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tome 1, Chapitre 20 « Duel Nocture » tome 1, Chapitre 20

Stupéfaites, les deux femmes le fixaient bouches bées, comme il entreprenait de leur expliquer sa fonction cachée. L’air grave, Nadia allait se lever, mais renonça.

— Vuk, maître Domovoï, je crois que je me dois de vous présenter des excuses pour la rudesse de mon accueil.

Mais le vieil eubage secoua la tête en signe de dénégation.

— Non Nadia ! n’en faites rien. Vous avez peur. En fait, tout le village a peur ; certains plus que d’autres, car ils n’ont pas voulu oublier.

Navrée, la forgeronne poussa un long soupir.

— Oh oui, j’ai peur. Plus encore, parce que ma fille fera partie des initiés aux mystères à la fin de la saison, après le combat qu’Alkonost mènera contre sa mère Sirin. Certes, elle pourra exercer ses talents, comme je le fais des miens. Néanmoins, quel sens cela pourrait-il avoir encore, lorsque nous ne sommes plus maîtres de nos choix, qu’une soi-disant divinité nous murmure à l’oreille ce qui est encore le mieux pour nous ? Pourquoi être protégé si nous n’avons plus d’avenir, si ce village n’est plus qu’une prison dorée ? Désormais, je comprends pourquoi grand-père a construit cette pièce. Petite, je lisais les ouvrages qui y étaient rangés, encouragés par mes parents. Il est vrai que sans eux, je n’exercerai pas cet art que beaucoup ne voient réserver qu’aux seuls hommes. Je ne veux pas de cela pour ma fille ni pour aucun autre enfant. Personne ne mérite le sort que nous connaissons.

À bout, elle éclata soudain en sanglots, que recueillit Domovoï.

— Mère ! s’exclama Kveta.

Mais celle-ci la rassura d’une main amicale. Toujours assis, Vuk rassemblait ses pensées. Il savait qu’il ne pourrait jamais vaincre Alkonost, de même qu’il lui répugnait de le défaire.

— Kveta, maître Domovoï, s’enquit-il soudain.

— Qu’y a-t-il, mon garçon ?

Debout, l’air grave, il éprouvait une peine immense pour cette femme qui s’était hissée au-delà de la condition dans laquelle beaucoup auraient souhaité la reclure.

— Ne soyons pas dupes, je suis un novice aux échecs. Jamais je ne pourrai me mesurer à Alkonost.

— En effet, confirma Domovoï. Tu ne le pourras pas.

À côté de lui, Kveta acquiesça.

— Mais vous, vous le pourriez, n’est-ce pas.

Les sourcils froncés, Kveta parut hésiter.

— Cela se pourrait. Je l’ai battu une fois, lors de la fête du solstice d’hiver l’an dernier. Avec l’aide de maître Domovoï, la chose serait envisageable. Mais ni l’un ni l’autre ne pourront être présents pour t’aider.

Pensif, Vuk avait défait la bourse nouée autour de son cou, avant d’en exhiber les trois plumes que lui avait offertes autrefois Gamayun.

— Qu’est-ce que c’est ? murmura Nadia.

— Des plumes de Gamayun, une pour chaque saison. Elles m’ont protégé de la vision de Sirin, quand celle-ci est venu chercher sa fille parce qu’elle tardait à revenir.

— Oh ! étouffa Kveta.

— Puis-je ? ajouta-t-elle, comme elle tendait la main vers la plume noire.

Avec délicatesse, Vuk s’en saisit, puis la déposa au creux de sa paume. Soyeuse, chaude au toucher, elle paraissait chasser toutes les ombres qui hantaient son cœur.

— Une plume d’hiver. Ce fut la première fois que je la rencontrais, j’avais cinq ans. Depuis longtemps, je l’observais les nuits de temps clair, lorsqu’elle survolait notre forêt.

