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tome 1, Chapitre 11 tome 1, Chapitre 11

Le soleil se levait sur les rues partiellement givrées. En ce mois de novembre, l’hiver s’annonçait plus tôt que prévu. Ça arrivait parfois, sur Brest et ses environs, que la morne saison vienne titiller avant l’heure les habitants. Cela ne débouchait pas forcément sur de rudes mois de décembre et janvier. Ainsi allait la vie, là-bas, au fin fond de la terre, dans ce Finistère aux visages multiples. Mais pour une fois, la grisaille avait cédé sa place et Isabella se sentit d’humeur joyeuse.

Elle ne travaillait qu’à mi-temps, comme comptable dans l’entreprise de son mari. Il n’avait besoin de ses services que pour des moments sporadiques et bien spécifiques. Lors des paies, surtout. Et c’était bien comme ça. Dans une famille, bosser ensemble, c’était être sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre ensemble. De nombreux couples n’y résistaient pas. Eux, ils avaient opté pour la solution intermédiaire. On reste ensemble, mais on se ménage des temps pour soi. Ce jour-là était un moment pour elle, justement.

Isabella songea aux événements récents. D’avoir revu son frère l’avait chamboulée bien plus qu’elle ne voulait bien se l’avouer. Elle se revit dans le jardin, avec Simon, en lui réclamant son dû alors qu’elle déterrait leur boîte à souvenirs de son cimetière au pied du cerisier. Il lui avait promis de l’emmener boire un verre. Aujourd’hui, elle souhaitait qu’il tienne sa parole. D’après le peu qu’elle savait, il devait habiter dans le quartier de Kerargaouyat, sur la rive droite de la ville, non loin de l’Arsenal, le repère des marins militaires. Certes, c’était un champ de tours et de barres, mais en campant près de points stratégiques, elle devrait tout de même bien croiser dans cette ville miniature une personne qui connaissait Simon Bazin ! Elle se décida en un rien de temps. Elle enfila un manteau chaud, en laine peignée grise. Quelque chose de smart, qui en disait long sur sa condition de petite bourgeoise. Tout en prenant son sac à main, elle jubilait comme une gamine en pensant à ce qu’elle s’apprêtait à faire. Autant ils avaient été des enfants tonitruants, autant elle s’était assagie en compagnie de Gabriel. Elle était devenue la parfaite petite femme…

Durant le trajet qui la menait de Landéda, son lieu de villégiature, à Brest, elle fit le point sur sa propre vie. Tous reprochaient à Simon son évolution, ce qu’il était devenu. Cependant, personne ne prenait la peine de balayer devant sa propre porte. Isabella le fit. Des images défilèrent à toute vitesse devant elle. Aussi vite que les paysages que traversait sa petite voiture, une Mini d’un noir brillant. Elle vit la mariée qu’elle était, le jour où elle acquiesça devant le maire. L’air satisfait de Gabriel. Et la mine particulière de son père devenu beau-père. Elle s’était d’ailleurs demandé pourquoi il ne se réjouissait pas de leur bonheur. Bien entendu, il changea au cours de la soirée. Le visage initialement fermé laissa place à un masque de gaieté. Maintenant qu’elle s’en souvenait, cette attitude lui posa question. Son père adoptif, même s'il n'était en fin de compte qu'un simple assistant familial, la connaissait bien, peut-être même mieux qu’elle.

Isabella se mordit les lèvres. Sa bouche se tordait dans tous les sens. Tout en réfléchissant, elle se mit à jouer avec la perle noire qui pendait autour de son cou. C’était le cadeau de Gabriel pour leur dernier anniversaire de mariage. Était-elle heureuse avec lui ? Une chose était certaine. Elle n’était pas malheureuse. Il avait toujours de petites attentions pour elle, comme s’il avait peur qu’elle ne s’enfuie d’un jour à l’autre. Il la protégeait comme on protège un trophée. Voilà, elle était son trophée. Un trophée de quoi ? Un trophée par rapport à qui ? Était-elle le chaînon manquant entre Simon et lui ? En préparant le mariage, Isabella avait demandé l’autorisation d’inviter Simon. Elle essuya un refus clair et net. Il lui avait dit qu’il gâcherait la fête. Il avait essayé plusieurs fois d’entrer en contact avec lui, mais Simon refusait tout en bloc. Ça n’était pas la peine de s’encombrer d’un poids mort, disait-il.

Isabella tapota sur le volant de la voiture. Plus elle avançait, plus elle voyait clair. Elle s’était mis sciemment des ornières et avait fini par se convaincre toute seule de ses mensonges et cachotteries. Jusque-là, Isabella était une femme digne de ce nom. Sans aucun reproche.

Arrivée à Brest, après avoir passé le pont enjambant « la Penfeld », ligne de démarcation entre les deux rives, elle se gara et sortit plus fébrile que jamais. Il était là, quelque part, et elle savait… Elle savait et pour une fois, elle allait prendre des décisions.


Texte publié par Migou, 28 avril 2014 à 13h12
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