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tome 1, Chapitre 20 tome 1, Chapitre 20

Quand il rentra enfin chez lui, Simon était mort. Il n’avait plus de ressort. Il était vidé de toute énergie et de toute pensée négative. De toute pensée tout court. Ce fut un joli moment. Il ne reverrait plus cette fille aux cheveux rouges et c’était mieux comme ça. Tout ce qu’il avait tenté dans un semblant de vie classique, il l’avait payé au prix fort.

Il avait entamé des études de droit à l’UBO, comme on dit à Brest. Il n’avait pas réussi à terminé sa première année. Depuis le décès de sa mère, neuf ans s’étaient écoulés. Neuf ans à ressasser et à haïr son père. Le Bac arraché aux forceps, il avait opté pour le droit, un peu par défaut. Ça lui semblait prestigieux, comme école. Enfin, ce n’était pas si anodin. Encore moins le fait de rater dès le premier semestre. Ça ne l’empêcha pas de partir du logis familial.

À presque vingt ans, il était temps pour lui de prendre son envol. Dans un foyer de jeunes travailleurs, il avait loué une petite chambre. On l’avait aidé à trouver un petit boulot mal payé. Mal payé, c’était être payé. Et être payé, c’était pouvoir payer à son tour sa chambre. Il y avait vécu de beaux moments. C’est là qu’il avait rencontré Caro.

Elle était déjà résidente lorsqu’il arriva et elle le prit sous son aile. Elle écrivait beaucoup et sentait en lui un potentiel poétique, avec son air à la fois grave et rebelle.

Dans la salle commune, où les résidents pouvaient se retrouver autour de loisirs et d’une bonne tablée, ils avaient fêté leur départ commun. Les bailleurs sociaux leur avaient trouvé un logement dans un HLM.

Alors que Caro s’accrochait à la perche supérieure, Simon ne faisait que s’enfoncer. Il enchaînait les intérims jusqu’à ce qu’ils se fassent plus espacés pour enfin ne plus rien voir venir. Pour le couple commença la descente aux enfers. À cette époque, ils voyaient encore le reste de la famille, le père mis à part. Ça énervait Caro, qu’il ne veuille pas dire pourquoi. Elle sentait le problème, mais n’arrivait pas à bouger le roc qu’elle avait en face de lui. Un jour qu’il rentra chez lui, il trouva la pièce vide de toutes les traces de sa compagne.

Comme il se sentait de bonne humeur malgré l’heure tardive, aux confins de l’aube, Simon prit une décision radicale. L’alcool, c’était fini. Il savait qu’il pouvait y arriver. En temps normal, il jugulait son envie à la soirée. Ce n’était que depuis l’enterrement qu’il faillissait à ses engagements personnels. Il fit chauffer l’eau pour un café et tenta de se rappeler ce qui était écrit sur le papier.

« Les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être… »

Simon regarda ces quelques mots. Les coudes sur la table et la tête entre les mains, il soupira.

— Qu’est-ce que tu veux dire par là, hein ?

Il essaya d’aligner les idées et les souvenirs. Les choses n'étaient sont pas ce qu’elles semblaient être. Ça voulait dire quoi, ça ? Les mots, la sémantique, il la comprenait, mais il n’arrivait pas à en saisir le sens caché. Il se servit une tasse de café pour réveiller sa matière grise.

— Bon, résumons, dit-il à voix haute. Il se parlait pour mieux trouver les réponses à ses questions. Qu’est-ce que je sais ?

Il reprit le papier sur lequel il avait griffonné ce qu’il avait retenu du mot de son père et traça une ligne séparatrice pour le diviser en deux colonnes. Sur celle de droite, il écrivit « ce que je sais ». Sur l’autre, il coucha « ce que papa savait ». Simon se mit à remplir la colonne de droite. Il écrivit tout ce qu’il savait. Les faits objectifs, comme le verre, la gifle et la mort de sa mère. En dessous, il continua sur le ton du récit ce qu’il en avait retiré. La conclusion vint d’elle-même. Son père avait empoisonné sa mère. Il se relut.

