Les méthodes d’investigation de Paulo rad étaient pour le moins inutiles. Il faut dire que nous n’avions pas la moindre piste, ni même une esquisse, pas même le début de quoi que ce soit. Il y avait juste ces femmes que nous retrouvions parfois, quand les vents et les courants, d’humeur clémente, acceptaient de nous les rendre. Le meurtrier était minutieux. Jamais il n’avait laissé la moindre trace de son passage – et nous ne l’entendions jamais. Un tueur silencieux, comme une ombre, ou une maladie. Un fléau, et rien de plus. Nous ne pouvions que parcourir les rues du village, de nuit, à la recherche de quoi que ce soit de suspect. Avant, Paulo Rad faisait ces tours de garde seul, et les résultats avaient toujours été désastreux puisque, nuit après nuit, les disparitions continuaient. Il espérait qu’à deux, les choses avanceraient, au moins d’un pas, en notre faveur. Nous passâmes des nuits et des nuits, à marcher sur les pavés de Reveltown, dans l’espoir fugace qu’au moins une fois, il ne commette une erreur. Mais il n’en fit rien, et chaque matin, au lever du jour, nous nous retrouvions dans une brasserie du centre-ville, Cher Hubert, à siroter nos cafés brûlants et fades, sans rien nous dire, ni même nous regarder, à cause de la déception qui nous suivait comme un fantôme. Les hommes du village qui nous croisaient, ces matins-là, nous regardaient ave respect, et nous adressaient des signes de tête, comme si nous étions des sortes de héros. Nous n’en pensions rien, car nous n’étions pas plus. Rien que des hommes, comme eux, mais bien trop intimement liés à cette sombre histoire. Notre histoire, notre aventure. Notre épopée.
Une nuit, cependant, où la lune était ronde, j’entendis quelque chose. Ce fut bref, très court, mais je devinai instinctivement ce que c’était. Un cri, étouffé par une main. J’étais dans une rue, derrière la pharmacie, et rien ne bougeait. Vide et silence. Puis, d’un coup, je la vis, cette ombre noire, sauter d’une fenêtre, une jeune-femme en chemise de nuit blanche sur son épaule. Endormie, toujours, mais les membres ballotant, inertes, comme si elle était déjà morte. L’ombre se redressa. Je n’étais qu’à un mètre, deux tout au plus, de lui et de sa victime. Il se retourna, lentement, vers moi, et je le vis. Ce masque blanc, je le vis. Blanc comme les rayons de la lune de ce soir-là, avec, à la place des yeux, deux croix, comme celle sur laquelle on crucifia le Christ, peintes en noir, et, en-dessous, un large sourire, rouge comme le sang qui devait couler dans ses veines, aux dents carnassières. Comme l’un de ces stupides clowns que l’on voit dans ces cirques. Il avait une longue veste, noire, qui lui tombait jusqu’aux pieds, et dont la capuche était rabattue sur son front. Ses bottes étaient pleines de boue séchée.
Il resta là, à m’observer. Je restai là, à l’observer en retour. La femme, sur son épaule, je la reconnu immédiatement. Après quelques instants de cette discutions silencieuse, nous nous réveillâmes. Il se mit à courir, et ses pas, sur les pavés, ne faisaient pas le moindre son. Je lui courrai après, du plus vite que je le pouvais, et j’aurais préféré mourir plutôt que de le perdre de vue. Il connaissait la ville bien mieux que moi, et, même si je pouvais l’effleurer, quand je tendais le bras, il réussit à m’échapper au détour d’un croisement, alors que les premiers rayons du soleil apparaissaient. Ils avaient disparus, lui et sa victime, comme emportés avec la nuit. L’avais-je réellement vu courir, ou n’avait-il fait que flotter au dessus du sol ? Et ces histoires de malédiction, n’était-ce réellement rien que cela – des histoires ? Je tombai au sol, à genoux. A n’y rien comprendre. Cela était impossible, une telle disparition, et si soudaine, alors que je n’étais qu’à deux pas derrière lui. Je cognai le sol de mes poings, hurlant de rage. Des nuits blanches à courir après une légende urbaine. Je pris ma tête dans mes mains, et là, je me mis à pleurer. Oh seigneur ! Je pleurai ! Comme cela ne m’était jamais arrivé. Mes larmes, salées comme celles de tout homme et de toute femme, coulaient entre mes doigts avant de s’écraser, misérables, sur le sol gris, froid et sale.
Paulo Rad était déjà au Cher Hubert, quand je l’y ai rejoins. J’avais encore parcouru les rues de la ville, ne voulant pas croire à ce que j’avais vu. Un homme ne se volatilise pas de la sorte, et jamais je n’ai pu croire aux légendes. Il m’attendait, cela se voyait, car, assis à notre table habituelle, il ne pouvait s’empêcher de regarder par la fenêtre toutes les dix secondes. J’étais en retard, il est vrai, et en de pareilles conditions, surtout avec la mission que nous nous étions infligé, son inquiétude était des plus légitimes. J’entrais, sans prêter attention aux hommes qui me regardaient avec admiration, car leurs regards étaient tels des lames de rasoirs, et j’avais l’horrible impression de n’être qu’un hypocrite qui leur vendait de l’espoir, alors qu’à mes yeux, il n’y en avait plus. Je m’assis en face de mon associé. Il comprit tout de suite, à mon attitude, qu’il s’était produit quelque chose. Il se pencha vers moi, et me chuchota :
« Alors ?
