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tome 1, Chapitre 6 tome 1, Chapitre 6

J’ai été appelé au port, par un groupe de pêcheur. On en a retrouvé une, qu’on m’a dit. Alors j’y suis allé, tout de suite. J’ai pris ma veste en vitesse et j’ai suivit le petit Tomas, qui courrait dans les rues comme un dératé. C’était lui qu’ils avaient envoyé pour venir me chercher. Il court vite le petit Tomas, et depuis toujours. Quand il était gosse, c’était pour échapper à la boulangère, quand il lui piquait des miches de pain. Quand il était un peu plus vieux, c’était pour courir après les filles, et leur tirer les nattes. Et maintenant qu’il est presque adulte, c’est pour me conduire à un cadavre. C’est triste, tout ça. Triste, c’est le mot qu’il faut. Et désolant, aussi. C’est triste, et désolant. Tomas il les connait bien les petites rues, et c’est normal, c’est un enfant d’ici. Il est né à Reveltown, il a grandit à Reveltown, et il mourra surement à Reveltown. Il a cette marque, sur le visage, celle qui montre qu’il est bien du coin. C’est une sorte de voile, dans le regard, comme si la grisaille de la côte leur entrait par le nez jusqu’au cerveau. Ils ne jurent tous que par la mer, ici. Moi je ne suis pas de Reveltown. Je suis d’à côté. Mais quand je suis devenu policier, ils m’ont envoyé ici. En même temps, j’avais été l’amant de la femme du type qui gère là où va quel policier. Il s’est vengé de moi, et m’a mit loin de sa famille. C’est normal en même temps. J’aurais fait la même chose au mec avec qui ma femme me trompe. Mais je ne me suis pas marié, moi. J’ai trop peur.

J’ai suivi le petit Tomas jusqu’au port. Ils étaient des dizaines de pêcheurs, là bas, agglutinés dans un coin. Ils portaient les mêmes salopettes, les mêmes bottes, et tenaient tous leur bonnet entre leur mains. Tomas se retournait régulièrement, avec une mine affreuse, pour voir si je le suivais bien. Il avait peur, le Tomas, et ça se voyait. En même temps c’est normal, avec les temps qui courent, et avec cette histoire de malédiction. Tomas s’était mit à ralentir, quand on s’était approché du groupe, et il avait retiré son bonnet, lui aussi. En signe de respect pour la victime. J’avais pas de chapeau, moi, sinon je l’aurais fait aussi. Ils se sont écartés, quand je me suis approché, pour me laisser la place. Pour eux, un policier c’est comme un docteur, c’est une sorte de héros, de sauveur. Je sais pas ce qu’ils s’attendaient à ce que je fasse, parce que la petite était déjà morte. Peut-être qu’ils pensaient que si je m’agenouillais à côté d’elle, et que je récitais je-ne-sais-quelle prière, son petit cœur de petite femme allait se remettre à battre. Mais ce n’aurait pas été le cas, parce que c’est de la magie, tout ça, et que la magie ça n’existe pas. Mais je me suis quand même approché, et je me suis quand même agenouillé près du corps. Je sentais leur vingtaine d’yeux, dans ma nuque, comme des canons de fusil lors d’une exécution. Je savais pas quoi faire, moi, et voir cette chair nue, rongée par endroits, et bleue, à cause du froid de la mer du nord, ça me donnait envie de vomir. Mais fallait pas que je les déçois, surtout en ce moment, sinon ils allaient plus du tout se sentir protégés. Alors j’ai pris mon air de flicaille sûr de lui, et j’ai approché ma main du visage de la victime, pour enlever les algues qui y étaient collées.

