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tome 1, Chapitre 24 « L'Accomplissement de Vuk » tome 1, Chapitre 24

Les jours passèrent, les nuits, Nadia travaillait toujours. De la forge montaient des flammes, des odeurs de métal fondu, les bruits sourds des outils qui gémissent sous l'effort. Mais un matin, tout cessa et Nadia remonta. Entre ses mains, elle tenait le bec d'un oiseau de proie.

— Voici, ainsi que tu m'as instruit, ce qu'Alkonost désirait que je te façonne.

Les yeux levés, son regard croisa celui de la forgeronne.

— N'ayez aucune crainte, Nadia. Je ne compte pas me dérober. Je me rendrai, ainsi que vous leur avez promis, à l'assemblée du village.

— Merci, Vuk, souffla-t-elle entre deux sanglots.

Une main posée sur l'épaule, Vuk l'apaisa.

— La peur engendre bien des choses et entraîne les gens vers de bien mauvais chemins. Personne ne vous privera de votre fille. Quand bien même vous aurez prouvé votre valeur, aux yeux de beaucoup vous n'en demeurez pas moins une femme qui n'est pas à sa place. Du temps se passera avant que ce regard ne change et vous en serez l'instrument.

Son pendentif autour de son cou, habillé, le bec dans sa gibecière, il suivit Nadia. Dehors, une foule nombreuse l'attendait. Quelques-uns avaient le visage déformé par la haine, d'autres par la peur, mais la plupart paraissaient indécis.

— Suis-nous je te prie, annonça un homme dont la stature lui rappelait celle du forgeron Krukis. Nous souhaiterions t'entendre maintenant qu'Alkonost n'est plus.

D'un hochement de tête, Vuk acquiesça et fendit la foule qui s'écartait à son passage. Arrivé à hauteur du sanctuaire, il s'arrêta devant le jeu d'échecs. Le vent n'avait pas balayé toutes les pièces : un roi blanc pour Alkonost, un cavalier noir pour Ptitsa, un fou blanc pour Stratim, une reine noire pour Gamayun. Les mots s'échappaient de sa bouche. Il ignorait s'ils le croiraient ou non, il n'était certain que d'une seule chose : la vérité. Lorsqu'il eut achevé, un murmure se répandait dans la foule, dont il devinait déjà les intentions. Mais il ne fuirait pas, il ne s'envolerait pas comme le lui permettraient ses pouvoirs. À la place, il affrontait leurs regards hostiles, des regards qui oscillaient entre peur et désarroi.

— Pourquoi ne te défends-tu pas ? l'invectiva l'homme qui l'avait mandé.

À la place, il se saisit du roi blanc sur l'échiquier. Tenu au creux de sa paume, il paraissait tout à la fois immense et minuscule.

— Il ne m'appartient pas de me défendre. Vous m'avez demandé de vous raconter les événements de cette nuit, il en a été ainsi. Alkonost est mort, en effet. Et je l'ai enterré de mes mains dans un endroit secret au cœur de la forêt, car tel était son souhait.

Ce faisant, il brisa la pièce d'échec d'où s'en échappa alors une nuée opalescente.

— Alkonost, murmura la foule lorsqu'elle aperçut l'oiseau paré des couleurs de l'aube.

— Ce jeune homme a-t-il dit la vérité ? lança l'homme qui l'avait amené.

— En effet, Branimir. Désormais, vous êtes libres. Sirin ne vous attaquera plus et je ne vous protégerais plus. Apprenez de vos erreurs et grandissez.

Puis s'adressant à Vuk, il ajouta :

— Tu devras te rendre au village de Vostochnoy. Là-bas, tu t'engageras comme journalier pour travailler les champs. Ce sera pour toi la seule manière de pénétrer le domaine de Temnota.

— Adieu, vous que je considérais comme mes enfants, acheva-t-il comme son image se dispersait au milieu des flocons qui s'étaient soudain mis à tomber.

Branimir s'était alors avancé vers Vuk, mais ce dernier l'avait arrêté d'un geste.

— Branimir, vous n'avez pas d'excuses à me présenter. Alkonost vivait avec la culpabilité de vous maintenir dans une prison dorée. Mais tout autant que mon combat était juste, le sien aussi. S'il m'a aidé, ce fut de son propre gré, comme je le secourais et l'emportais, plutôt que de m'emparer du Zimniy de Sirin. Branimir, je n'ignorais rien des réactions que vous auriez à mon égard.

Silencieux, Branimir le fixa un long moment, puis le serra dans ses bras.

— Merci.

