par bonheur, le roc n'était déjà plus que l'ombre de ce qu'il avait été, si bien qu'il l'acheva avant que le crépuscule n'eût envahi le ciel de ses couleurs nocturnes.

— Alors ! s'époumona Borya, qui descendait à pas forcé le sentier.

Assis au bord de la rivière soudain gonflée, Vuk l'attendait au frais, les pieds plongés dans le courant glacé.

— Comme vous me l'avez demandé, maître Borya : j'ai brisé ce rocher et délivré les flots.

Suspicieux, Borya examina les alentours à la recherche de quelque magie, ou encore d'objets qui eut pu l'aider, en vain. De plus, nul n'avait entendu d'explosion, seulement l'écho des coups répétés d'un marteau contre la pierre.

— Je dois bien admettre que tu as réussi. Je n'ai qu'une parole, jeune homme. Demain, après le lever du jour, tu iras te présenter devant les portes du château de Ad. Là, on t'indiquera tes nouvelles fonctions.

— Merci, maître Borya, murmura-t-il.

Mais Borya ne l'écoutait pas ; déjà il remontait le flanc de la falaise en direction de la mine. Au village, leurs chemins séparés, Vuk regagna bien vite son logis. Dans sa chambre, assuré que sa porte était fermée et tout le monde endormi, il s'échappa dans la nuit, récupérer les serres qu'il avait dissimulées la veille dans le tronc d'un arbre creux. Passé les heures nocturnes, il se présenta alors au petit jour devant les portes du château. Sur le seuil, un géant au cou grêle et aux yeux cave, l'attendait. Silencieux, il l'invita à entrer dans la cour du château.

— Voici Dame Sirin, rauqua l'étrange majordome comme était apparue au balcon une femme au visage dissimulé par un épais voile.

Vêtue d'une aube bleue nuit, presque noir, elle aurait pu être semblable à n'importe quelle châtelaine, si ce n'était la sourde menace qui émanait de sa personne.

— Montrez-lui sa chambre. Je le recevrai ensuite, lança-t-elle soudain.

Mélodieuse, il sentait sa voix s'insinuer dans son esprit, se lover contre sa chair, pareil à un serpent qui l'enserrerait dans ses anneaux. Se confectionnant un masque d'attrition, Vuk garda le silence, tandis que le géant s'inclinait devant sa maîtresse. Debout, il plongea son regard dans celui dans le sien puis hocha la tête. Il demeura ainsi un long moment, puis s'éloigna en direction des coursives. Ainsi, il ressemblait plus à un fantôme qu'à un être de chair et de sang.

Passé un lourd battant, ils pénétrèrent de concert dans le château de Ad. Austères, dépouillés de toute fantaisie, les intérieurs du château étaient à l'image de son extérieur, lourd, épais, lugubre. Quelques tableaux et tapisseries ornaient çà et là les murs, qu'accompagnaient quelques rares meubles de bois massif. Arrivé devant un étroit escalier, le géant se courba en deux, puis s'engagea. Derrière lui, toujours silencieux, Vuk le suivait, une main posée sur le pilier central. Enfin, ils débouchèrent sur un minuscule corridor, percé de fenêtres tout aussi petites, sur lequel donnait une enfilade de portes. Déployant son corps immense, l'homme s'avança d'un pas soudain devenu pesant, puis s'arrêta devant la troisième. D'une poche de sa lourde pèlerine, il tira un jeu de clé et l'ouvrit. À peine Vuk y était-il entré, que l'huis se refermait sur lui. Immobile dans la chambre nue, il entendait le majordome qui s'éloignait. Assis sur le lit en bois, dont le matelas avait sans doute connu de meilleurs jours, il posa son sac, puis s'approcha la lucarne. La main refermée sur son pendentif, le contact du métal le rassura ; il était vivant.

De l'autre côté, il apercevait Vostochnoy, où s'agitait la fourmilière automate humaine. Nulle chaleur ne se dégageait de cette vision. Tout n'était que froideur mécanique, humains ravalés au rang de machines qui accomplissaient des choses, au contraire des autres villages où, malgré la rudesse de leurs conditions de vie, il y avait partagé la convivialité et la vie bonne. Navré, il s'étendit sur la couche trop molle, les bras croisés derrière la tête, et ferma les yeux. Mais il ne les eut tôt pas fermés que quelqu'un frappa à la porte.

Sur le seuil, caricature humaine, un être déformé le fixait de ses yeux globuleux.

— Ma maîtresse va vous recevoir. Si vous voulez bien me suivre, avait-il alors déclamé d'une voix monocorde.

Vuk avait refermé la porte derrière lui, puis avait suivi l'étrange personnage. Plus petit que lui – il hésitait quant à savoir s'il était un homme ou une femme – son corps massif paraissait avoir été composé dans quelque glaise que l'on aura mal cuite. Cheminant dans un labyrinthe de pierres et de ténèbres, rares étaient les présences humaines, la plupart du temps contrefaites. Au cœur du donjon, nulle lumière ne semblait avoir droit de citer, sinon celle dispensée par de maigres torchères suspendues aux murs. Soudain, ils se trouvèrent face à une immense porte à double battant. Sur les larges panneaux, des figures y étaient sculptées : face de démons grimaçants, portraits d'homme, femme de profil ou de face, animaux fabuleux.

— Fais donc entrer notre invité, Vesna, grinça soudain une voix derrière.

Se saisissant du lourd anneau, la femme entrouvrit le panneau, puis le referma dès qu'il en eut franchi le seuil.

— Approche, poursuivit la voix.

Vuk réprima un frisson. Mécanique, éraillée, rouillée, dépouillé de ses artifices la voix de cette femme lui rappelait le bruit d'un vieil engrenage, dont les dents s'effriteraient.

— Je ne vais pas te manger...

« Enfin pas encore », aurait-il juré avoir entendu.

Plongée dans l'obscurité, il n'apercevait de son hôtesse que les reflets de son voile dans un miroir.

— Viens donc t'asseoir, l'invita-t-elle.

Désincarnée, sa voix lui paraissait de plus en plus lointaine à mesure qu'il s'approchait du bureau, derrière lequel elle était assise. Réprimant le dégoût qu'elle lui inspirait, il prit place dans un fauteuil en bois au confort douteux. Bien qu'il ne devinât rien de ses traits, il sentait peser sur lui un regard inquisiteur. Calme, il ne laissait paraître rien de ses pensées intimes ; il n'était qu'un jeune homme en quête d'une place et d'un travail.


Texte publié par Diogene, 28 septembre 2022 à 22h23
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