Les pêcheurs ont tous baissé la tête. Ils n’en revenaient pas. Ils étaient à bout, je pense, et peut-être même qu’ils se disaient qu’ils auraient préféré que ce soit pas une fille du village. Tomas s’est mit à pleuré. Je l’ai entendu. J’ai pas vu parce que je me suis pas retourné. Elle avait son âge, en même temps. La petite Joliet Apple, la petite sœur de Miss Apple, ma secrétaire. Elle avait pas quinze ans qu’on la retrouvait là, dans un filet de pêche plein de morues ou de je-ne-sais-quoi, le ventre ouvert dans tout son long et les membres tailladés. Mais le plus triste, dans tout ça, c’était l’air qu’elle avait. Serein, comme une poupée de porcelaine. Comme si elle n’avait que fermé les yeux, pour s’endormir. Comme si elle était en train de rêver. Comme si elle était pas morte, en fait, et c’était ça le plus odieux, car elle l’était. Plusieurs des pêcheurs étaient allés aider Tomas, qui beuglait comme un môme à qui on aurait volé une sucette. C’était encore un peu un môme, d’un côté. Ils m’ont dit qu’ils le raccompagnaient chez sa mère, et ils sont partis à cinq, avec Tomas au milieu, qui marchait pas droit, à cause de la peine. D’autres se sont proposés pour la conduire à la morgue, qui était pas loin. C’est quand même rare, un village si petit, qui a une morgue. Comme si c’était habituel de telles séries de morts, dans le coin. Mais bon. Parfois, faut juste pas chercher à comprendre. Faut vivre les choses, et c’est tout. Se poser trop de questions, ça tue.

Moi, mon rôle, c’était d’aller toquer chez miss Apple et son vieux père, pour leur apprendre la nouvelle. Les pauvres. Déjà que la mère Apple était morte, maintenant c’était au tour de la plus jeune des deux sœurs. Le monstre, auquel tout le village croyait, moi je savais que c’était un homme. Y’a que les hommes pour êtres horribles à ce point là. Y’a que les hommes pour faire de telles choses.

J’y suis allé, chez les Apple, en marchant lentement, pour mettre le plus de temps possible entre moi et la nouvelle que j’aurais à leur apprendre. J’ai pris mon temps, j’ai marché. Parfois je m’arrêtais, pour regarder un bout de mur, ou un bout de nuage. Je faisais semblant, en fait, parce qu’en vrai je m’en fichais, de tout ça. Et puis de toute manière, tout était gris, comme tout dans le village. De l’eau qui coule dans les caniveaux jusqu’aux mines des villageois. Je suis arrivé devant la porte des Apple et j’ai toqué. C’est Miss Apple, qui m’a ouvert. En même temps, le père il est trop vieux pour bouger de son fauteuil. Elle m’a ouvert, et – seigneur ! – qu’est-ce qu’elle ressemblait à sa sœur. Les mêmes yeux grands ouverts et un peu endormis, comme si la vie n’était qu’un rêve, et que les rêves n’étaient que les rêves des rêves. La même bouche toute pâle, et un peu bleue. Le même nez tout long. Les mêmes joues toutes roses. La même, avec quelques années de tristesse en plus. Elle m’a ouvert la porte, et dès qu’elle m’a vu elle a comprit. Ce devait mon air, ou quelque chose comme ça, parce qu’elle m’a ouvert la porte, elle m’a vu instant, et, d’un coup, elle a comprit. Elle s’est mise à pleurer. Mais c’était beau, c’était juste un trop plein de larmes. C’était élégant, la façon dont elle pleurait. Elle te regardait là, comme ça, et juste les larmes coulaient sur son visage, comme des gouttes de pluie sur une vitre. J’ai même pas eu à lui dire, vu qu’elle avait comprit tout de suite. Au moins c’était facile, pour moi du moins. Pour elle un peu moins je pense. C’est triste quand même, quand ta petite sœur se fait assassiner.

Mais ça m’a quand même fait un coup, cette mort. C’était celle de trop. J’en pouvais plus de toute ça : cette peur, ces angoisses, ces larmes… Et puis toujours se demander qui serait la suivante, c’est odieux. Ca fait mal. C’est dur d’être flic, dans de telles conditions. J’aurais préféré faire un autre métier. Pêcheur, par exemple. C’est calme, c’est tranquille. T’as juste à penser à tes poissons et à pas mourir dans les flots. Et puis c’est reposant la mer. C’est apaisant. Le silence, quand t’es sur ton bateau, loin de tout, ça doit être quelque chose quand même. Faudra que j’essaie. Au moins une fois. Faudra que je m’éloigne de Reveltown quelque temps, ça vaut mieux pour moi. Surtout si je ne veux pas finir par devenir dingue. Je ne veux pas devenir dingue. Je le suis déjà assez comme ça.

