Le soleil était déjà haut quand je me réveillai le lendemain. Ma tête et mon dos me faisaient intensément souffrir et je tremblais de froid à cause des sueurs froides que j’avais eu durant mon sommeil. La première chose que je vis, en ouvrant les yeux, fut un plafond fait de planches de bois. De la pourriture était visible sur certaines, et il avait l’air prêt à s’effondrer. Je ne remarquai qu’ensuite le lit dans lequel je me trouvais : un simple matelas pausé à même le sol et aux draps gris, rongés par les mites. J’essayai de me redresser en position assise, mais la tête me tourna et je plaquai la main à l’arrière de mon crâne. J’avais un bandage, qui en faisait le tour. La douleur s’estompa, et je décidai de me lever complètement. Ce fut avec des gestes maladroit que je réussi finalement à me mettre debout, me tenant aux murs. Je me dirigeai vers la porte de la même façon, dans une chorégraphie malaisée des plus ridicules, avant de me retrouver sur un minuscule palier. Des escaliers en bois, eux aussi semblant sur le point de craquer dès que j’aurais pausé le pied sur la première marche, descendaient vers une pièce illuminée par la lumière du jour. Je m’y dirigeai, me tenant fermement à la main courante branlante, et me retrouvai dans une petite cuisine au sol de pierre et aux murs tapissés avec un papier immonde représentant des petites fleurs aux couleurs criarde. Il y avait une table, en bois clair, et un homme assis sur une chaise devant celle-ci. Il y avait aussi une femme, debout devant des fourneaux, en train de s’activer. Je les voyais de dos, et ils ne me remarquèrent pas tout de suite. Je dus me racler la gorge pour qu’ils daignent tourner la tête vers moi.
« Oh ! Le voilà debout ! S’écria la femme.
– Et bien, mon garçon, que vous est-il arrivé ? Me demanda l’homme. Je suis sorti acheter du pain ce matin et je vous ai vu, là, allongé par terre, la tête en sang, devant la porte.
– Je vous ai fait un bandage, ajouta-t-elle, fière, mais celui-ci était sommaire et se résumait à un banal enroulement de bandes de tissus sale et gras autours de ma boite crânienne. Mais je ne lui fis pas remarquer, car ils avaient été bien gentil de m’accueillir et de me porter jusqu’à ce lit. Je me contentai de les remercier, aussi rapidement que le bandage avait été fait par cette grosse dame, et je me dirigeai vers la sortie.
« Vous êtes sûr que vous êtes en état de partir ? Vous ne voulez pas manger quelque chose ? » Ils eurent pour unique réponse la porte de leur maison délabrée claquant derrière moi. Vu la qualité de leurs soins, je ne voulais pas me tenter à gouter celle de leur capacité culinaire. Je n’avais qu’une seule chose à faire alors : aller retrouver Paulo Rad.
Nous sommes sur le quai, assis par terre, dans un coin poussiéreux, à attendre le premier train qui entrera en gare. Elisabetha dort sur mon épaule. Tout à l’heure, elle était éveillée, et avant qu’on achète nos billets, elle s’est arrêté et m’a regardé, de ses grands yeux brumeux. Elle m’a sourit alors, et, sans rien dire, des larmes se sont mises à couler sur ses joues. Je lui ai demandé pourquoi, pourquoi pleurait-elle alors qu’enfin nous partions, et elle m’a dit que c’était parce qu’elle réalisait son rêve, son rêve le plus fou et celui qui demeurait irréalisable : celui de s’enfuir et de vivre.
Sir Enosh Lochland, Alexander VanMurien et Edgar, le voiturier, étaient tous trois debout, devant une grande maison. Cette maison était celle d’Alexander. Si les choses s’étaient passées comme elles le devaient, comme elles auraient dû, ils auraient été quatre, et ils auraient tous acquis cette chose qu’ils désiraient tant, dont ils avaient été si proche, et qui leur paraissait à présent si lointaine : la vie éternelle. Alexander et Edgar étaient dans l’embrasure de la porte, Sir Lochland, tournait quant à lui le dos à la rue. Il était vêtu de son manteau noir, de son haut de forme, et il avait dans la poche de sa veste une petite enveloppe contenant une vieille photographie, et une lettre de sa femme qu’il aimait tant. Une calèche l’attendait, qui devait le conduire à la gare, et sa valise était déjà dedans. Il devait dire au revoir à ses amis, mais cela n’avait jamais été son fort. Il aurait aimé dire de belles choses, des choses qu’il pensait et qu’ils auraient pu garder avec eu alors qu’ils ne se reverraient plus – car ils en étaient là et ils le savaient tous : cet au revoir était un adieu. Mais il ne su quoi dire d’assez fort pour exprimer ses regrets, sa peine, et son amitié sincère envers chacun des deux hommes. Il se contenta de leur tendre sa main droite, qu’ils serrèrent chacun leur tour. Mais ils le connaissaient bien, alors ils comprirent, sans qu’il n’eut à ouvrir la bouche, qu’il aurait aimé parler, et ils savaient ce qu’il aurait dit s’il avait pu.
