Edgar ouvrit la porte du manoir de son patron. Une jolie jeune-femme, à la chevelure sombre et ondulée, se tenait dans l’ouverture. Elle portait un épais manteau rouge, ce qui tranchait avec son teint de porcelaine. Elle avait l’air gêné, et elle évitait le regard de l’homme qui se tenait devant elle. S’armant de son courage, elle finit par demander : « Suis-je bien chez Alexander VanMurien ? » Edgar lui répondit que oui. « Sir Enosh Lochland est-il ici ? » Edgar répondit à nouveau par l’affirmative. « Puis-je le voir ? » Edgar fit entrer la jeune-femme dans le vestibule et disparut quelques instants, avant de revenir avec les deux autres hommes. Sir Lochland, en la voyant ici, fut très étonné : « Shoshanna, dit-il, mais que fais-tu ici ?
– Emely m’a parlé de votre projet.
– Emely t’en a parlé ?
– Oui, je sais, elle devait garder le secret. Mais elle m’en a parlé, et voilà, je suis là. Mais elle ne sait pas que je suis venue ! C’est juste que… La vie éternelle… C’est quelque chose ! C’est vous Alexandre ? » Shoshanna accourut vers lui et prit ses mains, fortes et rugueuses, dans les siennes, frêles et douces : « Pardonnez-moi, monsieur, mais vous êtes un génie. » Il sourit à la jeune femme et la remercia. Celle-ci avait le regard de ceux qui sont animé par un souhait. Alexander se sentit ravi, ils n’auraient pas trop d’une paire de mains en plus, pour leur projet. Sir Lochland fit les présentations, et Shoshanna sera chaleureusement les mains de ses nouveaux compagnons. Elle voulut voir tout de suite le laboratoire et l’avancée des recherches, et Alexander la prit par les épaules en l’entrainant vers le sous-sol : « Laissez-moi vous montrer le résultat de la première potion que j’ai réussi à élaborer ! » Sir Lochland, qui était derrière eux, vit son ami tendre sa main vers sa ceinture, et en ressortir dans un éclat d’argent. Pauvre Edgar, pensa-t-il.
Dès le lendemain, Paulo Rad était venu me chercher chez madame Solus. Il avait une mine encore plus affreuse, encore plus creusée, encore plus vieille. Il m’attendait dans le hall de l’auberge, ses mains dans ses poches, et regardant ses pieds. Je me suis approché de lui et il m’a dit qu’ils avaient retrouvé un autre corps. Ce fut des enfants du village qui, jouant sur la plage, avait vu la jeune-femme morte s’échouer à leurs pieds. Il était venu pour me proposer de l’accompagner voir la nouvelle victime, car elle correspondait à la description que j’avais faite de Clarence.
Je n’ai pas su quoi dire. Je n’ai pas su quoi penser non plus. J’étais vide. Alors je me suis contenté de prendre ma veste, qui était accrochée au porte-manteau, près de la porte, et je suis sorti de l’auberge. Paulo Rad me suivait. Il ne disait rien non plus. Nous étions, tout deux, côte à côte, comme des morts.
Cette fois ce sont des enfants qui ont trouvé un corps. Les trois petits de la boulangère. Ils sont sympas, ces gosses. Et puis ils sont encore tout petits. J’aime bien les enfants, et j’aurais aimé ne pas grandir. J’aurais préféré rester à buller sur la plage avec mes jouets de gosse au lieu de puer le cadavre à des kilomètres à la ronde. Je transpire la mort, comme si je pouvais plus m’en défaire. J’en peux plus, de cette odeur. Mais la vie, ça doit pas être un truc pour moi. La fille, elle avait encore les yeux ouverts. Elle devait pas être morte il y a très longtemps, parce qu’elle avait pas été trop amochée par les poissons. Elle avait les yeux bleus et les cheveux d’un châtain très doux, comme s’il était un peu effacé. C’était clair, comme couleur, c’était très clair. Et puis elle avait des grains de beauté, éparpillés, un peu partout sur la figure. Une belle femme, pour sûr. Mais elles sont toujours belles, de toute façon, celle qui meurent par ici.