– Je l’ai vu. » Il ouvrit grand les yeux, si grand qu’on aurait dit qu’ils allaient exploser.
« Tu… tu l’as vu ? Lui ?
– Oui, c’était lui.
– Mais, tu en es sûr ?
– Si je suis bien sûr d’une chose dans tout ce que j’ai vu la nuit dernière, c’est bien de cela. Il portait une jeune femme, sur son épaule. Elle était endormie. Je crois.
– Une jeune-femme ? Et tu l’as reconnu ?
– Oui, je sais qui c’est. » J’hésitai. Je voyais bien qu’il attendait que je dise son nom, mais les mots ne voulaient pas sortir de ma bouche. Il me regardait, et j’ai vu cette chose, dans son regard, comme une flamme qui s’éteint, et puis j’ai vu la façon dont il serrait les dents, comme s’il était effrayé. La frayeur ne s’invente pas, alors, finalement, je lui ai dit :
« C’est Miss Apple. »
J’ai convaincu Elisabetha de partir avec moi. Elle a dit oui. Elle a accepté. Elle m’a regardé dans les yeux, bien au plus profond de moi-même, et elle m’a juste dit « D’accord ». « D’accord, Julius, je pars avec toi. » C’est cette nuit, que tout va se jouer. Ma valise est déjà prête, Elisabetha est en train de faire la sienne. Je suis assis sur la chaise qui est près de la fenêtre, dans sa chambre, et je la regarde. Anatole sent qu’il se prépare quelque chose. Anatole a toujours eu un don pour sentir ces choses-là.
J’avais peur que Paulo rad ne finisse par devenir réellement dingue. Il sombrait un peu plus dans la folie, jour après jour, heure après heure, et minute après minute, et je le voyais prêt à sauter au fond du gouffre. Je m’en voulais, de l’avoir laissé seul, rentrer chez lui, mais après tout c’était lui qui m’avait dit que tout irait bien, et qu’il avait juste besoin de sommeil.
Je rentrai donc à l’auberge. Madame Solus était assise derrière le comptoir, comme à son habitude, et fumait sa pipe, exactement comme le jour de mon arrivée. Ce jour, à présent, me paraissait si lointain, comme si toute ma vie c’était faite là-bas, à Reveltown. L’aubergiste me suivit des yeux, quand j’entrai, posai ma veste sur le porte-manteau, passai à côté d’elle et montai les escaliers. Peut-être se disait-elle que nos recherches, à Paulo Rad et moi, étaient peine perdue, et que c’était elle qui avait raison, et que le village était bel et bien maudit. Mais la vieille était une gentille dame, et elle respectait notre combat. Même si ce combat se résumait à se battre contre de la fumée. Une fumée exactement comme celle que recrachait Madame Solus, quand elle me suivit des yeux alors que j’entrai dans l’auberge, posai ma veste sur le porte-manteau, passai à côté d’elle, et montai les escaliers, jusqu’à ma chambre.
Je m’allongeai sur mon lit, sans même prendre le temps de délasser mes chaussures, et malgré tous mes efforts, le sommeil ne vint pas. Je restai là, à fixer le plafond d’un regard vide. Sans le voir réellement. J’étais las, je n’avais même plus envie de me battre. Je voulais rester sur ce lit, m’y fondre, et y mourir. Comme cela, doucement, se laisser couler à la mort. Car toute cette lutte, c’était trop, et cela m’épuisait. Je me trouvais pathétique, à me laisser aller de la sorte dans le sentimental, et je voulais retrouver mon air distant, et froid, comme si la misère du monde ne pouvait pas m’atteindre car j’étais au-dessus de tout cela. L’air que j’arborais encore à mon arrivée à Reveltown, mais qui, au fil des jours, s’était estompé. L’air qu’a celui qui se moque de tout.
On ne sait pas encore où on va aller, tout ce qu’on sait c’est qu’on doit partir, et puis c’est tout. Partir avant que cette maison et que ceux qui y vivent ne nous tuent encore plus. Elisabetha est adulte, mais elle est restée petite fille. Il y a encore de l’espoir pour elle. Et puis, quand je la regarde, je me dis que peut-être, quand on aura tous les deux un peu grandi, il y aura un moment où notre âge ne nous importera plus, et alors peut-être que nous pourrions nous aimer.
Elisabetha m’a parlé d’un village, en bord de mer. Elle dit qu’elle a entendu tante Eleanor en parler à ma mère. C’est un village de pêcheur, près de la mer du nord. Si c’est là qu’elle veut que nous allions – Elisabetha adore la mer – c’est là que nous irons.
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