Autour d’eux, le paysage se métamorphosait, ils n’étaient plus dans la pièce de vie d’un chalet, mais dans une forêt lointaine, assis sur le rebord d’un talus surplombant une rivière. En contrebas, une petite fille se baignait dans ses eaux glacées. Posée sur un lit de mousse, une paire d’ailes, couleur aile de corbeau, reflétait les étoiles dans le ciel. Soudain, ses yeux avaient dérivé puis avaient rencontré ceux d’un petit garçon, lui qui était accroupi à côté, la main tendue. Des mots avaient jailli de sa bouche, mais le garçonnet n’avait pas fui. Soudain, elle avait paru pâlir, quand dans le ciel une ombre apparaissait. Ayant arraché l’une de ses plumes, elle lui en avait confié une, avant de le pousser dans le songe creux d’un tronc spongieux. Menaçante, l’ombre de la femme-oiseau avait scruté les lieux à sa recherche, en vain. Puis, elle avait pris sa fille et toutes deux étaient parties. Lorsqu’il eut fini son récit, un temps la vision demeura, avant de se fondre dans les brumes de leur mémoire. Vuk avait repris la plume des mains de Kveta, dont les yeux reflétaient les flammes dans le foyer.

— Je crois que je saisis ton idée, Vuk, murmura-t-elle. Tu penses que ces plumes nous permettront de te parler, au travers de nos pensées, de la même manière que tu nous as narré ta rencontre avec Gamayun.

Vuk opina. Ses idées étaient encore confuses, mais il ne doutait pas de leur bien fondée.

— Moi, cachée dans la bibliothèque, maître Domovoï dans sa chambre avec la chandelle que vous a confié Ptitsa, l’Oiseau de feu. Mais toi, Vuk, où dissimuleras-tu ta plume ? Alkonost ne manquera pas de le remarquer.

Pour toute réponse, il ôta son pendentif et ouvrit l’œuf tenu entre les serres de l’oiseau. Creux, il y glissa la plume noire, tandis qu’il leur confiait les deux autres.

— Cet oiseau fut forgé dans les copeaux du Letniy, quant à l’œuf ce fut avec les cendres de l’Osenniy, leurs pouvoirs respectifs nous protégeront. À présent, nous avons deux jours pour nous préparer.

— Quand aura lieu votre duel ? s’enquit Nadia.

— A l’apparition du premier croissant de lune ascendante, puis à la pleine lune, enfin au dernier quartier de lune descendante.

— La veille de l’apparition de Sirin, soupira-t-elle d’un ton lugubre. Je te souhaite de réussir, jeune Vuk.

Silencieux, il n’ajouta rien, mais posa une main sur son épaule.

Les jours passèrent, longs, monotones, sinistres, tandis qu’une tempête s’était abattue sur le village, tel un oiseau de mauvais augure. Reclus à la forge, Vuk partageait son temps entre la bibliothèque et les parties d’échecs, qu’il menait avec Kveta et Domovoï. Serein, il préférait ne rien montrer de ses sentiments. Ce fut ainsi qu’il se présenta aux portes du temple le soir du premier croissant de lune. Paré de son aube, Alkonost l’attendait devant les portes. Son visage semblait empreint de fierté, mais aussi de tristesse, comme si la destinée était déjà tracée, que rien n’en bousculerait le sentier.

— Es-tu prêt, Vuk ? demanda-t-il.

Dans le ciel, la lune perçait à peine l’épaisse couverture nuageuse apportée par la tempête.

— Jouons, avait-il rétorqué d’une voix égale.

Sur la place, des gens invisibles avaient dressé une table, sur laquelle ils avaient installé un jeu sculpté dans le marbre. Assis face à face, Alkonost avait pris les noirs, laissant à Vuk l’avantage de commencer.

— N’as-tu rien à dire ?

— Non, répondit Vuk, comme il poussait un premier pion.


Texte publié par Diogene, 14 août 2022 à 10h27
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