Shoshanna avait assisté sans voix au spectacle d’Alexander VanMurien tirant à plusieurs reprises dans le ventre, le cœur, et la tête de son chauffeur. L’homme n’avait même pas chancelé. Il avait eu des petits mouvements de recul, à chaque impact de balle, à cause de la vitesse des coups, mais il était resté debout, et impassible. Pas même déséquilibré. La jeune femme s’était approchée, à pas hésitants, vers l’immortel. Elle avait tout d’abord levé sa main, frêle et douce, vers la tête de l’homme. Le trou qu’avait fait la balle était là, bien au milieu de son front, et du sang en coulait. Il y avait, sur le mur derrière lui, des éclats de boite crânienne et de cervelle. La balle était ressortie de l’autre coté. Elle approcha, lentement, ses longs doigts de la blessure de l’homme. Du sang en coulait, et glissait le long de son nez. Elle toucha le liquide rouge, comme pour être sûre, et regarda sa main avec l’air de ne pas y croire. Puis elle lécha ses doigts. Du sang, c’était bel et bien du sang. Edgar, à seulement quelques centimètres d’elle, la regardait faire. Shoshanna baissa ses mains vers le torse de l’homme, et commença à déboutonner la chemise qu’il portait. Bouton après bouton. Le premier impact qu’elle vit fut celui qu’il avait en plein cœur. Le second celui qui avait déchiré son estomac. Invraisemblablement, et malgré tout cela, l’homme était en vie.
Paulo Rad avait fait s’écarter les voyeurs réunis autours du cadavre. Lui et moi, on s’était approché. Il était resté debout, mais moi, je m’étais agenouillé près du corps, pour bien voir. Puis je m’étais relevé, d’un bond, en serrant les poings si forts que j’en avais mal : « Cette fille n’est pas Clarence. » Je me souviens encore de la tête de Paulo rad, quand j’ai dit cela. Il était surpris, vraiment. Moi, j’avais envie de le cogner, encore et encore, et si fort qu’il ne s’en relèverait jamais. J’avais tous envie de les cogner, tout ces villageois gras et suants, qui me fixaient avec les mêmes yeux que ceux des poissons qu’ils mangeaient à longueur de journée. Tas pitoyable d’âmes humaines sans intérêt. « Cette fille n’est pas Clarence. Clarence est bien plus belle. »
Il avait l’air en colère, le jeune March, quand il a vu que c’était pas sa sœur qu’on avait retrouvé. Je connais bien cet air : c’est quand t’en veux à la terre entière. Je sais pas trop ce qu’il devait se passer dans sa tête, au petit, mais il devait se dire qu’il préférait voir sa sœur étendue et morte, plutôt que de ne pas savoir si elle était en train de voguer comme une barque, nue et dans les flots, ou pire, de ne pas savoir s’il y avait encore un espoir qu’elle soit toujours en vie. C’est ça, le plus dur, dans tout ça – dans la vie : ne pas savoir. Moi, c’est un truc qui me rend fou.
Shoshanna se retourna vers Alexander et Enosh. Elle ouvrait et refermait la bouche, mais aucun son n’en sortait. Elle ne savait pas quoi dire, et d’ailleurs, il n’y avait rien à dire. Les faits parlaient d’eux-mêmes, et Edgar n’était pas mort. Bien au contraire, il était en train de reboutonner sa chemise, contentieusement.
« Alors, demanda Alexander, qu’en pensez-vous ?
– C’est… C’est merveilleux.
– N’est-ce pas ? Il faut un flacon de cinq cent millilitres entier à une personne pour que la potion ne fasse effet. J’en ai préparé une, que j’ai testée sur Edgar, et maintenant il nous faut en préparer trois autres. La préparation de chacune dure plusieurs jours, alors si vous êtes tous deux prêts à travailler, je propose que nous nous y mettions. »
J’étais parti, les plantant tous là. Leur compassion me donnait envie de vomir. Alors je leur avais tourné le dos, avant de m’éloigner sur la plage. Je marchai beaucoup, ce jour-là, ne pensant à rien tout en pensant à tout. J’étais perdu et je laissais mon esprit aller à sa confusion. Je n’en avais plus que faire, de rien, et une seule chose m’obnubilait : ce tueur que personne, jamais, n’avait vu. Et, tout d’un coup, cela me paru évident. Puisque Paulo Rad semblait être le pire des incapables, je devais enquêter.
Quelques heures après qu’il soit parti tout seul, March est revenu me voir au commissariat. Il est entré dans mon bureau sans frapper, comme si c’était le sien, et puis il s’est assis en face de moi, sans même prendre la peine de refermer la porte. Il m’a regardé, droit dans les yeux, de son regard qui était devenu aussi vide, et froid, et mort, que celui de tout ceux qui passe par Reveltown, et il m’a dit qu’il voulait enquêter avec moi sur les meurtres. Au début je voulais dire non, parce que quand même, ce gosse il avait pas vingt ans. Peut-être même pas dix-huit. Mais j’ai vu cette chose, dans son regard, comme une flamme, rouge sang, et puis j’ai vu la façon dont il serrait les dents, comme s’il avait vraiment très mal. La souffrance, c’est un truc qui ne s’invente pas. Alors, finalement, j’ai dit oui.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
3132 histoires publiées 1376 membres inscrits Notre membre le plus récent est LuneDeleau |