Voir le hall du commissariat vide, sans Miss Apple assise au comptoir pour m’accueillir de son regard triste et désespéré, me fit tressaillir. Que c’était-il passé ? Pourquoi la mort, vêtu de ce masque de clown effrayant, avait décidé de frapper, encore et encore, toujours au même endroit et sans raison ? Pourquoi ici, pourquoi maintenant, pourquoi eux, pourquoi nous ? Mais se poser des questions rendait fou, et je ne pouvais pas me permettre un tel luxe. Je parcouru le couloir qui me menait au bureau de Paulo Rad, mes pas se faisant de plus en plus lent, comme si je ne voulais pas réellement y aller. Comme si j’avais peur de le voir, cet homme, et de lui annoncer que notre ennemi commun m’avait échappé encore. Comme si j’avais peur, de lui, de sa réaction, et de le décevoir. Moi, peur de ce qu’un homme, malgré tout – comme je voulais me le faire croire – bien insignifiant à mes yeux, un homme que je pensais faible, et fou, et ridiculement inférieur à moi, moi, j’avais peur de ce que cet homme allait penser de moi. Mais il faut dire que cet homme et moi avions partagé cette angoisse, celle qui nous suivait toutes les nuits, celle qui faisait perler la sueur sur nos fronts, celle qui faisait claquer nos dents et nos genoux quand nous entendions le vent souffler dans notre dos, quand la fatigue nous empêchait de discerner ce que nous voyions et ce que nous pensions voir. Nous avions partagé bien plus que tout homme, car nous avions partagé la peur.
La porte du bureau de Paulo Rad était entre-ouverte, elle qui était toujours correctement fermée. Je le vis par l’entrebâillement, s’activer à ouvrir chacun de ses tiroirs et à en sortir des piles de feuilles qui fourrait négligemment dans un sac. Je poussai la porte, qui s’ouvrit dans un grincement désagréable. Il sursauta et me vit. Ce regard, quand il se tourna vers moi, n’était pas le sien. Il n’avait plus ni la peine, ni la fatigue qui lui étaient propres, mais c’était celui d’un chien, d’un chien qui a peur du coup de bâton. Il resta là, bouche ouverte, avec son air apeuré que je ne comprenais pas. Avais-je l’air si brisé ? Si fou ? Si mal en point ? Ressemblais-je tant que cela au fantôme que je pensais être ?
« Vous partez ? Lui demandais-je, surpris.
– En fait, oui, répondit-il après un instant de silence, j’ai été appelé ailleurs. Une autre enquête. » Sa voix était tremblante, et son front brillait. Il avait l’air fiévreux.
« Vous êtes malade ? » Je m’approchai de lui, et il reculait, comme si ce fut moi la source de son mal, comme si c’était de moi qu’il avait peur, comme si j’étais revenu d’entre les morts. Il me répondit que non, il ne l’était pas. Quelque chose n’allait pas, il y avait, dans cette scène, un élément bancal. Je cherchais, posant mon regard partout. Les dossiers aux feuilles volantes, les documents éparpillés, les livres empilés, sa valise, faite, à ses pieds. Lui, ses jambes qui battaient comme les ailes d’un colibri, ses chaussures mises à la va-vite, sa chemise mal-boutonnée, sa veste froissée, sa grosse écharpe rouge.
Son écharpe rouge.
Je compris. Il comprit que j’avais vu. Son visage se décomposa, mais il restait immobile, comme incapable de bouger. Je m’approchai encore plus de lui, pas à pas, sans le quitter des yeux. Je bouillonnais, j’étais en rage.
« Enlevez-là.
– Enlever… quoi ?
– Votre écharpe. Enlevez-là. » Il se mit à rire. L’immonde personnage, il se mit à rire, mais d’un rire faux, comme pour donner le change, pour jouer la comédie. Mais –seigneur ! – qu’il jouait mal !
« Mon écharpe ? Mais je ne vais pas enlever mon écharpe, quelle idée étrange. Pourquoi voulez-vous que je l’enlève, cette écharpe ? » Je serrais les dents. La peur, toute celle que j’avais accumulé depuis que Clarence n’était pas revenue d’ici, m’avais entièrement quitté. J’étais léger, léger comme jamais je ne l’avais été. Et je me sentais fort, si fort, tellement fort que rien ni personne n’aurait pu, à cet instant, m’atteindre. « Vous savez très bien pourquoi vous devez l’enlever. » Il avait laissé son révolver, sur le bureau. Il se précipita vers celui-ci mais je fus plus rapide. Le pointant de l’arme, je réitérai ma requête : « Enlevez-là. » Il baissa les yeux au sol, et je le vis, en un instant seulement, ce regret qu’il avait sur la figure. Un regret tardif, un regret qui ne comptait pour rien. Il porta les mains à son cou, et déroula l’étoffe qui l’entourait. Elle était longue, elle faisait bien trois fois le tour de sa nuque. Je l’aurais avec plaisir pendu avec, surtout quand je vis, marqué dans sa chair, la trace de mes dents.
Il n’y avait plus de doutes. Plus aucun. La vérité était claire. Pas de pourquoi, pas de comment, car tout cela, au final, importait si peu. Il n’y avait que moi, le révolver, lui, et le sang de Clarence sur ses mains. Je lui demandai la question qui me brûlait les lèvres et la langue, celle qui m’avait obsédé à chaque minute de chaque heure de chaque jour que Dieu fait, celle pour laquelle j’étais parti, celle pour laquelle j’avais pris ce maudit train du Diable, celle pour laquelle j’étais allé jusqu’à cette ville maudite de damnés : « Où est Clarence ? »
Il se mit à pleurer. Doucement, silencieusement, comme si ses larmes ne faisaient que simplement déborder de ses yeux. Pauvre homme, pitoyable, pathétique, incapable d’assumer sa propre cruauté. Ses lèvres tremblaient, comme celles d’un enfant qu’on accuserait d’une bêtise. Il évitait mon regard, puis, finalement, s’y confronta, et dans un murmure pareil à un râle, à un dernier souffle, il me dit : « Dans l’eau, avec les autres. »
Le coup de feu partit presque tout seul. Je sentis à peine mon doigt presser la détente.
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