On l’a enterré dès le lendemain, la petite Joliet. Tout le village était là, tout en noir. La sœur pleurait, au bras de leur vieux père. Le pauvre homme. Les parents ne sont pas faits pour survivre à leurs enfants. On l’a mise à côté de la mère. C’était le mieux à faire. Après la cérémonie, j’ai dis à Miss Apple qu’elle pouvait prendre quelques jours de congé, si elle le voulait. Je l’ai toujours apprécié, Miss Apple. Elle a ce quelque chose d’adulte et d’enfantin rare aux autres femmes. Ca m’a beaucoup peiné, que tout cela lui arrive à elle. J’aurais mieux aimé que non. Mais c’est comme ça, c’est la vie. On choisit pas le malheur ni où il frappe.

Miss Apple est revenue au bureau dès le lendemain. Elle pouvait pas rester chez elle, ça la rendait trop triste. Elle préférait travailler. Au moins, ça lui changeait les idées. Enfin ça aurait pu, si ce type n’avait pas débarqué. Un jeune, tout sec et tout carré, comme ces fils d’avocat de la capitale. Miss Apple l’avait fait attendre dans le hall, puis elle était venue me voir en me disant qu’un autre jeune homme cherchait quelqu’un. Ils sont des tas, à venir pour ça. Ca m’a fait un choc, qu’il y en ait encore un. C’était celui de trop. Je l’ai fait entrer dans mon bureau, ce gosse, et il m’a dit qu’il cherchait sa sœur. Comme Miss Apple, je me suis dit, tout de suite. Et là, j’ai craqué. J’aurais aimé pouvoir l’aider, mais je trouvais rien, dans le dossier. Elles sont trop. Elles sont bien trop, à disparaître, et à mourir. S’il restait encore un seul instant dans la même pièce que moi, il allait me voir devenir fou, alors je l’en envoyé voir à la morgue. C’est le mieux qu’il avait à faire, s’il voulait des renseignements. En même temps elles sont des centaines, à avoir disparu, ici, à Reveltown. En seulement un an. C’est trop. C’est beaucoup trop. Et puis c’est pas une malédiction, ça c’est sûr. C’est un homme. C’est forcément un homme. Y’a qu’un homme pour être aussi mauvais et pour causer autant de terreur. Moi, je crois pas aux histoires de sorcière. Je crois en la démence. Je crois que les mauvais-esprits, ce sont les hommes qui ne tiennent plus leur folie.

Pauvre Miss Apple. C’est une gentille femme. Elle ne mérite pas autant de peine. J’aimerais qu’elle ne soit plus jamais triste.

Je suivis les conseils du policier. Je demandai à la secrétaire, qui avait des larmes dans les yeux, où se trouvaient la morgue et le Docteur Flume. Elle m’indiqua le chemin. C’était bien simple, il me suffisait de suivre la grande rue qui descendait vers la berge, et la morgue se trouvait juste en face d’un entrepôt de sardines, près des falaises. C’est quand même rare, un village si petit, qui a une morgue. Le Docteur Flume m’y accueillit. C’était un homme plutôt vieux, aux crane dégarnit, et à l’attitude chaleureuse – C’est peut-être ça, de vivre avec des morts : on finit par adorer la compagnie des vivants. Il portait une longue blouse blanche, par-dessus ses vêtements, ce qui lui donnait un teint fade et cireux. Il me conduisit jusqu’au sous-sol, dans une grande salle dans laquelle étaient conservés les corps, avant qu’on ne les enterre. Une partie de la pièce avait été réquisitionné par la police, pour stocker les cadavres des victimes qui n’avait pas été pas identifiées par les villageois. Il y en avait trois. Trois jeunes femmes, sur des tables en bois, recouvertes de draps blanc s’arrêtant sous leur menton, pour laisser leur visage découvert. « Il y en avait plus, avant. » me dit le Docteur « Mais on a dû finir par les enterrer, parce qu’elles commençaient à pourrir. »

Trois jeunes femmes, toutes étendues sur le dos, raides comme des statues. Les yeux clos de leurs paupières bleutées. Leurs lèvres blanchissantes, tirant sur un rose des plus pâles. On aurait pu croire qu’elles dormaient, et c’était tout, si l’odeur ne les trahissait pas. Je les observai, sans pouvoir les lâcher des yeux. Celle qui semblait être la plus vieille ne devait être qu’à peine plus âgée que moi. Elle avait les cheveux roux, tirant sur l’or, et lisses. Ils étaient séparés correctement en une raie bien droite, et tombaient équitablement de chaque côté de son visage. La deuxième avait un nez fin et aquilin, comme ceux qui traduise une personnalité exigeante et stricte. La dernière avait encore l’esquisse d’un sourire, sur ses lèvres, comme si tout cela l’amusait. Comme si tout cela n’était rien. Comme si tout cela n’avait que peu d’importance, au final.