Simon se souvint de la passion de son père pour l’écriture. Il écrivait à tout bout de champ. Dès qu’il en avait l’occasion. Il pouvait y consacrer des heures. Ça lui arrivait d’y passer la moitié de la nuit. Pourtant, le lendemain matin, il était au rendez-vous du petit-déjeuner, toujours le sourire accroché aux lèvres, même si les cernes trahissaient une fatigue intense. Simon se rappela quelques histoires que leur père leur avait écrites, spécialement pour eux. Le soir, il leur lisait la production fraîchement terminée. Ça parlait de pirates, de super héros, de mondes fantastiques et d’êtres qui n’en étaient pas moins. C’est ainsi que Simon fit connaissance avec le mythe arthurien. Il se rappela de la révélation qu'il avait eue à la suite de cette histoire de chevaliers revisitée par l’imagination paternelle. Il s’était pris d’une passion pour ces hommes au code moral prononcé. Il avait vécu avec eux leur quête du Graal. Ils étaient même partis à quatre visiter la forêt de Paimpont, non loin de Rennes. Ils y avaient passé la journée, marchant sur les traces de Viviane, Lancelot et Morgane. Cette excursion d’une journée avait été magique. Dans la petite église de Tréhorenteuc, ils étaient restés en admiration devant les vitraux narrant les légendes bretonnes, celle de la table ronde en particulier. Ils avaient cherché la demeure de Viviane dans le lac jouxtant le château éponyme. Ils s’étaient perdus dans le Val sans retour, restant cois devant l’arbre peint de noir et d’or. Ils avaient écouté pour déceler la présence de lutins. Mais le point d’orgue demeurait sans conteste l’arrivée au tombeau de Merlin. Trois plaques de schiste rouge adossées à un houx. Le tout après avoir marché dans la forêt. Des fleurs, des messages, des suppliques, des bâtons. Tant de messages de révérence au grand enchanteur rendaient ce lieu possible. Rentré à la maison, Simon avait cauchemardé sur le diable sculpté qui se trouvait dans l’église d’un village dont il avait oublié jusqu’à son nom. Seule revenait la figure en bois.

Le père se Simon écrivait donc des tas de récits. En marchant sur ses pas, il comprit les bienfaits de cet exercice. Écrire oblige à mettre ses idées en ordre. Écrire aide à prendre le recul nécessaire. En se relisant, Simon relevait les erreurs de sa vie et de son jugement. Des moments précieux lui étaient revenus à l’esprit. Tous à l’origine de son père. Simon dut bien se rendre à l’évidence. Sa mère n’y était jamais. Chaque éclat de rire était lié à sa soeur, ses frères, son père, rarement à sa mère. Il entreprit d’ajouter une colonne à sa feuille. Dans celle-ci, il y mit les nouveaux éléments qui lui arrivaient au compte-gouttes. Le premier, il l’entoura trois fois. Maman absente. Deux mots porteurs d’un nouveau regard. Il leva le menton et les yeux vers le plafond.

— Pourquoi tu n’étais jamais là, maman ?

Dans un second temps, il s’attela à remplir la deuxième colonne. Que savait son père ? Il savait que son fils ne voulait plus le voir. Simon lui avait dit que…

— Je sais ce que tu as fait, papa, dit un Simon d’une dizaine d’années.

— Ce que j’ai fait ? Releva son père. Justement, qu’ai-je fait ? Dis-le-moi.

— Tu le sais très bien !

— Tu parles de… de la cuisine ? Je suis désolé, Simon. Je m’en veux beaucoup. Jamais je n’aurais dû te gifler. J’aimerais que tu m’excuses. Je n’ai pas voulu tout ça.

— T’excuser ? Mais, tu te fous de ma gueule ! Je suis pas un con, papa. J’ai tout capté. Si je n’étais pas descendu, personne n'aurait rien su. Mais voilà, je suis descendu et j'ai tout compris !

— De… de quoi tu me parles, Simon ? s’inquiéta son père, le regard horrifié.

Simon avait les pupilles rétractées par la haine. Il n’avait qu’une dizaine d’années, mais déjà, un regard noir et froid s’opposait à son père. Il était près d’en venir aux mains. Ça ne lui aurait pas fait peur.

— Laisse tomber, lâcha l’adolescent avant l’heure. Rassure-toi, je me suis juré de rien dire. C’est pas pour toi que je le fais. C’est pour Anthony, Isa et Gabi. Pas pour toi. Toi, tu n’existes plus pour moi. Tu n’es plus mon père. Tu n’es plus rien.

—…

— Au moindre faux pas, je lâche tout. Tu seras débarrassé de moi dès que je le pourrai. Et à partir de là, n’essaie même plus de me voir. À partir d’aujourd’hui, tu es mort.

Simon s’était adossé à sa chaise, la tête rejetée en arrière, les mains sur les yeux. Il pleurait à chaudes larmes, à l’évocation de ce souvenir précis. Cela avait été le tournant de sa vie. Bien évidemment, la mort de sa mère et la gifle qui l’avait précédée avaient déjà commencé à ébranler les soubassements à peine en construction. Mais à partir de là, il avait posé la pierre d’angle de sa vie future. Ensuite, ce fut une série d’échecs. Dans sa scolarité, bien qu’il n’ait redoublé qu’une seule fois, dans son travail, dans sa vie affective surtout.

Quand il eut séché ses pleurs, Simon continua son introspection. Il tenta d’y mettre les choses qu’il savait. Comme un journaliste. Froidement. Au bout d’une bonne heure, il en avait terminé avec sa rétrospective. Lui sauta aux yeux l’inexistence, dans sa vie, de sa mère. Elle n’était présente que pour ces moments désagréables. Avait-il à ce point oublié son enfance ou cela démontrait-il les propos de son père. Simon était perdu. Il sortit s’aérer un moment, évitant les cafés du coin, lieux habituels d’anesthésie générale.


Texte publié par Migou, 6 mai 2014 à 18h28
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