Confus, il se retira, tandis que l'assemblée se dispersait à son tour. Désormais seul, il contemplait les pièces restées sur l'échiquier : un cavalier noir pour Ptitsa, un fou blanc pour Stratim, une reine noire pour Gamayun. Les flocons tombaient de plus en plus dru. Bientôt, ils auraient enseveli la vallée entière. Les figurines de bois dans la main, la figure tournée vers la crête déchiquetée, il apercevait au travers du voile blanc la silhouette sombre et inquiète du château de Temnota, ainsi que l'avait nommé Alkonost.

De retour à la forge, Kveta l'attendait sur le seuil, maître Domovoï à côté d'elle. Émus, ils se contentèrent de le regarder s'éloigner, tandis qu'il marchait en direction de la rivière gelée. Là-bas, assise sur une vielle souche, Nadia contemplait le ciel.

— Nadia ? l'appela-t-il.

Les genoux recroquevillés sous son menton, elle se retourna. Au fond de ses grands yeux bleus, il y lisait une étrange mélancolie.

— Ma question vous semblera, sans doute, déplacée. Cependant, qui était le père de Kveta ?

Un sourire triste se dessina sur les lèvres de la forgeronne.

— Tu n'as pas encore deviné, soupira-t-elle, un sourire contrit sur les lèvres les yeux tournés vers le firmament.

— Si, acquiesça-t-il, comme il revoyait les images entraperçues, quand ils s'étaient rendus ensemble sur la lune.

Penché sur son épaule, il lui murmura alors quelques mots au creux de l'oreille.

— Vuk, sanglota-t-elle. Y a-t-il quelque chose que je ne puis t'offrir en retour ?

La main ouverte, il dévoila alors la minuscule figurine de bois noir.

— Nadia, pourriez-vous en faire une copie que vous glisseriez ensuite dans l'œuf de mon pendentif ?

Fascinée, elle fixait la pièce du jeu d'échecs. Sculptée avec tant de soins et de minutie , elle en paraissait presque vivante.

— Oui... bien sûr, souffla-t-elle d'une voix atone.

Ravi par la figure de bois, elle demeurait immobile, incapable d'en détacher le regard, s'attendant à ce qu'elle prenne vie. Lentement, elle s'était redressée, puis la lui avait rendue.

— Rentrons, Vuk. Que je me mette au travail.

Dans l'atelier, Vuk, Kveta et Domovoï la regardaient œuvrer, comment elle avait sculpté la cire, modelé la terre et l'avait cuite, fondu le métal, brisé le moule. Quand cela fut accompli, Vuk l'emporta avec lui dans la forêt, au pied de ce tilleul où il avait creusé la terre qui, à présent, accueillait sa dépouille. Recueillie sur le tertre, elle laissa cours à son chagrin, tandis que Vuk s'éloignait. Les doigts entre les lèvres, il siffla, reproduisant à l'identique celui d'Alkonost. L'ombre était là, ses yeux incandescents scintillaient au milieu des fourrées.

— Que me veux-tu, humain ? gronda la chose.

Silencieux, Vuk se retourna. Nadia, agenouillée devant le tertre, sanglotait doucement.

— Protège-la, elle et sa fille, jusqu'à son retour.

— Dans tes veines, coule le sang, d'Alkonost, alors j'obéirai.

Vuk la remercia, mais elle avait déjà disparu. Derrière lui, Nadia s'était levée. Les yeux rougis, elle fixait le garçon qui lui tournait le dos.

— Ramène-moi, s'il te plaît, Vuk, murmura-t-elle.

Quelques instants plus tard, il prenait son envol, puis se posait à l'entrée de la forge. Sa fille entre ses bras, elle la serra longuement.

— Merci, mon garçon. Hélas, nous ne pouvons te retarder plus longtemps. Trop de jours se sont passés depuis la fin de l'hiver et la route sera longue jusqu'au village de Vostochnoy.

Mais Vuk secoua la tête, serein.

— N'ayez crainte, les rassura-t-il.

Puis s'adressant à Domovoï, il poursuivit :

— Maître Domovoï, je crains qu'ici nos chemins se séparent. Les villageois auront besoin de quelqu'un d'aussi sage que vous, vous qui avez tenté de ramener à la raison les habitants de Zapadnoy. Quant à moi, c'est un chemin qu'il me faut parcourir seul à présent.

En silence, Domovoï acquiesça d'un hochement de tête.

— Kveta, je ne vous dis pas adieu, mais seulement au revoir, lui lança-t-il comme il reprenait son envol, en direction du mystérieux village de Vostochnoy.


Texte publié par Diogene, 10 septembre 2022 à 21h08
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