Clarence ne faisait pas partie de ces filles.

« Ma sœur ne fait pas partie de ces filles » Dis-je au médecin légiste, qui se contenta de baisser les yeux, sans rien dire. Ma sœur n’était pas là. Elle n’était pas étendue, morte, sur une table et couverte d’un drap blanc. Elle n’était pas enfermée dans ce sous-sol sombre et lugubre. Elle n’était pas là, allongée entre la rousse et celle qui avait un beau nez – ni entre celle qui avait un beau nez et celle qui souriait encore.

Je répétai : « Ma sœur ne fait pas partie de ces filles ». Je tournai le dos aux mortes et remontai les escaliers à la hâte, laissant le Docteur Flume derrière moi.

Je marchai vite, dans les rues, courant presque. Clarence ne faisait pas partie de ces filles, et je voulais croire, et je m’y forçai, que le sang battait toujours dans ses veines.

Je marchai vite, de plus en plus, et je finis même par courir. Je ne savais même pas pourquoi. Je voulais échapper à la morgue et aux corps froids qui s’y trouvaient. Comment le Docteur faisait-il pour ne pas devenir fou ? A sa place je n’aurais pu qu’entendre les supplications de ces macchabées.

Je courrai. Sans vraiment de raison, dans les rues de Reveltown. La pluie se mit à tomber, et c’est idiot : je la remarquais à peine. Je courrais, voilà tout, laissant mes pieds me porter sur les pavées des rues mouillées.

J’arrivai finalement, essoufflé, au commissariat. Sans rien dire à la secrétaire, je me précipitai vers le bureau de Paulo Rad. J’en ouvris la porte sans même prendre le temps de frapper, car je n’en avais plus que faire, de la bienséance. Tout ce qui m’importait, c’était Clarence. Clarence et son petit corps froid, perdu dans l’immensité de la mer du nord, et dérivant dans ses flots.

Paulo Rad me fixa avec ses yeux étonnés – des yeux de fou, pensais-je.

« Clarence ne fait partie de ces filles » Il me regarda encore un instant, avant de simplement baisser les yeux vers le dossier qu’il avait ouvert quelques temps plus tôt. « Très bien, me dit-il, vous allez me donner une description de votre sœur, pour les recherches. On l’ajoutera aux autres. »

Elles sont trop, à disparaître. Bien trop. Les femmes tombent comme des mouches. On les perd de vu un instant, et hop ! Envolées.

« Elle a les yeux bleus, bleus un peu gris, exactement comme le bleu de la mer que l’on voit ici. Elle a un nez court, un peu retroussé, ce qui lui donne parfois un air d’écureuil. Elle de hautes pommettes, un peu roses, et une fine bouche aux lèvres très rouges. Elle a le teint pâle, très pâle, limite translucide, et des grains de beauté un peu partout sur la figure. Mais légers, les grains de beauté, comme s’ils n’étaient que des ombres de passages. Elle a un long cou gracieux, comme un cygne, et ça la force à se tenir comme une princesse. Elle a les cheveux d’un châtain très doux, comme s’il était un peu effacé. C’est clair, comme couleur, c’est très clair. Ils sont longs ses cheveux, ils lui arrivent là, aux coudes. Ils sont tout raides, mais parfois ils ondulent un peu, au niveau des pointes. Elle se les coiffe en mettant simplement un bandeau, pour ne pas que des mèches lui tombent dans les yeux. Elle porte toujours des couleurs pastel, du bleu surtout, qui rappelle celui de ses yeux, parce que ça lui va bien. »

Paulo Rad avait tout noté, sur une feuille blanche. Il avait du mal à écrire, comme si ses doigts ne suivaient pas ce que son cerveau leurs disaient, et il avait fait des tâches d’encres, sur la déposition.


Texte publié par ElishaJohnson, 25 avril 2014 à 18h24
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